Cécile Thiombiano: « J’ai honte du cadre juridique du mariage au Burkina »
Le mariage d’enfant est passible de sanction au Burkina Faso. Malgré les textes, le phénomène reste fréquent. Plusieurs observateurs pensent d’ailleurs que le cadre juridique du mariage au Burkina « légalise » d’une manière ou d’une autre le mariage d’enfant. Cécile Thiombiano/Yougbaré, femme juriste très active dans la promotion des droits humains, gestionnaire de projets et programmes de promotion du genre et des droits humains, mariée et mère de trois enfants, analyste des politiques de santé, en dit plus dans cet entretien.
Burkina24 (B24) : Qu’est-ce qu’un mariage, selon vous ?
Cécile Thiombiano/Yougbaré (CTY) : J’aime bien la définition du Code des personnes et de la famille qui définit en son Article 237 le mariage comme la célébration d’une union entre un homme et une femme. Avec le nouveau Code Pénal du 31 mai 2018, le législateur, si je peux dire ainsi, a élargi cette définition car au niveau de l’Article 531, on parle de toute forme d’union entre un homme et une femme célébrée devant un officier d’état civil ou selon les règles coutumières ou religieuses.
B24 : Qu’est-ce qu’un mariage forcé ?
CTY : Le mariage forcé, c’est une union entraînée par une tierce personne et qui n’émane pas de la libre décision de ceux qui sont mis en union. L’élément caractéristique étant l’absence de consentement.
B24 : Qu’entend-on par mariage d’enfant ?
CTY : C’est une union impliquant un garçon ou une fille de moins de 18 ans, si je me réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant. Et au niveau international, le terme recommandé est mariage d’enfant et non mariage précoce. Car, quand on dit mariage d’enfant, c’est pour soulever effectivement cette précocité de l’âge. L’enfant étant défini comme toute fille ou tout garçon âgé de moins de 18 ans.
B24 : Mais, certaines filles sont trahies par leur physique ?
CTY : Quelle trahison ? Je ne sais pas si c’est le physique qui détermine l’âge forcément. Je pense que nous devons quitter dans des suppositions. Et si vous voulez parler des hommes qui tombent involontairement sur des filles mineures, rien ne les empêche de demander l’âge de la fille ou d’investiguer.
Souvent le silence profite à ces hommes, sinon quand on approche une fille ou ses alentours (amis, familles, connaissances…), on saura forcément. Alors, c’est un faux problème de vouloir se cacher derrière la maturité précoce des enfants.
B24 : Que disent les textes au Burkina Faso en matière de mariage ?
CTY : Alors là, il faut savoir que personnellement j’ai honte du cadre juridique du mariage au Burkina. Il est vrai que le Code des personnes et de la famille est sur le chemin de la révision, mais l’analyse que nous faisons du contenu non encore révisé est que la législation burkinabè ne protège pas les enfants dans certaines conditions.
L’Article 238 du Code des personnes et de la famille fixe l’âge de mariage des filles à partir de 17 ans et à partir de 15 ans en présence d’un motif grave, par exemple la grossesse. Pour le même motif grave, l’âge requis en ce qui concerne le garçon qui en principe est fixé à partir de 20 ans est ramené à 17 ans. Le Tribunal civil peut accorder une dispense d’âge en cas de motif grave.
Ce cadre est vraiment en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant ainsi que l’Article 6 du Protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique qui stipule que, je cite : « L’âge minimum de mariage pour la fille est de 18 ans » et que le libre et plein consentement des deux parties est obligatoire.
B24 : Qu’est-ce qui est prévu en cas de violation de ces présents textes ?
CTY : Il faut savoir que le nouveau Code Pénal punit les auteurs et complices de mariage d’enfant par des peines d’emprisonnement allant de 1 à 3 ans si la victime est mineure, et surtout si la victime a moins de 13 ans, le maximum de la peine est prononcé. Les complices aussi ne sont pas épargnés. De façon générale d’ailleurs, contraindre une personne à un mariage entraîne une peine d’emprisonnement de 1 à 2 ans selon aussi le Code Pénal de mai 2018.
B24 : Avez-vous une idée de l’ampleur du phénomène au Burkina Faso ?
CTY : En termes de prévalence, on note qu’au Burkina, une femme sur 10 est mariée ou est en union avant l’âge de 15 ans, et une femme sur 2 est mariée avant l’âge de 18 ans d’après l’EDS 2010. Une étude publiée en 2015 par l’UNICEF montre que ce phénomène a la peau dure au Burkina avec des pratiques qui favorisent les dons, les rapts, les échanges de filles, etc… Concernant ces mariages, l’Afrique de l’Ouest enregistre 77% de filles qui se sont mariées avant l’âge de 18 ans.
En 2011, ce taux n’était pas très éloigné de celui du Burkina. Selon un autre rapport de Population Council, le mariage précoce se produit fréquemment dans les zones rurales, où 62% des filles âgées de 20-24 ans sont mariées avant l’âge de 18 ans. Ces études montrent que le Burkina Faso fait partie des pays où la prévalence des mariages d’enfants est la plus élevée en Afrique de l’Ouest.
Avec des disparités par région et par milieu tant rural qu’urbain. L’ampleur des mariages d’enfant au niveau rural étant plus élevée. Au Sahel du Burkina par exemple, l’étude de l’UNICEF sur « Mariage d’enfant, grossesse précoce et formation de famille en Afrique de l’Ouest et du centre » avait relevé que le pourcentage des filles de 15 à 17 ans qui s’étaient mariées avant l’âge de 18 ans au niveau rural était de 51,3% au Sahel suivi de l’Est avec un taux au niveau rural de 23,5%.
B24 : A quel niveau, selon vous, est située la responsabilité ?
CTY : Une responsabilité partagée. Mais se référant au cadre juridique et aux mesures non sévères et pas assez dissuasives, l’Etat a sa part de responsabilité. Néanmoins, une responsabilité première des parents qui doivent veiller au bien-être de leurs enfants et penser surtout scolarité. Le mariage d’enfant est un facteur clé d’activité sexuelle et de grossesse à risques. Aussi, savons-nous que la grossesse précoce contribue largement aux taux élevés de mortalité maternelle et post-infantile. Alors les parents doivent prioriser le bien-être socio-sanitaire de leurs enfants.
B24 : Finalement, c’est quoi la solution, selon vous, juriste ?
CTY : Actuellement, je dirai qu’en plus de la sensibilisation et la vulgarisation des lois et programmes, l’Etat doit mettre l’accent sur la répression. Pour finir, il faut dire que ces constats que j’ai relevés sont des analyses faites du Code des personnes et de la famille en révision.
Et j’aimerais saluer ici déjà les efforts des acteurs étatiques, des partenaires techniques et financiers ainsi que des organisations de la société civile qui plaident depuis et qui ont travaillé à faire des propositions plus adaptées et plus respectueuses des droits des femmes et des filles en matière de mariage et de lutte contre les violences.
Vivement que nous ayons, pourquoi pas à la première session parlementaire de 2019, cette loi révisée et adoptée. Et définitivement le gouvernement affirmera encore son leadership reconnu au niveau international pour la promotion et la protection des droits des femmes. Vivement !
Propos recueillis par Noufou KINDO
Burkina 24
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