Etude : Une rencontre interactive entre des langues et cultures à travers deux œuvres romanesques africaines francophones

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Ceci est une étude de YOUL Palé Sié Innocent Romain, CNRST, Institut des Sciences des Sociétés, Burkina Faso et de ZONGO Abdou Gaffar, CNRST, Institut des Sciences des Sociétés, Burkina Faso, intitulée « Une rencontre interactive entre des langues et cultures à travers deux œuvres romanesques africaines francophones ».

Résumé

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Le regard croisé des éléments linguistiques et culturels à travers les romans Crépuscule des temps anciens (1962) de Nazi Boni et Les soleils des indépendances (1968) d’Ahmadou Kourouma qui participent de l’auto-valorisation de ces auteurs, de leurs langues et leurs cultures et les enseignements que l’on peut tirer dans la dynamique actuelle de promotion et valorisation des langues et cultures endogènes au Burkina Faso sont les visées du présent document. De l’analyse de ces œuvres, il ressort que ces deux auteurs, pour ne citer que ceux-là, sont des exemples d’hommes de lettres et de culture qui ont su montrer une posture d’auto-valorisation dans un contexte de rencontre de langues et de cultures.

Mots clés : analyse, éléments linguistiques et culturels, Nazi Boni, Ahmadou Kourouma, romans, enseignements.

Introduction

Le présent document de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Contacts de langues et des cultures : regards croises des romans crépuscule des temps anciens de Nazi Boni et les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma » publié dans la revue CERLESHS, Tome XXXI, N°72, ISSN 0796-5966, PU, Université Joseph KI-ZERBO. En effet, Au Burkina Faso, tout comme dans plusieurs pays africains, on note un certain regain d’intérêt pour la question des langues et des cultures nationales.

Toutefois, signalons qu’en dépit des actions et de la volonté affichée de l’Etat de redonner à la culture et aux langues nationales la place qui est la leur, il n’en demeure pas que des actions individuelles et citoyennes soient nécessaires pour l’accompagner. C’est dans cette optique que l’exemple de citoyens engagés pour leurs langues et culture, notamment Ahmadou Kourouma et Nazi BONI, même s’ils ne sont plus de ce monde, nous ont inspirés. En effet, ces célèbres figures ont vécu et continuent de vivre à travers leurs œuvres littéraires qui offrent une place de choix à leurs langues et cultures.

Ahmadou Kourouma et Nazi BONI, né respectivement en 1927, dans une famille princière musulmane de l’ethnie malinké, à Boundiali (Nord de la Côte d’Ivoire) et à Bwan dans une famille animiste, dans la région des Ballés du Burkina Faso furent à la fois des hommes politiques et des hommes de lettres et de culture. Dans les domaines culturel et littéraire, ils se sont révélés comme des hommes très attachés à leurs valeurs et traditions ancestrales, notamment les ancêtres malinkés et bwaba.

Ainsi, leurs travaux littéraires, sans s’auto exclure, accordent une place aux valeurs et réalités africaines, toute chose qui participe à la valorisation et à la sauvegarde des réalités endogènes africaines, en général et malinké et bwan, en particulier. Actions dont les conséquences ne sont rien d’autres que le bonheur de leurs communautés, de leurs langues et cultures. La préoccupation de la présente réflexion découle des questions suivantes :

– quels sont les éléments linguistiques et culturels qui participent de l’auto-valorisation des langues et des cultures malinké et bwan dans Les soleils des indépendances et Crépuscule des temps anciens ?

– quels enseignements peut-on tirer dans la dynamique actuelle des actions de promotion et valorisation des langues et cultures burkinabè ? En effet, mettre en relief les éléments linguistiques et culturels qui participent de l’auto-valorisation des langues et des cultures malinké et bwan dans Les soleils des indépendances et Crépuscule des temps anciens, puis relever les enseignements que l’on peut tirer dans la dynamique actuelle des actions de promotion et valorisation des langues et cultures burkinabè sont les objectifs du présent document.

S’adressant aux Hommes de lettres et cultures ou à tout autre citoyen s’intéressant aux questions de promotion et valorisation des langues et cultures burkinabè, le travail est organisé en deux grands points, notamment la méthodologie et les résultats.

  1. Méthodologie

Pour répondre aux questions que nous nous sommes posées, nous avons effectué une lecture des œuvres, notamment Les soleils des indépendances et Crépuscule des temps anciens avec un regard particulier sur deux directions. La première fait un aperçu sur les deux œuvres et la deuxième effectue un regard croisé des éléments linguistiques et culturels à travers les deux œuvres et les perspectives qui peuvent être envisagées.

  1. Résultats

Au compte des résultats, nous rappelons que trois éléments essentiels sont mis en exergue, notamment le résumé des œuvres considérées, les éléments linguistiques et culturels qui participent de l’auto-valorisation dans les œuvres examinées, puis les regards croisés et perspectives.

  • Résumé des deux œuvres

Les Soleils des indépendances, premier roman d’Ahmadou Kourouma, est le récit de Fama Doumbouya, prince traditionnel malinké descendant d’une dynastie naguère riche et respectée, habitué à l’opulence, mais qui connaîtra l’indigence et l’humiliation sous l’ère des indépendances. Très enthousiaste à l’idée de retrouver sa gloire d’antan dans la capitale du Togobala, Fama qui escomptait faire fortune et devenir un homme richissime à travers le commerce sera victime des bouleversements occasionnés par les indépendances et des complots politiques.

Accusé de complot contre le chef de l’Etat et son régime, il est arrêté, jugé puis condamné à vingt ans de prison. Finalement amnistié, et après bien de déboires, Fama décide de retourner sur ses terres ancestrales, mais il sera empêché par les gardes-frontières pour une histoire de carte d’identité. Il meurt sans pouvoir y accéder. Sa mort symbolise la fin de toute une dynastie. Les soleils des indépendances, peut se lire comme une longue récrimination, cristallisée justement autour du thème de l’indépendance.

S’agissant de l’œuvre Crépuscule des temps anciens, c’est un roman historique qui traite de la pénétration coloniale en Haute-Volta. Par le biais de cette œuvre Nazi Boni relate l’histoire du peuple Bwan pendant l’invasion coloniale. Le récit qui est structuré en trois parties commence par le passé harmonieux du Bwamu (l’âge d’or), où l’auteur évoque la vie paradisiaque des Bwans où l’homme vit en parfaite symbiose avec la nature pour s’achever dans le sang et les ruines de la grande révolte contre le colonisateur.

L’intrigue du roman se noue autour du couple de personnages Téhré et Hakanni symboles de courage, de beauté et d’harmonie opposés à Lowan et kya qui sont des anti-héros et anti-progressiste. Térhé connaîtra une fin tragique, il sera victime d’empoisonnement de la part du père de Lowan.

  • Eléments linguistiques et culturels qui participent de l’auto-valorisation

Dans le sens de la présente réflexion, Crépuscule des temps anciens est une œuvre qui aborde un passé aux richesses culturelles merveilleuses que l’auteur évoque avec une nostalgie faite d’émotions.

La langue bwamu dans Crépuscule des temps anciens, une œuvre en français, est un cas de rencontre interactive entre deux langues. Le dialogue des deux systèmes linguistiques, français et bwamu, débouche sur des particularités réalisées par l’auteur à l’intérieur de la langue française. La création de ces structures nouvelles et leurs fonctions discursives et stylistiques constituent les particularités de cette œuvre.

En effet, l’auteur se démarque volontiers de ce que pourrait être les transcriptions scientifiques, en l’occurrence phonologique, l’objectif étant de restituer les choses telles qu’elles se présentent. Par l’écriture de la langue bwamu, il réalise une opération d’ancrage culturel africain dans son œuvre. En la feuilletant, il est frappant de voir que les mots bwamu tranchent avec le texte français. Autrement dit, les éléments de la langue bwamu s’incorporent au français par la voie de l’écriture.

Au contact de l’œuvre, l’on se convainc d’une chose sur le plan linguistique : l’intelligibilité de l’usage de la langue bwamu à travers les mots, expressions ou proverbes qui s’intègrent harmonieusement dans la langue d’écriture du roman. Par ailleurs, les créations lexicales foisonnent de noms concrets et abstraits qui sont le plus souvent des mots isolés dont les référents sont des objets concrets : humains, animaux, objets artisanaux du monde de l’auteur. Comme l’attestent quelques mots et expressions illustratifs, ci-après, tirées de l’œuvre :

-[Hanwa] « femme » [Nansa-hanwa] ; « femme blanche » [Bèro] ;« guerrier » [Namuni] ; « hygiène » [Lokoré] ; « corps » [Bruwa] « non-initié » etc.,

-« Après avoir interrogé les Mânes, les fétiches, les lieux circonvoisins qui répondaient de certains génies, fait à « Gni-nlé », dieu de la nature, l’offrande propitiatoire qui précède l’ouverture des grandes chasses… (p.181) » ; Les propos solennels de « l’Ancêtre » du village, le conservateur des traditions du Bwamu, pays des Bwawa » (p. 21), brossèrent le tableau d’un Eldorado où les hommes insouciants se conciliaient les faveurs de la nature généreuse, des puissances surnaturelles multiples qui l’habitaient et le Dombéni « Dieu-Ie-Grand ».

Les mots et expressions ci-dessus, exemples à titre illustratif, coexistent harmonieusement dans l’œuvre grâce au génie et au savoir-faire de l’auteur. S’agissant de l’œuvre Les soleils des indépendances, à défaut d’utiliser sa langue pour s’exprimer, Ahmadou Kourouma a cherché à coloniser la langue de l’autre qui l’avait précédemment colonisé.

Même s’il écrivait en langue française, la plupart des critiques sont unanimes à reconnaître que l’écrivain Ahmadou Kourouma s’employait à donner une autre manière de voir et de dire qui mettait en crise la seule manière européenne imposée aux anciens colonisés d’Afrique. La pratique linguistique de Kourouma traduit une certaine conception du texte africain et de l’acte artistique.

« Retour aux sources », « belle parole du peuple », « langues africaines imagées », « enracinement du romancier », « désir de sauvegarder la culture orale », autant de formules qui, implicitement, suggèrent l’idée d’un créateur en fusion avec son environnement. De l’examen du traitement linguistique dans la prose romanesque de Ahmadou kourouma, M. Gassama (1995) tire la conclusion que son expression linguistique n’est pas un acte de « partisannerie » visant à promouvoir une culture malinké, ni une quête effrénée vers une originalité lucrative, mais une création qui ne peut se concevoir autrement que dans le rayonnement simultané des cultures qu’elle absorbe et intègre.

  • Regards croisés et perspectives

S’il est permis de considérer le colonialisme par lequel la langue étrangère a été imposée comme un acte de culture, pour certains défenseurs de l’émancipation de l’Afrique, l’indépendance politique, en effet, ne saurait être totale que si l’esprit africain est libéré, c’est-à-dire ré-africanisé. Pour ceux-là, la ré-africanisation du continent passe par l’usage des langues africaines au détriment des langues européennes d’adoption ou d’expression. L’unité linguistique, chose radicale, est la seule et unique voie de recours, selon Cheikh Anta Diop, pour qui la persistance de l’usage des langues étrangères en Afrique est « la capitulation culturelle ».

La langue bwamu dans Crépuscule des temps anciens, une œuvre en français, est un cas de rencontre interactive entre deux langues. Le dialogue des deux systèmes linguistiques, français et bwamu, débouche sur des particularités réalisées par l’auteur à l’intérieur de la langue française. La création de ces structures nouvelles et leurs fonctions discursives et stylistiques constituent les particularités de cette œuvre. En effet, l’auteur se démarque volontiers de ce que pourrait être les transcriptions scientifiques, en l’occurrence phonologique, l’objectif étant de restituer les choses telles qu’elles se présentent.

Par l’écriture de la langue bwamu, il réalise une opération d’ancrage culturel africain dans son œuvre. En tout état de cause, Nazi Boni a manifesté un refus de l’aliénation culturelle et a su trouver un canal d’expression et faire voyager sa langue et sa culture, parce que le roman relevant de l’universalité. De l’examen du traitement linguistique dans la prose romanesque de Ahmadou Kourouma, dans son œuvre Les soleils des indépendances, l’on pourrait tirer la conclusion que son expression linguistique ne présente pas une certaine posture visant à promouvoir une culture malinké, ni une quête effrénée vers une originalité lucrative, mais une création qui ne peut se concevoir autrement que dans le rayonnement simultané des cultures qu’elle absorbe et intègre.

Une parfaite intégration de « faits de style propres à la culture négro-africaine », d’« africanismes », c’est-à-dire à l’«appropriation du français » par les locuteurs africains. Cela témoigne de l’amour que ces auteurs, notamment A. Kourouma et N. Boni vouent à la culture et à la sauvegarde du patrimoine culturel africain, en général et à leurs cultures respectives, en particulier.

Aussi retient-on de ces œuvres que les auteurs ont opté une posture qui est véritablement en phase avec l’actualité qui commande des comportements de résilience et d’auto-valorisation. En effet, dans ce contexte de mondialisation des échanges impulsée par la culture occidentale dominante, il ne consiste plus à aller vers les autres tout en détruisant ses valeurs intrinsèques, mais plutôt de savoir les concilier.

Conclusion

La présente réflexion avait pour ambition d’examiner les éléments linguistiques et culturels qui participent de l’auto-valorisation à travers les romans Crépuscule des temps anciens de Nazi Boni et Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma et de montrer les enseignements que l’on peut tirer dans la dynamique actuelle des actions de promotion et valorisation des langues et cultures endogènes.

De l’étude de ces œuvres, il ressort que les auteurs sont non seulement de célèbres personnages engagés de lettres, mais aussi de culture. En effet, ils ont montré l’exemple d’une posture d’auto-valorisation dans un contexte de rencontre de langues et de cultures à travers leurs œuvres respectives qui peinent à cacher leur identité. Leurs textes constituent des canaux par lesquels ils livrent leur savoir pour les générations présentes et futures. Ainsi, la prise en compte des langues africaines et l’intégration des éléments linguistiques et culturels dans leurs œuvres, d’expression française, permettent de véhiculer le message dans toute son originalité.

Références bibliographiques

BONI Nazi, 1962, Crépuscule des temps anciens, Chroniques du bwamu, Présence africaine, Paris, 255 p.

KOUROUMA Ahmadou, 1970, Les Soleils des indépendances, Paris, Editions du Seuil.

Ce document de vulgarisation est tiré de YOUL Palé Sié Innocent Romain et ZONGO Abdou Gaffar, 2023, Contacts de langues et des cultures : regards croisés des romans Crépuscule des temps anciens de Nazi BONI et Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, Revue CERLESHS, Tome XXXI, N°72, ISSN 0796-5966, PU, Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso, pp.271-283.

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