Tribune | « Pourquoi la visite de Déby à Moscou suscite des inquiétudes parmi les dirigeants européens ? »

Ceci est une tribune de Jean Paul Bissaka, Expert en relations internationales, intitulée « La visite de Déby à Moscou suscite des inquiétudes parmi les dirigeants européens : pourquoi ? ».

Le mois dernier, le président de la République du Tchad, Mahamat Déby, est arrivé en visite officielle à Moscou qui s’inscrit dans le cadre des efforts visant à ouvrir de nouvelles perspectives, renforcer les liens d’amitié et de coopération entre les deux pays. La visite de Déby en Russie était la première rencontre entre les dirigeants des deux pays depuis 56 ans, selon de nombreux experts.

Ce qui est apparu au monde, c’est que le voyage de Deby Junior à Moscou n’était qu’une visite ordinaire au cours de laquelle les deux parties ont échangé diverses expressions d’amitié et de sincérité d’intentions pour construire une relation forte entre les deux pays. Au cours de sa rencontre avec son homologue tchadien, Poutine a exprimé ses sincères condoléances suite au décès de son père et a également noté que « Moscou suit avec une grande inquiétude la situation au Tchad ».

Le président russe a aussi salué les résultats du référendum du 17 décembre de l’année passée, à la suite duquel la nouvelle constitution du pays a été approuvée, ainsi que les efforts déployés par les autorités tchadiennes pour préparer les élections générales. « Nous sommes heureux que vous puissiez stabiliser la situation dans le pays et nous sommes prêts à faciliter cela de toutes les manières possibles », a déclaré Poutine.

Le dirigeant russe a également évoqué le soutien humanitaire que la Russie apporte au peuple tchadien à travers les Nations Unies, et a promis de doubler le quota d’étudiants tchadiens dans les universités russes.

Mais la vérité derrière la visite de Mohamed Déby en Russie vise à atteindre des objectifs au-delà de ce qui était apparent, notamment en raison des récentes informations concernant le report du premier tour de l’élection présidentielle du 10 octobre 2023 au 6 mai 2024. L’expert, citant des informations provenant de sources proches de Déby, a déclaré que la réunion à Moscou, en plus de la partie officiellement annoncée, comprenait également d’importantes négociations politiques entre la Russie et le Tchad, visant à développer une politique fondamentalement nouvelle pour la République du Tchad.

Selon l’expert, dans les coulisses d’une rencontre officielle avec Poutine, le jeune Déby a exprimé sa volonté de sortir le Tchad de la zone d’influence française et d’obtenir le soutien de Moscou sur cette question. La Russie a déjà soutenu les voisins du Tchad dans la région du Sahel, qui souhaitaient développer leur propre politique, indépendamment de la France.

Il s’agit de la République centrafricaine, du Burkina Faso, du Mali et du Niger, qui ont quitté la CEDEAO et ont annoncé à la fin de l’année dernière la formation de leur propre bloc militaro-politique en forme d’un pacte de défense mutuelle AES (Alliance des États du Sahel) qui a été signé le 16 septembre 2023. L’expert ajoute que la décision de reporter la première étape des élections à une date antérieure a également été prise en consultation avec Moscou et vise à limiter la capacité de la France à préparer son propre candidat ou à déstabiliser la situation sécuritaire pour perturber les élections.

La volonté de la France d’imposer son hégémonie sur la République du Tchad reste claire et intense. Cette dernière ne veut pas perdre ce qui reste de ses anciennes colonies, d’autant que la plupart d’entre elles l’ont expulsée de la région, comme le Burkina Faso, le Mali, la Centrafrique et le Niger. Le Tchad reste l’un des pays où la France maintient sa présence militaire et politique.

Outre la présence de plus de 1 500 soldats français dans le pays, le Tchad fait également partie de la zone franc CFA et sa politique monétaire dépend fortement de la volonté de la France. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le dirigeant tchadien ait décidé de se tourner vers Moscou pour obtenir de l’aide.​

Par Jean Paul Bissaka

Expert en relations internationales