Mathias HOUNKPE, politologue: « La CEDEAO devrait tenir compte de la spécificité du contexte Burkinabè. »
Mathias HOUNKPE est un politologue béninois. Il est actuellement Administrateur du Programme de Gouvernance Politique à OSIWA (Open Society Initiative for West Africa). Au plus fort du putsch manqué du RSP, Mathias HOUNKPE avait produit une tribune dans laquelle il décrivait son approche pour la résolution de la crise au Burkina Faso à la lumière de la démarche de la CEDEAO. Burkina24 l’a rencontré. Interview.
Burkina24 : Quel aurait été, selon vous, le chemin le plus sûr pour la CEDEAO dans la recherche de voie de sortie de la récente crise au Burkina Faso afin de garantir sa crédibilité ?
Mathias Hounkpe : A mon avis, la CEDEAO aurait dû tenir compte d’au moins deux facteurs principaux : (i) les textes (de la CEDEAO et de l’Union Africaine) et les pratiques ces dernières années en matière de sortie de crise après un coup d’état et (ii) la spécificité du contexte Burkinabè.
Les textes et les pratiques: Le minimum est que la CEDEAO reste cohérente dans son application des différents textes régionaux et continentaux comme cela a été le cas par le passé. Par exemple, au Mali en 2012 (l’un des cas les plus récents dans la région), après le coup d’Etat du groupe de Sanago, la CEDEAO a été prompte (dans les 4 jours qui ont suivi le coup d’Etat) à prendre immédiatement une série d’actions – suspension du Mali de tous les organes de prise de décision de la CEDEAO, invitation des Etats membres à imposer une interdiction de voyager ainsi qu’un embargo diplomatique et financier sur les membres de la junte au cas où elle ne respecterait pas les décisions de la CEDEAO et invitation des autres partenaires du Mali à suivre l’exemple de l’EU qui avait suspendu l’aide au développement au Mali[1], etc. – pour inciter les putschistes à rendre le pouvoir au civil.
C’est incompréhensible que dans le cas du Burkina Faso, ce soit plutôt l’UA qui applique de façon rigoureuse les textes[2] et que la CEDEAO hésite au point de demander à l’UA et la Communauté Internationale de sursoir à la prise de sanctions à l’encontre du Burkina Faso[3]. Comme si elle souffrait d’une sorte d’impuissance devant le cas du Burkina Faso.
La spécificité du contexte Burkinabè: La CEDEAO devrait également tenir compte de la spécificité du contexte burkinabè. En effet, contrairement aux cas souvent rencontrés dans la région, la principale force d’opposition aux putschistes, ce n’était pas la Communauté Internationale, ni l’UA, ni la CEDEAO, mais plutôt la population du Burkina Faso.
Il était par conséquent impensable d’envisager une voie de sortie de crise qui ne prenne pas en compte les positions de la population, qui n’écoute pas la population, qui ne l’associe pas. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas tenir compte que de ce que souhaite la population burkinabè, mais au minimum l’écouter et s’assurer qu’il endosse ou tout au moins qu’il n’a rien contre la voie de sortie de crise proposée.
Burkina24 : Au regard de l’état actuel de la situation politique au Burkina Faso après la médiation de la CEDEAO, n’estimez-vous pas que cette crise qu’a connue ce pays n’a pas encore connu un dénouement?
Mathias Hounkpe : A mon avis, les hommes en uniforme ne devraient plus représenter une menace à la transition au Burkina Faso. Et la détermination dont ont fait preuve jusque-là les citoyens pour protéger la transition constituent un rempart solide contre toute autre tentative de remise en cause du processus en cours.
Par contre, comme vous le savez, c’est quasiment la première fois, depuis bien longtemps, que le Burkina organise des élections qui seront véritablement ouvertes et compétitives. Et ce genre d’exercice, surtout lorsque plusieurs candidats pensent qu’ils ont des chances de gagner, présente ses propres défis en terme de risque d’instabilité et de violence. Par exemple, il faudra faire très attention pendant la période de campagne électorale et pendant la période de gestion du contentieux relatif aux résultats des élections.
Les organisations de la société civile doivent s’organiser pour une bonne surveillance de la gestion du processus électoral, s’assurer que les moyens adéquats sont mis à disposition pour les institutions impliquées dans la gestion des élections (au premier rang desquels se trouve la CENI). Elles doivent également travailler à la sensibilisation des populations afin qu’elles participent au processus électoral et évitent de recourir à la rue pour la gestion du contentieux électoral.
Burkina24 : Estimez-vous que la transition burkinabè ait prêté le flanc aux putschistes en excluant les candidats proposés par certains partis politiques dont l’ancien parti au pouvoir le CDP, comme l’estiment certaines opinions?
Mathias Hounkpe : Il faut être clair, rien ne pouvait justifier le putsch et les membres du RSP s’en sont rendu compte à leurs propres dépens.
Cependant, je pense personnellement que la transition a fragilisé sa position en s’attaquant à des questions extrêmement difficiles telles que le sort du RSP, l’impunité des anciens responsables du pays et l’exclusion de certains leaders de l’ancien parti au pouvoir. Je pense que tout ou partie de ces questions auraient pu être laissé pour le nouveau pouvoir qui sortira des prochaines élections.
Burkina24 : Que vous inspire le peuple burkinabè après les différents évènements des 30 et 31 octobre 2014 puis ceux de mi-septembre dernier ?
Mathias Hounkpe : Les Burkinabè nous ont administré plusieurs leçons depuis les évènements des 30 et 31 octobre 2014, dont je mentionne seulement deux ci-dessous.
La première et la plus importante des leçons, c’est que c’est le peuple qui est le principal rempart de la démocratie et qu’il n’y a pas de force, interne ou externe, capable de résister à la volonté du peuple. Si ce n’était pas le peuple, on serait en ce moment probablement en train de conjuguer la révolution burkinabè au passé.
La Deuxième leçon, c’est qu’il y a une évolution au niveau de nos Armées et qu’elles peuvent devenir des forces de contribution à la consolidation de la démocratie. On a observé de moins en moins de coup d’Etat ces dernières années en Afrique de l’Ouest, mais le Burkina vient de nous montrer que l’Armée peut même se lever pour protéger la démocratie.
Mais il reste deux leçons auxquelles nous nous attendons toujours de la part du peuple burkinabè.
La première leçon est qu’il passe le cap des élections dans la paix, c’est-à-dire qu’il utilise les voies légales pour la résolution des disputes qui naîtraient autour des résultats des élections.
Deuxièmement, le peuple burkinabè doit nous montrer qu’à partir de maintenant, ce qui compte réellement c’est la paix, la cohésion nationale et l’avenir du Burkina Faso. Ne pas se laisser divertir par d’autres objectifs qui ne peuvent que l’éloigner de son objectif ultime.
Burkina24 : Que dites vous de la dissolution du RSP, qui vient d’intervenir ?
Mathias Hounkpe : Après le comportement du RSP ces derniers jours, le minimum pour rassurer les citoyens et le peuple burkinabè qu’ils n’ont plus rien à craindre, c’est la dissolution du RSP. Le peuple peut maintenant de façon souveraine décider de faire preuve de magnanimité à l’endroit du RSP et des putschistes, mais il faut pour cela, au minimum, qu’il n’ait plus rien à craindre d’eux. Et la dissolution est la manière la plus crédible pour atteindre ce résultat.
Interview réalisée par M. Kouamé L.-Ph. Arnaud KOUAKOU
Burkina24
[1] Communiqué Final, Sommet Extraordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, Abidjan le 27 mars 2012.
[2] Communiqué, 544e Réunion du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, Addis Abéba le 18 septembre 2015.
[3] Communiqué Final, Session Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement sur la Crise Politique au Burkina Faso, Abuja, le 22 septembre 2015.
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