Politique et justice : Les liaisons dangereuses

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Ceci est une tribune de l’avocat Arnaud Ouédraogo sur les relations entre les acteurs politiques et la justice.

Le présent article saisit l’occasion du terme prochain de la Transition politique, ouverte depuis une année au Burkina Faso, et du contexte de compétition électorale pour revisiter le discours des acteurs politiques sur le thème de la justice. L’article tente de démêler la part de sincérité dans l’affichage des bonnes intentions politiques.

  1. Retour sur quelques gags des acteurs politiques

Il faudra encore du temps pour que la neutralité que doivent observer les acteurs politiques à l’égard des affaires de justice soit bien comprise de tous.

Certains actes et propos ont parfois frisé le gag. Ainsi en est-t-il de l’accueil triomphal des avocats d’un parti politique, croyant obtenir une décision de justice censurant l’inéligibilité de ses candidats. Il en est de même de ces propos d’un candidat à la présidentielle, dans un ton de défiance au juge constitutionnel : « Dites-moi qui peut invalider ma candidature ? »

Dans leur « Communiqué Numéro 1 », les auteurs du coup d’Etat justifieront leur fait par l’invalidation de certaines candidatures et promettront d’organiser une élection « inclusive ». Appâté par cette promesse, un responsable politique a cru bon de manifester une certaine bienveillance : « nous ne condamnons pas ce putsch ».

Il n’est pas jusqu’au Président qui n’ait cédé à la tentation de parler à la place du juge. Ainsi, il annoncera des mandats d’arrêt contre des personnalités politiques et jugera que tel candidat ne serait pas touché par l’inéligibilité, avant même que le juge constitutionnel ne se prononce. A cette suite, le ministre de la sécurité ajoutera que cette inéligibilité ne viserait qu’ « une bonne trentaine de personnes ».

  1. Justice sous la Transition : entre haut-faits et méfaits

Certaines procédures judiciaires ne peuvent être initiées sans une volonté politique, les juges ne pouvant s’en saisir d’office. Il en est ainsi de la mise en accusation du Président, des ministres et des parlementaires et de la poursuite de certaines infractions militaires. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités de la Transition ont fait montre d’une volonté politique marquée.

Tous les mécanismes politiques prévus pour actionner la Justice ont été mis en branle : signature de l’ordre de poursuite des infractions militaires ; réhabilitation de la Haute Cour de Justice et mise en accusation de plusieurs ministres. A cela, il faut ajouter le « Pacte pour le renouveau de la justice » et la réforme, suffisamment symbolique pour être soulignée, à savoir que, désormais, le Président ne préside plus le Conseil supérieur de la Magistrature.

Mais la Transition a péché sur d’autres points. D’abord, elle n’a pas fondamentalement remis en cause le fait majoritaire dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale du Président, des ministres et des parlementaires. Comme la poursuite de ces personnalités politiques reste soumise à un vote majoritaire du Parlement, il faut craindre que l’impunité au profit des « camarades politiques » ne perdure.

La Transition a aussi eu tort de ressusciter la fameuse « commission d’enquête indépendante » pour investiguer sur le putsch alors que les juridictions étaient déjà saisies de l’affaire. Ainsi, par un dédoublement de la personnalité, le Premier ministre recevra officiellement le rapport de ladite commission, puis se présentera devant le juge d’instruction militaire pour être entendu, comme témoin ou victime. Le Plan Marshall tant attendu n’a pas non plus eu lieu. Aucune pierre n’a été posée sur une autre pour reconstruire, ne serait-ce que le palais de justice de Bobo Dioulasso décimé par les flammes de l’insurrection populaire. La Transition a enfin commis l’erreur de faire croire que l’horloge judiciaire pouvait se régler mécaniquement sur le temps politique, s’exposant ainsi au reproche de n’avoir pas fait la lumière sur les « dossiers pendants » commis sous son mandat.

  1. Libérez Barrabas ! Les dangers du populisme judiciaire

Le peuple tient symboliquement sa place dans la conscience du juge à travers le public des salles d’audience et les jurés des chambres criminelles. Au Burkina Faso, c’est par effraction et au moyen de l’incendie que les foules ont fait irruption dans les palais de justice. Dans aucun autre pays d’Afrique, l’opinion publique n’est autant hérissée par les questions de justice.

Mais, si la vigilance citoyenne est un précieux rempart pour le juge, on la trouve rarement à l’état pur. Elle est trop souvent investie par des chapelles politiques qui parlent toutes « au nom du peuple » pour mieux se marquer du sceau de l’infaillibilité. C’est pourquoi le juge doit se défier autant des politiciens que des foules et garder la tête froide en toute circonstance. C’est le sens même de l’indépendance de la justice.

Si Pilate avait eu la sagesse de demander à la foule déchaînée, qui réclamait la libération de Barrabas, juste le temps du lendemain pour délibérer, il aurait pris à son compte cette confession désenchantée, venue après l’euphorie de la crucifixion : « vraiment, cet homme était un juste ! »

  1. Les juges intègres, ces mal-aimés de la République

« Nous ne sommes pas des juges acquis », avait récemment lancé un haut magistrat. Venant d’une personne connue pour avoir souffert le martyr de son indépendance, ces mots sonnent comme un renouvellement du discernement. Tout régime politique veut s’appuyer sur les juges acquis à sa cause.

Tout le monde jure, la main sur le cœur, ne pas aimer les « juges acquis » mais, en vérité, personne n’aime non plus les juges intègres et indépendants. Ce sont eux « ces bâtards de Bordeaux » que mentionnait une conversation téléphonique prêtée à l’ancien Président français avec son avocat. Mal-aimé de tous, le juge indépendant n’a pour seul refuge que le for intérieur de sa conscience.

Car « celui qui est dedans est plus grand que celui qui est dehors ». La question reste entière : comment promouvoir l’esprit républicain dans une société où la camaraderie a pris le pas sur le mérite et sur la loi ?

QUI SERA LE PRESIDENT DE LA JUSTICE ?

« Je jure devant le peuple burkinabè et sur mon honneur de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois, de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso ». Tel est le serment que prêtera le prochain Président. Mais les politiciens oublient trop vite.

C’est pourquoi, après les élections, les citoyens devront rester vigilants pour exiger le respect des promesses politiques. Le juge tiendra alors office de « gardien des promesses ».

Maître Arnaud OUEDRAOGO

Avocat

Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne

 

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