Dans le Sahel, des croyants se dressent contre l’extrémisme
L’Union fraternelle des croyants (UFC) est une organisation interconfessionnelle qui a vu le jour par les bonnes grâces du Père Lucien Bicaud en 1969. Elle a une vocation nationale et internationale avec pour mission, la promotion du dialogue pour la paix et le développement. De passage à Dori dans le cadre d’une sortie de presse, nous avons rencontré Kantin Privat Bayala, le chargé de communication qui a répondu à nos questions.
Burkina 24 (B24) : Votre organisation regroupe-t-elle toutes les religions ? Comment êtes-vous organisés ?
Kantin Privat Bayala (KPB) : L’UFC est une association de chrétiens et de musulmans et plus spécifiquement de catholiques et de musulmans. Depuis la fondation en 1969 pour remonter dans l’histoire, c’était un père blanc qui était de passage en mission à Dori, lorsqu’il était arrivé avec des famines qui se sont imposées à un moment donné, il fallait trouver des mesures d’urgences. C’est dans ce sens qu’il a contacté ses amis qui sont venus en aide. Etant donné qu’ils avaient reçu des vivres et qu’il fallait procéder à la distribution, il a négocié avec le grand imam pour soutenir les familles en difficulté.
Avec l’accord du grand imam, ensemble ils ont désigné au niveau catholique six délégués et au niveau musulman six délégués. A cette période, il n’y avait pas encore la tendance protestante dans la région. C’est sur cette base qu’ils ont procédé à la distribution des vivres.
Passé ses étapes de famines, il faut passer à une autre étape, quitter l’assistanat et aider les gens à se prendre en charge. C’est depuis cette période qu’ils se sont engagés à mener des activités de développement socio-économique avec la réalisation d’un stand hydro-électrique qu’on appelle communément les poulies qui sont des retenues d’eau artificielles autour desquelles les gens font de la maraîcher-culture. En plus de ces retenues d’eau, il y a les forages et les puits à grand diamètre.
Depuis, ce sont les deux communautés qui sont membres statutaires de l’UFC. A un moment donné, il y a eu des démarches qui ont été entreprises par l’UFC pour intégrer la communauté évangélique. Jusqu’à présent, les tractations continuent. De façon statutaire, la communauté évangélique n’est pas représentée mais dès lors que nous avons des activités, elle est associée, notamment nos assemblées générales et diverses activités qui sont essentielles pour la cohabitation dans la région du sahel.
B24 : Qu’en est- il du dialogue inter religieux au Sahel ?
KPB : Au niveau de Dori spécifiquement que nous maîtrisons mieux, on peut dire que la situation va bien en termes de cohabitation entre les différentes confessions. Etant donné qu’il y a une base qui a été fondée depuis 1969, les gens ont plus ou moins continué avec cette tradition, faire perpétuer cette cohabitation qui est gagnante pour tout le monde car le travail que nous faisons est un travail de collaboration entre les différentes confessions religieuses.
Dans notre approche, les différentes communautés qui sont membres, ce n’est pas de juger les autres. Dès lors qu’il y a une famine qui frappe, tout le monde est touché. Il y a un certain nombre d’éléments pour lesquels les humains doivent s’associer pour travailler. C’est autour de ce principe que nous travaillons à dépasser ce qu’on pourrait avoir comme différence de croyance. Certains pensent que cela peut constituer un problème. Pourtant comme c’est rappelé au niveau du Coran, la différence est un élément qui a été voulu par Dieu. Donc, on ne peut pas s’en prendre à quelqu’un parce qu’on est différent du point de vue religieux.
B24 : Dori est dans le Sahel, une Zone rouge concernée par le terrorisme. Est-ce que votre organisation s’investit dans la lutte contre ce fléau ?
KPB : Le travail que nous faisons quotidiennement, c’est un travail d’information et de conscientisation. Depuis 2008, nous avons eu à mettre en place un centre que nous avons dénommé DUDAL JAM qui veut dire école de la paix. C’est un centre à travers lequel nous organisons un certain nombre de séances d’information et de sensibilisation de la jeunesse.
Vous n’êtes pas sans savoir que la jeunesse est la partie de la population la plus concernée par le problème de la radicalisation. Nous menons un certain nombre d’activités à l’endroit de la jeunesse où le plus souvent nous avons des panels où un catholique, un protestant et un musulman vient discuter d’un thème donné. Par exemple, comment les religions peuvent contribuer au mieux vivre ensemble ? Ce sont des thématiques pour que les gens puissent découvrir, se découvrir parce que le plus souvent un catholique qui est renfermé, qui ne sait même pas comment la prière musulmane peut se passer, peut avoir des préjugés.
C’est un élément assez important parce que tout simplement, lorsque les gens se rencontrent, ils dialoguent. Cela permet d’éviter beaucoup de choses et c’est ce travail d’information et de conscientisation que nous menons presque tout le temps.
B24 : Est-ce que les autorités religieuses de Dori s’impliquent activement et franchement ?
KPB : Nous avons la chance d’avoir les différents leaders religieux avec nous, notamment l’évêque de Dori qui est le répondant juridique et en même temps conseiller moral au niveau de l’UFC. Nous avons l’imam de la grande mosquée qui est aussi un membre de l’UFC en tant que conseiller moral. Avec ces différents leaders, il y a un certain nombre d’activités qu’ils mènent. Par exemple, quand il y a les fêtes, l’imam se déplace avec une délégation à l’église. Ce qui d’ailleurs frustre certaines personnes. Mais au fur et à mesure, nous faisons un travail d’explication pour faire comprendre aux gens.
C’est vrai que la religion a des principes à suivre mais est-ce que le fait d’aller à l’église peut constituer un frein à la pratique religieuse ? Est-ce qu’il y a des passages qui disent que les musulmans ne doivent pas rentrer dans une église ? C’est autant de questions !
Nous menons actuellement, avec le gouvernement américain, un certain nombre d’actions de prévention du phénomène de terrorisme au Burkina Faso. Dans le cadre de ce projet, nous avons mené des activités notamment un symposium sur la sécurité au cours duquel des recommandations ont été faites pour voir dans quelle mesure on peut travailler ensemble afin d’améliorer la collaboration entre les civils et les militaires. Celle-ci est un peu difficile, toute chose qui handicape grandement la fluidité du renseignement. Pourtant sans les renseignements, on ne peut pas travailler surtout que ce n’est pas une guerre classique où on a en face l’ennemi.
Il s’agit là de conscientiser les populations pour qu’elles puissent prendre en compte cette nécessité de collaboration avec les forces de défense et de sécurité à qui un certain nombre de missions ont été confiées pour la garantie de la sécurité des Burkinabè. Nous travaillons en collaboration avec eux pour voir dans quelle mesure on peut opérationnaliser un certain nombre de choses, surtout sensibiliser la population pour qu’elle prenne part activement à la question de la sécurité parce que si on confie cela seulement aux forces de défense et de sécurité, je pense qu’on risque de prendre le décor et ce ne sera pas intéressant pour nous
B24 : Avez-vous déjà interpellé les autorités par rapport à certains discours religieux qui s’apparentent à la haine ?
KPB : A notre niveau pour l’instant, à ma connaissance, on n’a pas eu à moins que ce soit des éléments qui ont pu m’échapper. Mais jusqu’à présent, quand on sent quelque part qu’il y a une situation qui peut dégénérer, on attire l’attention des gens.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE et Ismène KPEDJO (Stagiaire)
Burkina 24
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