« Koglwéogo » : N’y a-t-il pas lieu d’explorer les opportunités de collaboration ?

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Ceci est une opinion de Bernard Zongo, un citoyen burkinabè, relative à la question des Koglwéogo et en réponse à l’analyse du comité intersyndical des magistrats.

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Dans une publication en date du 07 février 2016, le comité intersyndical des magistrats dit suivre « avec une inquiétude grandissante, la naissance, l’extension et l’expansion des structures privées, informelles de gestion des questions sécuritaires, judiciaires et pénitentiaires dénommées ‘’Koglwéogo ‘’ ».

Il condamne les actes de ces structures, exige leur démantèlement sans délai et invite le gouvernement à satisfaire les besoins de sécurité et de justice des populations selon les principes de l’État de droit. Sur le plan strictement légal, on ne peut que vibrer en phase avec de telles exigences sommes toutes légitimes. Toutefois, un examen plus approfondi du contexte socio-politique dans lequel les Koglwéogo sont nés, et de « leurs succès » là où l’État a failli, ne commanderait-il pas de la circonspection tant le problème est complexe ? Autrement dit, au lieu de jeter le bébé avec l’eau du bain, n’y a-t-il pas lieu d’explorer les opportunités de collaboration ?

D’emblée, il convient de souligner que l’objectif de cet écrit n’est pas de défendre becs et ongles l’existence des Koglwéogo ou de soutenir les violations des droits de l’homme dont ils se seraient rendu coupables. En lieu et place, l’objectif de cet article, c’est d’alimenter la réflexion sur la contribution que le peuple burkinabè pourrait apporter à l’État dans sa quête de justice et de sécurisation du pays.

Au-delà de la question juridique sur l’existence et les activités de Koglwéogo, c’est la capacité de l’État burkinabè à garantir la sécurité des personnes et des biens qui est fondamentalement mise en cause. En effet, l’une des raisons d’être de l’État sur un territoire donné, c’est sa promesse de garantir la sécurité des personnes et des biens qui s’y trouvent.

C’est une responsabilité souveraine et l’État au sens de Weber, doit rassurer le peuple qu’il a le monopole de la violence physique légitime pour s’acquitter de cette responsabilité. La recrudescence du grand banditisme et des braquages ces dix dernières années vient nous rappeler sans équivoque que les personnes et les institutions qui animent la vie de l’État ont failli dans l’accomplissement de leur mission de protection du peuple et de son patrimoine.

Norbert Zongo avait averti dans une de ses conférences publiques : « si on ne fait pas attention, viendra un jour où même si on mettait un commissariat de police devant chaque concession, on ne pourra pas arrêter les voleurs et les bandits de grands chemins». L’illustre journaliste est mort sous les balles assassines du banditisme d’État du régime de Blaise Compaoré. Ses paroles prophétiques nous hantent aujourd’hui tant la question de l’insécurité est sur toutes les lèvres. Si durant les trois dernières décennies chaque région, chaque province, chaque ville et village avait été aussi bien protégé comme Kossyam l’est, si chaque Burkinabè jouissait de l’égalité de tous devant la loi, et il n’y aurait certainement pas de Koglwéogo. 

Pour l’intersyndical, seule la paille dans l’œil des Koglwéogo est visible. On peut déduire de leur déclaration que dans un État de droit, il est inacceptable que des structures parallèles de justice puissent évoluer en toute illégalité aux cotés des institutions judiciaires existantes. Pour aller plus loin, il conviendrait d’ajouter que peu importe leurs succès sur le terrain, l’État burkinabè ne devrait pas fermer les yeux sur les accusations de tortures et de violations des droits l’homme dont certains Koglwéogo sont accusés.

Mais, pour mieux voir la paille dans l’œil des Koglwéogo, nos magistrats pourraient commencer par ôter la poutre qui se trouve dans le leur. En effet, le comité intersyndical des magistrats a bien fait de noter que « depuis le putsch manqué du 16 septembre 2015, les juridictions burkinabè assument avec professionnalisme et courage leur mission de rendre la justice (…) ».

Une simple analyse rétrospective laisse voir qu’auparavant, ce professionnalisme et ce courage ont grandement fait défaut au sein du système judiciaire si bien qu’un homme, sa famille et son clan, ont pu régner sans partage sur notre pays durant près de trois décennies. Les Burkinabè ont toujours en mémoire cette expression attribuée à un ancien ministre de la justice sous le régime Compaoré, promettant de travailler qu’avec… « Des juges acquis ».

La justice burkinabè a donc connu de graves dysfonctionnements : corruption de magistrats, politisation de la justice, concussion, lourdeurs administratives, non-respects des droits des victimes, justice à double vitesse, etc. Malgré tout,  personne n’a jamais demandé de démanteler les institutions judiciaires… parce que des magistrats courageux, indépendants et intègres se battaient toujours du mieux qu’ils pouvaient pour l’indépendance de la justice.

De la même manière, les Koglwéogo ne sont pas parfaits mais il conviendrait de souligner que tous ne sont pas des tortionnaires non plus. Si dans l’ensemble ils ne rendaient pas service aux gens dans les villages et recoins reculés du pays, ce sont les habitants eux-mêmes qui s’en débarrasseraient. En lieu et place de les démanteler donc, il faut faire preuve d’ingéniosité pour les inscrire dans le giron de l’État de droit. Quand on a mal à l’œil, le remède ne consiste pas à se faire décapiter.    

Par ailleurs, la question sécuritaire ne peut avoir pour seule réponse la machine judiciaire qui du reste, est impuissante en amont. L’existence en soi des Koglwéogo pose avec acuité, le problème de l’accès à la justice dans notre pays. La nature a horreur du vide. Si nos institutions judiciaires fonctionnaient de manière effective, les Koglwéogo n’existeraient pas.

Beaucoup d’acteurs au sein du système judiciaire devraient comprendre que le périmètre d’action de nos institutions judiciaires va au-delà du périmètre urbain de la capitale. Combien de magistrats, d’avocats, de juristes y a-t-il en activité actuellement au Burkina Faso? Y en-a-t-il assez pour remplir la Maison du Peuple? En dehors de Ouagadougou et de quelques centres urbains, le reste du pays semble être un désert administratif. Pourtant, alors que la demande de justice et de sécurité est très forte au niveau local, l’offre quant à elle est quasi inexistante ou se fait attendre.

Cela se justifie entre autre, par le fait que plus de 90% du personnel judiciaire se trouverait à Ouagadougou. Par conséquent, il est tout à fait légitime de se demander ce que fera le justiciable de Bérégadougou, de Falangoutou, ou de Pilimpikou quand on lui volera sa poule ou sa chèvre? Du fait du désert administratif, l’existence des  Koglwéogo n’offre-t-elle pas une opportunité de collaboration avec les Forces de Défenses et de Sécurité (FDS) et la justice pour une meilleure couverture et une surveillance effective du territoire national ?

Le comité intersyndical poursuit en recommandant à l’État « le renforcement de la justice, des forces de défense et de sécurité en effectifs et en moyens conséquents pour assurer des missions qui ne sauraient être déléguées, et un meilleur maillage du territoire national». Tout le problème est là!!! La vérité c’est que dans les conditions du moment, l’État burkinabè n’a pas les moyens humains, matériels et financiers pour assurer de manière effective la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national.

Si l’État n’a pas assez d’hommes de tenue pour faire respecter un couvre-feu en temps de crise sur toute l’étendue du territoire national, comment pourrait-il garantir la sécurité des personnes et des biens en temps normal? L’État a donc besoin d’aide… de la part du peuple. Dans le contexte actuel du Burkina Faso marqué par l’attaque terroriste du 15 janvier 2016 et l’agression des soldats déserteurs de l’ancien Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), cette aide vient sous la forme de structures d’autoprotections communautaires.

Ainsi, l’existence des Koglwéogo vient rappeler qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité d’organisation et d’innovation du peuple en dehors des circuits formels de l’État pour résoudre des préoccupations d’ordre local. Aucun groupe corporatiste, aucune branche de l’administration burkinabè ne peut prétendre avoir à cœur le problème de sécurité et de justice plus que les victimes et les personnes affectées elles-mêmes. Après tout, la démocratie et l’État de droit ne peuvent se construire au niveau national, sans une forte participation des gens au niveau local.

Puisqu’il y a une forte demande de participation, l’État devrait saisir cette l’opportunité pour se rapprocher de ses justiciables. Il a tout à gagner en explorant les voies et moyens pour prendre en compte les Koglwéogo comme acteurs de premier plan dans la quête de justice et de sécurité au niveau local. A travers leurs intérêts et leurs participations aux cotés de l’État pour résoudre les questions de sécurité, les Koglwéogo pourraient être bien informés et bien éduqués sur les questions de droits humains. Par-dessus tout, une telle démarche ne ferait que restaurer la confiance perdue des Burkinabè aux FDS et en la justice, en matière de sécurité. 

Un autre point de considération c’est le fait que les Koglwéogo permettent d’élucider plus rapidement des affaires de justice et surtout, les règlements permettent d’éviter la bureaucratie administrative ou le fourre-tout carcéral. Sans moyens de l’État, les Koglwéogo ont réussi là ou nos magistrats réclament « des moyens conséquents » pour accomplir leur mission. Combien de voleurs de poules et de chèvres dorment dans nos prisons surpeuplées en attente de jugement ?

A l’inverse, combien de criminels à cols blancs, voleurs de millions ou de milliards, jouissent d’une impunité qui leur assurent la certitude de ne jamais être inquiétés par la justice ? Faut-il rappeler que nous parlons d’une justice qui refuse la moindre auto-saisine ou ouverture d’information judiciaire chaque fois que de besoin est. Combien de cas de crimes économiques ou de corruption ont-ils été rendus publics par des organismes étatiques dûment mandatés sans que notre justice ne s’en émeuve ?

N’y a-t-il pas là une violation des droits humains des victimes et du peuple burkinabè dans son ensemble (droits économiques et sociaux)? Condamner un voleur de chèvre à plusieurs mois de prison ferme est moins dissuasif que de le faire avouer sa faute publiquement et rembourser la chèvre volée avec une amende. L’État pourrait donc accompagner les Koglwéogo pour qu’ils deviennent des juridictions populaires qui visent la conciliation et non la sanction, l’équilibre social, et une réinsertion des coupables dans la société.

En dernière analyse, il faut surtout encadrer les Koglwéogo pour éviter les erreurs d’hier commises par les Comité de Défense de la Révolution (CDR) et les Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR). Par exemple, les TPR ont permis de résoudre de manière rapide, effective et à moindre coût, des affaires qui se seraient évanouies dans les circuits classiques de l’appareil judiciaire.

Mais parce que l’on n’a pas fait l’effort de perfectionner leur mode opératoire pour l’ancrer dans l’État de droit, l’État burkinabè a dû payer des milliards en appel après la révolution. Il y a donc lieu d’éviter les mêmes erreurs avec les Koglwéogo. C’est là où les magistrats devraient briller par leur capacité de conception, d’innovation, et d’invention d’une architecture juridique prenant en compte la nouvelle donne sécuritaire du pays. A situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles.

L’État de droit et le droit (positif) ne sont pas statiques mais dynamiques. En d’autres termes, tout ce que l’État de droit touche, doit se transformer en lois acceptées par tous et prédictibles. Ainsi, l’intelligence, l’autonomie de la pensée et la sagesse commanderaient à nos Hommes de lois de codifier les pratiques des Koglwéogo et non de les démanteler pour laisser la place à un no-man ’s-land sécuritaire. Par exemple, on pourrait interdire aux Koglwéogo d’exercer des fonctions judiciaires et de sanctions. On résoudrait ainsi une part considérable des questions d’abus. Du reste, des expériences africaines existent et le Burkina Faso gagnerait à s’en inspirer. C’est le cas des Gacaca au Rwanda et des Kgotla au Botswana.

En définitive, le débat sur l’existence des Koglwéogo ne devrait pas se poser exclusivement en termes de pour ou contre mais en termes d’opportunités de collaboration. Pour se faire, il faut à notre avis éviter de s’enfermer dans une rigide vision juridico-administrative des questions de sécurité des personnes et des biens.

Le contexte du moment commande une certaine prudence et surtout une grande ouverture d’esprit pour aller au-delà des intérêts corporatistes et remettre fondamentalement en cause ce qui ne fonctionne pas dans notre dispositif judiciaire et sécuritaire afin de concevoir des approches nouvelles en phase avec la demande de sécurité et de justice au niveau local. Pour paraphraser un libre penseur, à l’endroit des Koglwéogo, il faut plutôt être souple mais sans mollesse, et ferme mais sans raideur. Cela devrait être un exercice intellectuel exaltant et pour relever ce défi, un changement de paradigme s’impose comme une nécessité absolue à nos Hommes en robes noirs et aux pouvoirs publics.

Bernard Zongo

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