Seydou Traoré: « Le problème de notre championnat est un problème d’argent ».
Actuellement vice président de l’ASFA Yennega, Seydou Traoré qui a été l’invitation de la rédaction de Burkina24 le samedi 24 mars, a une bonne vue sur le football burkinabé dans son évolution actuelle et se fait une certaine opinion de la prestation des Étalons à la dernière CAN. Il fait donc partie en toute légitimité de ceux dont il fallait avoir l’avis en cette période si riche en événements pour le football national. Il s’est livré avec plaisir au jeu du diagnostic du football burkinabé, de la prestation des Étalons à la dernière CAN, à l’état actuel du championnat national, en répondant aux préoccupation de nos rédacteurs.
Burkina24 (Burkina 24): Vous avez suivi les Étalons à la CAN 2012. Selon vous qu’est ce qui a manqué à l’équipe burkinabé pour franchir le premier tour de cette compétition ?
Seydou Traoré (ST): Pour moi il y a l’aspect tactique. Ça c’est un. Et l’aspect psychologique qui donne l’envie. J’ai vu que sur le plan technique ils étaient là. Techniquement on est fort. On a des joueurs qui peuvent tenir le ballon et quand ils arrivaient à garder le ballon ils pouvaient cinq ou six passes. Mais sur le plan tactique, on a été un peu désorienté. Le fait de faire des changements inopportuns qui n’ont pas marché et autres maladresses ont fait qu’on s’est retrouvé dans cette situation. Sinon moi je sais qu’avec cette équipe là, avec une certaine envie patriotique, ça pouvait marcher. On pouvait aussi gagner sur la rage de vaincre des joueurs. Souvent on peut compenser l’aspect tactique par l’envie ou la rage de vaincre. Mais nos joueurs étaient arrivés à un niveau où il ne pouvait plus se surpasser dans leur envie. Et l’entraîneur n’a pas eu le mot pour les tirer vers le haut. Pour moi, l’aspect tactique a joué parce qu’on a joué avec le même système jusqu’à finir. On n’a jamais changé de système, à part le premier match. Sur le plan tactique, l’entraîneur ne maîtrisait plus son groupe et c’est ce qui a fait qu’on s’est retrouvé dans cette situation de trois défaites.
B24: Les Étalons sont engagés à la Coupe d’Afrique des Nations 2013 et au mondial 2014, que faut-il faire si le Burkina Faso veut participer à ces compétitions ?
ST: Pour moi, il faut donner un second souffle à l’équipe nationale. Aujourd’hui on se préoccupe d’aller chercher des joueurs ailleurs. Ce n’est pas la solution. Il y a des joueurs sur place, qu’est-ce qu’on en fait ? On peut essayer de mettre une certaine concurrence dans l’équipe nationale. Je l’ai dit au président de la fédération : franchement dit pour que notre équipe nationale puisse marcher, il faut envoyer des joueurs qui ont envie, qui veulent quelque chose, qui peuvent tirer l’équipe vers le haut. Et ces joueurs, il faut les prendre au Burkina. Ils faut faire confiance aux joueurs qui sont sur place et essayer de diminuer le nombre des profs, pour qu’eux aussi se remettent en question. Le fait de se remettre en question fait que quand tu viens en équipe nationale, tu vas te battre. Donc ce n’est pas un acquis que d’être dans l’équipe nationale. Il faut donner la chance à chacun de faire ses preuves, profs ou locaux. C’est ainsi que l’on peut donner un second souffle l’équipe nationale. En plus ça va relever le niveau de notre championnat et les profs aussi vont se donner plus s’ils veulent jouer en équipe nationale. Pour moi, ce n’est pas une histoire de quota, mais une question de faire confiance aux joueurs et essayer de faire un mélange avec les professionnels, les meilleurs.
B24: Vous êtes devenu dirigeant, vice président de l’ASFA Yennenga où vous avez joué. Pourquoi avez-vous acceptez ce poste ?
ST: Ce qui m’a motivé, c’était de voir le fonctionnement de la politique du football burkinabé. Quand tu es dehors, tu ne sais pas ce qui se passe dedans, on ne sait pas qui décide, on ne sait pas qui fait quoi. Donc si j’ai accepté ce poste c’est voir comment ça fonctionne. Il est facile de dire que les dirigeant n’ont pas fait ça, sans savoir ce qui se passe. C’est cela qui m’a motivé. Et aussi, je voulais voir avec les autres comment on peut faire pour faire grandir l’ASFA Yennenga. C’est le plus important. J’ai joué à l’extérieur, je suis rentré. Maintenant je compte m’imprégner de tout ce que j’ai vu là bas pour essayer de le mettre en pratique ici. Même si c’est pas à 100%, je peux quand même mettre le tiers de ce que j’ai appris à l’extérieur au profit du club, même si les moyens vont manquer. Le plus important aujourd’hui à l’ASFA Yennenga c’est de faire rentrer les sous. Et pour faire rentrer les sous, il faut des joueurs de qualité qui seront demain vendus. Donc quelque part il faut faire du business autour de l’ASFA Yennenga pour que le club puisse grandir. Aujourd’hui si l’ASEC est à ce niveau c’est par rapport à la vente des joueurs. Ils ont un bon centre de formation et malgré ça ils recrutent, parce qu’ils veulent les meilleurs. Donc c’est ce que nous voulons faire à l’ASFA Yennenga. Aujourd’hui, on doit savoir que le football c’est un business et c’est dans cet esprit que nous voulons travailler pour que l’ASFA Yennenga puisse avancer.
B24: Le niveau du championnat national est de plus en plus décrié. Qu’en-t-il selon vous et que faut-il faire pour donner au Burkina Faso, un championnat fort quand on sait que l’équipe nationale est l’émanation des clubs.
ST: C’est ce que j’ai dit tout à l’heure. Le problème est un problème de sous. C’est clair. Aujourd’hui tu ne peux pas dire à des équipes de l’intérieur de payer les joueurs à cent (100) mille francs, cent cinquante (150) mille francs. Ils ne peuvent pas. Donc déjà, il y a quelque chose qui ne va pas. Même à Ouaga ici il y a des équipes qui n’arrivent même pas à payer les joueurs à une telle somme. Ce que j’aurais bien voulu, quand on prend un entraîneur expatrié, c’est pour ce volet aussi. On le prend par rapport à un réseau. Il a des projets a des projets pour le championnat, il a des projets pour notre équipe nationale. Ce que je n’ai pas aimé, c’est le fait que Duarté soit venu faire quatre ans sans mettre un mettre un projet en place. On ne vient pas seulement pour recevoir. On vient aussi pour donner. Si un entraîneur vient, normalement il doit avoir un projet pour l’équipe nationale. Il y a plein d’entraîneurs qui peuvent envoyer par exemple des sponsors pour notre championnat national si on les prend. Pourquoi on ne va pas viser ces genres d’entraîneurs là. S’ils arrivent à faire rentrer de l’argent, ça fait faire changer le championnat. Il ne faut pas envoyer des entraîneurs qui vont se faire payer et après ils s’en vont. Il peut aussi faire rentrer l’argent avec leurs projets, de vente et de transferts de joueurs, des projets pour les entraîneurs sur place. Et s’il y a de l’argent, il y aura un beau championnat. Je veux bien voir le projet que M. Put va mettre en place. Parce que pour moi, il faut donner au Burkina. Il ne faut pas venir prendre. Moi je veux qu’un entraîneur expatrié donne, qu’il ait un projet pour le Burkina Faso, pour notre championnat qui ont des besoins de sponsors. Parce que si on veut que l’équipe nationale soit forte, il faut un bon championnat. Et un bon championnat, c’est aussi les sponsors. J’ai été à l’extérieur et je sais comment ça fonctionne.
B24: On pense que les joueurs de nos jours, ne pensent qu’à l’argent ? Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
ST: L’argent, ça vient avec le temps. Donc dire qu’ils sont attirés par l’argent c’est trop dire. Souvent on prend de mauvaises décisions. On peut voir l’argent et prendre une décision qui va serrer ton coup après, parce que cet argent va t’amener sur un terrain qui n’est pas bien du tout. Tu peux prendre un chemin où il n’y a pas trop d’argent, mais qui va t’amener plus loin au fur et à mesure. Au lieu de faire trois ans de carrière, tu feras dix ans. Et petit à petit tu auras assez de sous. Mais tu peux avoir l’argent en deux ans et puis ta carrière est foutue. Donc ça dépend de tout un système. Si aujourd’hui on dit que les joueurs sont attirés par l’argent, c’est normal. Parce qu’aujourd’hui chacun pense au lendemain. Le joueur il a 15 ans de carrière. Donc en 15 ans il te faut récolter de l’argent pour vivre pendant cinquante ans après. Donc chacun pense à cette situation et à son avenir.
B24: Lorsque souvent on vous demande votre plus beau souvenir, vous dites que c’est le but inscrit contre la Côte d’Ivoire en 1995 à Abidjan. Pourquoi ?
ST: Comme je le dis, c’était la première qu’on jouait contre la Côte d’Ivoire. Et la Côte d’Ivoire en ce moment venait de prendre la CAN en 92, et en 94 ils étaient en demi-final. Donc imaginez-vous, nous était où en ce moment ? On était dans notre championnat, en train de jouer à la RCK. Donc si on se retrouve en 95 en train de faire un match nul à Abidjan, c’est qu’on a fait un boulot fantastique. Donc ce but a donné une force au Burkina sur le plan sportif parce qu’en ce moment notre football était négligé et il a suffit de ça pour que les consciences s’éveillent. Et le bonus est venu en 98. deux ans après il y a eu le boom.
B24: Dans le passé, vous organisiez chaque année des tournois de football pour les jeunes dans les quartiers. Ce tournoi n’existe plus. Pourquoi avez-vous arrêtez ?
ST: J’ai arrêté l’organisation du maracana parce qu’au fur et a mesure que la compétition grandissait, ça commencé à devenir dangereux. Comme c’était des jeunes du quartier, il y en a qui venait juste pour la bagarre. Comme il n’y avait pas assez de sécurité et que je n’étais pas sur place, j’ai préféré arrêter en attendant de réfléchir aux modalités pour que la compétition puisse bien se passer. Quand vous voyez même les grands tournois, souvent ça devient difficile de gérer parce que la pression est trop. Nous on fait ça pour s’amuser mais il y en a qui ne viennent pas pour s’amuser. Ils viennent avec des supporters, avec des « Loubards » et dès qu’ils sont menés, ils rentrent sur le terrain, ils créent le cafouillage. Il y a eu des moments où des gens sont venus me voir pour dire qu’il y a d’autres qui trichaient. Alors que c’est par plaisir on le fait.
B24: Quels sont vos autres projets pour le football burkinabè ?
ST: Effectivement, je suis en train de mettre en place des projets pour le Burkina. Je suis en train réfléchir à un centre de formation. J’ai mis le projet en place et je suis en train de voir dans quel domaine on va initier cela. Ça c’est le premier. De deux, je suis en train de voir pour mettre en place ma marque de sport. Mais je suis plus sur le côté de l’académie. C’est sur ce projet que je suis en train de bosser pour l’instant.
B24: Pour finir, cette saison, on voit beaucoup les joueurs burkinabè dans le championnat français à l’image de Pitroipa, Alain Traoré, Charles Kaboré, Bakary Koné. Que pensez vous de cette génération de joueurs des Étalons ?
ST: Je dis que c’est une très bonne génération parce qu’aujourd’hui, après plusieurs années nous avons joueurs qui réussissent dans le championnat français. Ça veut dire qu’il y a eu du boulot qui a été fait sur la base de la formation. Ils sont tous issus de centres de formation. C’est ça aussi l’importance de ces centres. Actuellement on a du potentiel au Burkina. Il suffit de le faire sortir les joueurs pour qu’ils puissent monnayer leurs talents ailleurs. C’est ça le plus important aujourd’hui. Si tu prend un joueur camerounais, il a plus de chance de réussir dans les championnats européens qu’un joueur burkinabé. Pourquoi ? Parce qu’ils ont trouvé une filière où ils ont crédibles. Nous n’avons pas encore cela au Burkina. C’est ce qui fait qu’on se retrouve toujours dans une situation difficile. On sait dans quelles conditions Pitroipa est parti en Allemagne, on sait dans quelles conditions Charles il s’est retrouver quelque part. Ils sont partis par des petites portes pour aller sortir par des grandes. Ici on n’a pas encore trouver la bonne filière. La bonne filière, on doit la trouver grâce à nos entraîneurs expatriés. Ils peuvent nous aider dans ce sens. Aujourd’hui il nous faut une bonne filière pour avoir la confiance des gens que nos joueurs partent à l’extérieur et en première division directement, au lieu de passer par un club de D3, D2 avant de se retrouver en première division.
Entretien réalisé par la rédaction de Burkina 24
Retranscrit par Justin Yarga
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