Violences communautaires au Burkina : L’appel de Ablassé Ouédraogo
Dans cette déclaration, Ablassé Ouédraogo lance un appel aux Burkinabè.
Peuple du Burkina Faso, lorsqu’en janvier 2016, les premiers attentats terroristes au Burkina Faso ont eu lieu à Ouagadougou, l’émoi a été général, les condamnations ont été unanimes et le gouvernement nous a abreuvés de slogans farfelus. Aujourd’hui, soient trois ans après, non seulement la situation ne s’est pas du tout améliorée, mais plus grave, tout se passe comme si nous, peuple du Burkina Faso, nous accommodons de la mort lâche et quotidienne de nos enfants. La mort est banalisée. Il ne se passe plus une semaine, sans qu’on apprenne que dans telle ou telle autre localité de notre pays, il y a eu des attaques avec toujours plusieurs de nos enfants froidement abattus.
Permettez-nous, à cet instant, de réitérer le soutien de Le Faso Autrement à nos Forces de Défense et de Sécurité engagées dans une guerre asymétrique et traumatisante sans ennemis identifiés. Nous saluons leur travail sur le terrain et les sacrifices énormes consentis par nos hommes.
Cependant, nous nous devons d’attirer leur attention sur le fait qu’il est indispensable que toutes leurs opérations soient ordonnées et exécutées dans le strict respect des lois et règlements de la République. La victoire du peuple burkinabè sur les extrémismes ne doit être entachée d’aucune irrégularité.
Depuis 2016, la violence ne fait que s’accroître dans notre pays. Aux attaques isolées se sont ajoutés les massacres de masses avec pour motivations, les rivalités inter-ethniques et inter-communautaires. Le bilan en seulement quelques mois devrait nous donner le tournis à l’échelle nationale. En effet :
Dans la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janviers 2019, pendant que le reste de l’humanité célébrait le passage à une nouvelle année, ici, chez nous au Burkina Faso, plus précisément à Yirgou dans la province du Sanmatenga, région du Centre-nord, des violences ont éclaté et entraîné la mort de plus de 210 de nos compatriotes, selon le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés. Quelle triste manière d’entrer dans la nouvelle année ? Quelle poisse pour notre pays, jadis connu comme terre de concorde et de convivialité ? Bien évidemment, il y a eu les pleurs et les condamnations, et plus rien. Pas même un deuil national n’a été observé par les gouvernants à la mémoire des disparus. Et comme rien n’a été vraiment fait pour éviter que cela ne se transforme en spirale infernale, il y a eu répétition et maintenant généralisation ;
Du 3 au 4 février 2019, à Bahn dans la province du Loroum, Kaïn dans le Yatenga, région du nord et à Bomboro dans la province du Sourou, région de la Boucle du Mouhoun, plus de 146 personnes ont été tuées à la suite des violences survenues (cf. le Communiqué du 4 février 2019 des Forces de Défense et de Sécurité) ;
Du 31 mars au 1er avril 2019, à Zoaga, dans le Boulgou, région du Centre-est, huit (8) personnes ont péri dans des violences inter-communautaires ;
Du 31 mars au 2 avril 2019, à Arbinda dans la province du Soum, région du Sahel, le communiqué du gouvernement fait état de 62 morts enregistrés dans des confrontations inter-ethniques. Ce chiffre sera revu certainement à la hausse d’ici là, si l’on écoute les informations détenues par d’autres sources locales.
Cette macabre énumération ne devrait laisser aucun de nous indifférent. Avec ces tueries de masses ciblées, il est clair que les prémices du génocide généralisé sont déjà là. C’est l’avenir du Burkina Faso qui est compromis avec l’impact négatif enregistré dans l’éducation et la formation de nos enfants. Plus de 100.000 élèves et plus de 4.000 enseignants sont affectés par cette situation.
C’est pourquoi, le Parti Le Faso Autrement, par notre voix, s’indigne profondément et condamne avec la dernière vigueur, cette série de violences qui s’installent progressivement dans notre pays, qui est naturellement multi-ethnique, multi-culturel et divers. C’est une richesse incommensurable qui a toujours permis aux populations de vivre ensemble en bonne intelligence et dans une symbiose parfaite, faisant ainsi de la cohésion sociale une réalité.
Nous exhortons toutes les autorités, à tous les niveaux, à tout faire pour éteindre au plus vite, tous les foyers de tensions, des plus petits aux plus grands. Justice doit être rendue avec diligence aux victimes de ces tueries individuelles et de masses. Chacun doit comprendre que rien, absolument rien, ne peut aujourd’hui justifier qu’on ôte la vie à son semblable qui, lui aussi, est une créature de Dieu, le même Dieu en qui nous croyons tous, quel que soit le nom par lequel nous l’appelons.
La relative tranquillité ou sécurité des populations des grands centres urbains, tels que Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, ne devrait pas nous faire oublier le calvaire quotidien de nos frères et sœurs des zones reculées du pays. Que l’on vive à Ouaga 2000 ou à Yirgou, on est tous fils de ce pays et à ce titre, on devrait tous bénéficier de la même protection sécuritaire.
Peuple du Burkina Faso, au-delà de nos indignations et condamnations légitimes, nous avons le devoir collectif de nous demander pourquoi nous en sommes arrivés à cette situation aujourd’hui. Qu’avons-nous fait pour mériter qu’on vienne ajouter de la misère et du sang à notre pauvreté ?
Il est plus que temps pour nous, de nous rendre à l’évidence que les choix que nous avions faits pour la gouvernance de notre pays n’étaient pas les bons. Le rôle premier d’un gouvernant, le devoir sacré d’un gouvernant, c’est de protéger son peuple et ses Biens. On peut comprendre que les premières explosions de violence aient pris par surprise nos autorités nationales, mais on ne pourrait comprendre et encore moins accepter que cela se répète et se généralise dans une impuissance totale. Le manque d’anticipation est total. Rien ne semble être fait pour prévenir ces violences et empêcher qu’elles ne se répètent. Le Burkina Faso n’a pas besoin d’un gouvernement qui viendra juste par des communiqués laconiques nous annoncer que tous les jours que Dieu fait, nos enfants se font tuer froidement et sans raisons valables.
Comme on le dit souvent, gouverner, c’est prévoir. Mais, force est de constater que dans le cas du Burkina Faso de SEM Rock Marc Christian KABORE, cela n’est vrai qu’en matière électorale. La capacité d’anticipation du Président en matière de promulgation des lois électorales non consensuelles est forte. Depuis déjà un an, c’est-à-dire après seulement deux ans d’exercice désastreux du pouvoir d’Etat, le Président KABORE anticipe déjà sa réélection en 2020 au mépris total de la misère quotidienne du peuple qu’il est censé conduire et qui, aujourd’hui, vit dans la peur.
Sinon, comment comprendre que pendant qu’une bonne partie du territoire national est hors contrôle, parce que secouée par des attaques répétées, pendant que des ethnies entières s’entretuent dans notre pays, le Président du Faso, censé nous protéger tous, envisage un passage en catimini à une cinquième République. Quelle indécence ! Quel manque de respect au peuple ! On ne le dira jamais assez, le Burkina Faso aujourd’hui ne souffre d’aucun problème institutionnel, mais plutôt de mauvaise gouvernance. Ce n’est donc pas d’un changement d’institution ou de Constitution dont on a besoin au pays des Hommes intègres, mais bien d’un changement des hommes à la tête de ces institutions, en commençant bien évidemment par la plus importante.
Le Président Roch Marc Christian KABORE n’ayant pas entendu ou compris notre appel à changer de fusil d’épaule ou à jeter l’éponge, il appartiendra au peuple souverain, en son temps, de le décharger. Mais pour que le peuple, seul détenteur de la souveraineté, puisse objectivement exercer son droit, il lui faut rester uni, solidaire et conscient du fait que le bonheur ne sera réel que s’il est équitablement partagé. La prise de conscience collective est donc indispensable. C’est pourquoi, nous en appelons à la prise de conscience et de responsabilité de tous les Burkinabè des villes et des campagnes.
La banalisation des tueries quasi-quotidiennes est extrêmement dangereuse pour nous tous. Rester silencieux ou inactif face au sort des populations tuées revient à être un complice passif de ces exactions. N’attendons pas que les instances internationales commencent à prononcer le mot de génocide avant de nous rendre compte que notre pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans les abîmes.
Nos différences devraient être notre force ! Il nous appartient donc, à tous, d’exiger de nos autorités politiques, administratives, judiciaires, religieuses et coutumières de tout mettre en œuvre pour que de pareilles tragédies ne se produisent plus jamais sur le sol sacré du Burkina Faso. Trop de sang a coulé et trop de morts ont été enregistrés. C’en est assez! Et nos ancêtres ne devraient pas être fiers de ceux qui nous gouvernent. Et la poisse tenaille le Burkina Faso.
Peuple du Burkina Faso, pendant qu’il est encore temps, c’est-à-dire maintenant, donnons-nous la main ; acceptons que nos différences nous grandissent et nous enrichissent ; asseyons-nous pour nous parler et nous pardonner mutuellement ; réconcilions-nous entre nous et réconcilions notre pays avec lui-même, pour qu’enfin, nous puissions, ensemble, envisager un avenir commun qui soit radieux dans un Burkina Faso prospère où le bonheur est partagé !
Dieu sauve le Burkina Faso !
Ouagadougou, le 23 avril 2019
Dr Ablassé OUEDRAOGO
Commandeur de l’Ordre National
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