Prostitution au Burkina Faso : « Après Sankara, la lutte se relâche »
Elle y aura consacré une majeure partie sinon toute sa vie professionnelle. Ce samedi 28 juillet 2018, cinq heures durant, Nènè Amy Traoré/Ouédraogo, a défendu avec brio sa thèse de doctorat autour de la prostitution, qui « même si elle est exercée par choix, nécessité ou contrainte, les opinions et les réactions par rapport à la pratique ont toujours oscillé entre la tolérance, la réprobation mais jamais l’acceptation » .
La thèse « L’Etat face à la prostitution au Burkina Faso (Haute-Volta) de la période coloniale à la IVème République (1896-2016) » objet de la soutenance de la commissaire de police, directrice de la police judiciaire, Nènè Amy Traoré/Ouédraogo, est « le fruit du courage et de la détermination » que son directeur de thèse le Pr Bazemo Maurice lui a toujours reconnus. Et ce, depuis sa deuxième année au département d’histoire et archéologie de l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo.
Après son mémoire de maitrise sur « la cour suprême au Burkina Faso : son évolution » en 2004, elle s’est attaquée dès 2007 à la problématique de la prostitution avec un mémoire de fin de cycle de formation à l’école nationale de police (ENP) pour le diplôme de commissaire de police avec pour thème « la contribution de la société civile à la lutte contre la prostitution par racolage dans la ville de Ouagadougou ».
« L’élan n’est pas brisé », s’est réjoui le Pr Bazemo et Nènè Amy, « en tant que femme » et se sentant « interpellée parce que commissaire de police », optera jusqu’au bout en poursuivant avec « Les régimes politiques et la lutte contre la prostitution au Burkina Faso, de la période coloniale à 2008 » pour l’obtention du DEA en 2009. Avant de clore neuf ans plus tard par la thèse de doctorat.
Des garnisons militaires et de la prostitution
La doctorante a au cours de ses recherches pu établir le « lien pertinent entre les garnisons militaires et la prostitution » qui s’est « modernisée et intensifiée » à la suite de leur création sous l’ère du colonisateur. Cette découverte combinée aux autres suffira au Pr Aka Kouamé de l’université Houphouët-Boigny pour dire que « le travail est bien informé » et que « l’enquête orale est de bonne facture par le nombre et la qualité des personnes interrogées ».
Du volet sociologique de la recherche
L’historienne influencée par la commissaire de police avait face à elle, en plus des enseignants du département histoire et archéologie du Togo et de Côte d’Ivoire, Gomgnimbou Moustapha, directeur de la recherche à l’Institut des sciences de la société au CNRST, la maître de conférences Badini Fatoumata du département de sociologie qui vient d’intégrer le cercle des professeurs titulaires.
Même si elle aurait bien voulu ne s’attaquer au phénomène que sous l’angle historique, « influencée » au cours des recherches par « la prostitution considérée comme une pratique qui porte une atteinte à la dignité humaine », elle finira par rendre une thèse pluridisciplinaire.
Ce sujet que « tous les membres du jury ont trouvé sensible, a été traité avec objectivité » dira la sociologue au sortir de la soutenance. Pr Badini Fatoumata s’est réjouie que la candidate ait essayé d’analyser, d’examiner toutes les actions politiques menées par les différents régimes qui se sont succédés contre ce phénomène « considéré comme un sujet à la fois tabou mais dont il convient de regarder en face ».
Regarder la prostitution en face …
Ce que tous les pouvoirs successifs n’ont pas réussi à faire. « Les pouvoirs publics semblent ne plus regarder la prostitution en face. La situation désastreuse de la sexualité parait ne plus les intéresser si bien que la société en ait arrivé à une banalisation du commerce du sexe », a posé, impuissante la doctorante, au cours de la défense de son travail.
« Il y a un vide pour ce qui concerne l’attitude des autorités politiques au Burkina face à la prostitution », ira jusqu’à dire le Pr Bazemo qui félicite son étudiante d’avoir « voulu rompre un silence » car « il le fallait ». Parce que « la prostitution, même si elle est exercée par choix, nécessité ou contrainte, les opinions et les réactions par rapport à la pratique ont toujours oscillées entre la tolérance, la réprobation mais jamais l’acceptation », analyse la doctorante.
De l’exploit de Thomas Sankara
Un seul pouvoir depuis la Haute-Volta indépendante jusqu’à la date de 2016 a réussi l’exploit. Celui du révolutionnaire Thomas Sankara.
« On constate que dans une société contemporaine où la pauvreté et le chômage sévissent, les mœurs et les valeurs morales profondément transformés par le capitalisme, les libertés de conduite au niveau de la sexualité poussée à leur paroxysme, certains individus n’hésitent plus à recourir aux pratiques ignobles et dégradantes soit pour survivre, soit pour augmenter leur profit. C’est dans ce contexte que le sexe a acquis une valeur marchande, est devenu un simple produit de consommation et alimente ainsi le marché du sexe qu’est la prostitution », dit-elle.
Les membres du jury, qui ont connu la révolution – burkinabè ou pas – ont chacun leur petite idée sur l’exploit du Président Thomas Sankara. « Sous ce régime, rapporte le Pr Bazemo, la lutte contre la prostitution est plus vigoureuse ». L’explication qu’il en donne est que « cela se devait à l’idéologie que portait le régime et la personnalité du président Thomas Sankara qui s’est montré avec une certaine détermination pour essayer de soigner une société qu’il reconnaissait malade ».
Le Pr Aka Kouamé a lui aussi rendu compte que c’est sous le gouvernement révolutionnaire de Thomas Sankara que « les pouvoirs publics prennent à bras le corps la lutte contre la prostitution dans le cadre général de promotion de la femme burkinabè ». Ce qui en soi fut « une rupture significative ». Cependant, a déploré l’historien, « on se rend compte qu’après Sankara, la lutte se relâche au niveau du gouvernement et que finalement la place est laissée aux initiatives individuelles ».
Parlant des prostituées, la commissaire de police a constaté et trouvé « exceptionnelle leur grande capacité de résistance, leur courage extrême face à un quotidien fait de violence, de méfiance, d’insultes et de mépris ». Elle les observe néanmoins impuissante, « considérées comme porteuses de tous les vices » et dont la « présence au quotidien sur le trottoir en dépit de ce qu’elles endurent est un acte politique à part entière même lorsqu’elle n’est relayée par aucune doctrine ou étayée par aucune revendication ».
Nènè Amy Ouédraogo ne cache pas qu’elle déplore « les difficultés des pouvoirs publics à faire la part des choses entre ces deux options (abolir, réglementer) et de mettre en place des stratégies pour lutter efficacement contre le phénomène ».
De l’appréciation du travail abattu
Au finish, résume le directeur de thèse, « c’est la commissaire de police qui parle à la fin pour permettre d’endiguer le phénomène ». Et le Pr Aka K. d’entonner : « on peut dire aujourd’hui que c’est un travail qu’on ne peut pas ignorer quand on veut faire une étude sur la prostitution. Vous êtes devenue une vraie spécialiste de la question au Burkina Faso. Mon avis est très positif sur votre travail ».
La note tombera sans grande surprise. « Votre thèse a été jugée recevable et en conséquence, vous avez été déclarée digne du titre de docteur avec la mention très honorable », proclamera le jury présidé par le Pr Kadango Kodjona de l’Université de Lomé.
Comme elle le soulève dans les perspectives, Nènè Amy Traoré/Ouédraogo, l’historienne influencée par le flic qu’elle est, déplore le fait qu’« on agit toujours sur l’offre et pas la demande ». Elle se réjouit d’avoir apporté sa pierre à l’édification de la société burkinabè : « la lutte pour soutenir cette thèse valait la peine ».
Oui Koueta
Burkina24
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Je suis tous ta fait d’accord avec Madame la comissaire de police Néné Amy Traoré/Ouedraogo…il faut a tous prix mettre fin a ce délire…
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