Respect des droits sexuels en période de crise : L’autre priorité qui urge !
Le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire et humanitaire depuis plusieurs années. Au regard de la vulnérabilité de la population notamment dans le domaine sanitaire, plus précisément la santé de la mère et de l’enfant, plusieurs organisations travaillent pour la prise en charge des femmes notamment dans le secteur de la santé sexuelle. Parmi ces structures, l’on peut retenir le projet Plurielles. L’un des objectifs de cette structure au Burkina Faso vise le respect des droits en santé sexuelle et reproductive surtout dans le contexte d’insécurité. Dr Moctar Diallo, expert en santé publique, Représentant de Santé Monde et Directeur Pays du projet Plurielles au Burkina Faso, nous en parle. Lisez plutôt !
Burkina 24 (B24) : Présentez-nous le projet Plurielles
Moctar Diallo (MD) : Le projet Plurielles est mis en œuvre dans trois pays le Bénin, le Mali et le Burkina Faso depuis 2021. C’est un projet qui est mis en œuvre par un consortium de trois organisations internationales canadiennes sous le lead de Santé Monde avec Avocats Sans Frontières Canada et SOCODEVI.
Plurielles, c’est un projet qui vise la jouissance des droits sexuels et reproductifs auprès des femmes et adolescentes victimes et marginalisées. Quand on parle de jouissance, il s’agit de l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive en place dans le pays conformément aux politiques, normes et procédures en vigueur et également d’accès à la justice conformément aux lois en vigueur au Burkina Faso.
Nous avons mené beaucoup d’activités qui sont surtout liées à l’implémentation du projet. Il faut reconnaître que nous sommes arrivés dans une période un peu difficile avec quelques crises institutionnelles. Nous participons à différentes réunions dans différents groupes thématiques de la santé au Burkina Faso. Sur le terrain par rapport à nos activités, nous avons eu à faire un état des lieux qui nous a permis de mieux situer notre zone d’intervention à savoir la région des Cascades précisément les districts sanitaires de Sindou et Banfora.
En accord avec la direction régionale de la santé des Cascades, nous avons identifié dans chaque district sanitaire dix centres de santé. Nous allons intervenir dans ces centres de santé en termes de réhabilitation sur le volet assainissement sanitaire, amélioration de l’offre des services de santé de la reproduction à travers la formation des prestataires par rapport aux thématiques en lien avec la santé sexuelle et reproductive et les droits sexuels et reproductifs au Burkina Faso.
En plus, il y a plusieurs interventions qui vont concerner ces femmes et adolescentes à savoir une composante Droit et une composante économique. La composante Droit va permettre d’agir auprès des communautés pour les amener à comprendre les textes et lois en vigueur dans le pays, et en faveur de la santé de la reproduction au Burkina Faso et faciliter l’accès des femmes et adolescentes victimes de violences basées sur le genre (VBG) à accéder à la justice si elles le souhaitent. Il s’agira pour nous de promouvoir l’accès aux mécanismes d’aide juridique et d’assistance judiciaire mais aussi de promouvoir la relève générationnelle en matière de droits, santé sexuelle et reproductive.
Bien entendu, nous n’écartons pas de soutenir les cadres de dialogue communautaire et valeurs sociétales qui permettent la résolution des conflits. Nous allons nous inscrire aussi dans les objectifs de plaidoyer qui verront l’amélioration des droits de la santé sexuelle et reproductive au Burkina Faso, au Bénin et au Mali.
La troisième composante est celle du développement économique à travers laquelle nous sommes en train de finaliser la sélection des groupements féminins dans les districts sanitaires de Sindou et de Banfora pour accompagner ces femmes à mettre en place des activités génératrices de revenus.
Il ne s’agit pas de prêts, plutôt de don qui va être défini en termes de mécanismes de financement de l’assurance santé. Un produit d’assurance santé va être mis en place à la suite de ces activités génératrices de revenus pour pouvoir permettre à ces femmes d’accéder plus facilement aux services de santé améliorés pour le bien-être de la population en général dans ces zones d’interventions.
B24 : Qu’est ce qui explique le choix de la région des Cascades?
MD : Dans l’analyse préliminaire pour le montage de ce projet, il s’est avéré que c’est une région qui n’avait pas beaucoup de partenaires. En plus, il y avait beaucoup de défis en matière de droits en santé sexuelle et reproductive dans la région. Voilà essentiellement les raisons qui ont prévalu à la prise en compte de cette région pour pouvoir accompagner la direction régionale de la santé à atteindre ses objectifs.
B24 : Que pensez-vous du respect des droits en santé sexuelle et reproductive au Burkina Faso surtout en cette période de crise sécuritaire ?
MD : Nous sommes dans un contexte qui est difficile et nous ne pouvons que dire et constater malheureusement qu’il y a beaucoup de populations déplacées internes. Beaucoup de centres de santé sont fermés ou ne sont plus accessibles. Beaucoup de services de santé même en stratégie mobile qui ne sont plus possibles. Tenant compte de tous ces déterminants, on doit dire aujourd’hui de façon générale que le droit à la santé n’est pas accessible, n’est pas respecté. Il ne s’agit pas seulement des droits à la santé sexuelle et reproductive mais le droit même à la santé, le droit à la vie.
Notre rôle c’est de continuer nos efforts en matière d’action de développement pour que les populations puissent avoir accès à des services de santé de qualité. Le gouvernement mène beaucoup d’efforts dans ce sens. Le Burkina Faso est l’un des premiers pays de la sous-région sinon le premier pays à avoir décrété la gratuité des services de planification familiale. D’autres pays ont suivi, ceci pour vous dire quels sont les efforts déjà importants que le gouvernement a mené pour que les populations puissent facilement accéder à des services de santé sexuelle et reproductive.
B24 : D’aucuns pensent qu’avec la situation sécuritaire, les priorités ont baissé au niveau de la promotion des droits en santé sexuelle et reproductive. Cette affirmation est-elle juste ou erronée ? Qu’en est-il réellement ?
M D : Je dirai tout simplement que les services ne sont plus accessibles pour un grand groupe c’est ça le problème. Donc quand les services ne sont pas accessibles, on ne peut dire que vrai, parce que les gens ne peuvent plus accéder à un droit à la santé. Vous voyez tout ce corollaire de violences sexuelles qui émaillent cette situation de crise. Malheureusement beaucoup de ces femmes sont victimes de viols et rejetées par leur propre communauté. Il y a un fort taux d’infanticide qui s’ajoute à ces grossesses non désirées, sans compter les interruptions non sécurisées de grossesses.
Bien entendu quand on parle d’interruption de grossesse, ça hérisse les poils mais au Burkina Faso nous avons heureusement la loi sur la santé de la reproduction qui parle plutôt d’interruption sécurisée de la grossesse selon la loi.
B24 : Quels sont les indicateurs en droits sexuels et reproductifs en Afrique de l’ouest mais surtout au Burkina Faso ?
M D : La santé sexuelle et reproductive est très vaste. Il s’agit de tout ce qui va concerner la santé de la mère et du petit enfant.
On peut considérer comme essentiellement l’indicateur macro à ce niveau. C’est dire, entre autres, le taux de naissance vivante, le taux de mortalité maternelle, le taux de mortalité infantile, l’indice synthétique de fécondité, le taux de prévenance contraceptive moderne, le taux de prévenance contraceptive, la prévalence du VIH SIDA, les infections sexuellement transmissibles, etc…
Également, dans cet ensemble, il faut ajouter les cas de fistule vésico-vaginale, pour pouvoir mesurer comme indicateur des avancées ou pas dans le pays. Le Burkina Faso est un pays qui a pris vraiment à bras-le-corps, la question de santé sexuelle et reproductive.
B24 : Est-ce que selon vous malgré tous les moyens mis en œuvre il y a toujours urgence d’agir ?
M D : Surtout pas, il ne faut pas baisser les bras. Vous savez la croissance démographique est très importante en Afrique et quand on parle de ça beaucoup de gens estiment que la planification familiale est un dictat de l’occident. C’est quelque chose qui permet de réduire la taille de la population africaine, ce n’est pas comme ça qu’il faut voir les choses.
Il faut se projeter en termes de dividende pour la population. Lorsqu’on est sur terre, à quoi nous servons ? C’est ça la question, qu’est-ce qu’on apporte à la communauté ? Et faut-il une population massive qui n’a pas beaucoup d’apports ou une population de qualité qui est là et qui puisse apporter des choses.
La planification familiale a été utilisée par beaucoup de pays asiatiques pour amorcer leur développement économique et c’est ce qu’on appelle les dragons. Je parle de la Corée du sud, de la Thaïlande, de Singapour.
Donc penser que la planification familiale c’est pour empêcher les gens d’avoir des enfants est erroné. Non, c’est pour vous permettre de faire des enfants selon les moyens et selon des intervalles inter-génésiques. C’est-à-dire l’espace idéal entre deux enfants et pour que la mère également puisse avoir une santé adéquate pour mener à terme correctement ses grossesses.
On investit dans la santé ce n’est pas pour avoir un retour, mais quand vous investissez dans les infrastructures sanitaires, dans l’assainissement, dans les équipements, dans les écoles, les routes, l’agriculture et tout ça là vous aurez un retour sur investissement et les populations en bonne santé pourront en bénéficier, avoir une meilleure instruction, avoir des formations adéquates et de qualités appropriées aux besoins primaires des populations et pouvoir arriver à un développement harmonieux.
Asseoir le socle du développement, c’est ça la transition démographique, avoir une jeunesse de qualité productive et ensuite arriver plus tard à ce qu’on appelle la capture du dividende démographique. Donc, il est important d’agir, de continuer les efforts, de continuer les investissements, d’avoir des politiques audacieuses de financement de la santé et de l’éducation qui font partie des pôles essentiels à prendre en compte pour pouvoir amorcer le développement souhaité. Bien entendu la lutte contre l’insécurité est un préalable.
B24 : Quelles pourraient être les stratégies pour consolider les acquis et progresser dans la sensibilisation ?
M D : Les stratégies c’est d’abord ce qui est classique. C’est la mobilisation communautaire, l’implication de communauté dès le départ. Nous sommes en train de mettre en place un comité technique régional pour la coordination et le suivi et projet sous la présidence du Gouverneur de la région des Cascades.
Au niveau de la gouvernance et niveau de la mobilisation au niveau communautaire c’est l’identification de leaders tant des hommes que des femmes et adolescentes, qui seront formés pour pouvoir mieux prendre en compte les thématiques du projet. L’implication des communautés et des autorités facilite l’appropriation des objectifs du projet et la pérennité des interventions.
Nous interviendrons également dans le cadre de la lutte contre le SIDA, auprès des PDI, en partenariat avec l’ONUSIDA, conformément aux directives du SP-CNLS. En termes de stratégie, il s’agira essentiellement de mobilisation communautaire, des campagnes de dépistage volontaire qui vont permettre de faciliter aussi la prise en charge intégrée des cas dépistés positifs. Il y aura également la distribution de vivres à ces communautés déplacées.
B24 : Vous avez dit au départ que le projet PLURIELLES est exécuté au Burkina, au Bénin et au Mali, est-ce que ce sont les mêmes mécanismes qui sont utilisés, vu que ces pays ont des réalités similaires ?
M D : Oui. En fait, c’est un seul projet et trois zones d’interventions. On veut à la fin qu’il y ait un modèle fonctionnel d’un centre de santé qui puisse offrir des services de santé de qualité aux populations disposant d’une autonomie financière et ayant accès aux mécanismes d’aide juridique et d’assistance judiciaire.
C’est le même schéma aussi bien au Mali qu’au Bénin qui a un contexte sécuritaire différent. Nous essayons d’avoir une approche unique d’intervention bien entendu qui s’adapte au contexte sécuritaire de chaque pays.
B 24 : Votre mot de fin ?
M D : Le plaidoyer que je ferais à l’endroit des décideurs, c’est de renforcer davantage le dialogue et la concertation avec la société civile y compris le secteur privé à but lucratif ou non lucratif, dont les grandes entreprises qui disposent des moyens qui peuvent aider le gouvernement à atteindre ses objectifs d’offre de services de santé de qualité aux populations.
Pour pallier les insuffisances de l’Etat et accompagner dans l’atteinte de ses objectifs, le plaidoyer que je fais c’est aussi cela, s’inscrire davantage dans la mobilisation des ressources locales. Nous avons beaucoup de ressources et donc c’est de voir comment les mettre à profit pour pouvoir financer nos efforts en matière de santé.
Je crois qu’il y a beaucoup de mécanismes, les incitations fiscales qui peuvent être faites pour encourager le secteur privé à y aller, développer le partenariat public-privé qui est la clé du développement, promouvoir l’éducation, la formation des agents de santé également, la surveillance épidémiologique entre autres, pour pouvoir mieux prendre en compte la santé des populations.
Aminata Catherine SANOU
Burkina 24
Écouter l’article
|
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Suivre la chaine
Restez connectés pour toutes les dernières informations !
Restez connectés pour toutes les dernières informations !