Tribune │ « NON ! Tonton Simon Compaoré, la forêt est le premier hôpital de l’Homme ! »
Les déclarations continuent d’affluer sur la question du déclassement de la forêt de Kua.
J’ai été attristé en lisant la vidéo de M. Simon Compaoré partagée sur les réseaux sociaux, vidéo relative à la forêt classée de Kua. Une chose est d’en être triste, une autre est de faire en sorte d’éviter cette situation, d’où cet écrit pour aider M. Compaoré à connaitre l’importance d’une forêt (puisqu’il affirme ne pas la connaître).
De l’origine de l’aménagement forestier
L’origine des aménagements forestiers au Burkina Faso remonte à la période coloniale avec la constitution d’un domaine forestier reparti en forêts classées et protégées. Motivé par le souci d’éviter la déforestation du pays et de créer des barrières climatiques végétales, le classement des forêts au Burkina a été entrepris par le décret du 04 juillet 1935 portant constitution d’un domaine forestier dans l’Ex- Afrique Occidentale Française.
Le démarrage des activités d’aménagement se situe dans les années 1980 suite à la création du service de l’aménagement forestier et dans le cadre des projets Bois de village. Cela s’est traduit en 1981 par l’élaboration et la publication de la politique d’aménagement des forêts classées, dont l’objectif essentiel est la satisfaction des populations en produits forestiers locaux ligneux, tout en préservant l’environnement.
Cette politique a abouti à la prise en compte de 3 engagements (lutte contre la divagation des animaux, lutte contre la coupe du bois et lutte contre les feux de brousse) le 22 avril 1985 et, depuis, plusieurs politiques se sont enchainées (Voir aménagement forestier et gestion des forêts classées urbaines par les collectivités territoriales : cas du parc urbain Bãngr-weoogo, 2009, 52p).
Le domaine classé de l’Etat couvrait une superficie de 3.815.000 ha soit environ 14% du territoire national (dont 888.000 ha de forêts classées, 390.000 ha de parc nationaux). Cependant, de 1980 à 1992, les superficies des formations forestières ont régressé de 105.000 ha/an (MME 1996), témoignant du problème. C’est fort de ce constat alarmant que l’Etat Burkinabè s’est engagé dans la mise en œuvre d’actions visant à améliorer l’environnement à travers des politiques d’aménagement des forêts et de lutte contre la désertification.
Rappelons que M. Compaoré a été bourgmestre de la ville de Ouagadougou et que la forêt urbaine Bãngr-weoogo (ex forêt classée du barrage) avait été rétrocédée à la commune de Ouagadougou par le ministère de l’environnement et de l’eau en 2001 (souvent on parle de rétrocession partielle, la gestion de 80% des dépenses étant assurée par la commune grâce à des subventions). C’est assez surprenant qu’après avoir passé 17 ans à la tête de la mairie Centrale de Ouagadougou, avec une action communale qui mettait l’environnement (Opération Ouaga la verte) au cœur de ses préoccupations, M. Compaoré affirme calmement aujourd’hui ne pas connaitre l’importance d’une forêt.
L’importance d’une forêt, parlons-en !
Cher M. Compaoré, aujourd’hui vous êtes engagé dans le projet de déstructuration de la forêt de Kua (Bobo Dioulasso), quel paradoxe pour quelqu’un qui a contribué à mobiliser tant de ressources pour l’aménagement et l’entretien du Parc Urbain Bãngr- Weoogo (Ouagadougou). Pour votre information, les écosystèmes d’une manière générale et ceux forestiers en particulier, procurent de nombreux bénéfices aux êtres humains appelés le plus souvent « services écosystémiques ».
De façon simple, les services écosystémiques représentent les avantages que les populations retirent des écosystèmes. Le caractère indispensable des services écosystémiques pour le bien-être humain a été largement documenté (MEA 2001-2005, TEEB 2010, IPBES…).
L’étude TEEB (2007-2010) en s’appuyant sur celle du MEA, a proposé une classification dans le souci de rendre la notion de services écosystémiques compréhensible. Les services sont classés en quatre (4) catégories dont les services d’approvisionnement (nourriture, eau, matériaux bruts, ressources génétiques, ressources médicinales et ressources ornementales) ; les services de régulation (qualité de l’air, climat, flux des eaux, prévention de l’érosion, purification des eaux, control des insectes nuisibles, fertilité des sols, pollinisation….) ; les services « habitats » (maintien du cycle de migration des espèces et maintien de la diversité biologique) et enfin, les services culturels (paysage, recréation et tourisme, spiritualité, culture, l’art, design et le développement cognitif).
Au vu de tous les avantages que les populations retirent des écosystèmes notamment des forêts, je me permettrai de paraphraser l’économiste français, François Perroux : « les forêts permettent de nourrir les Hommes, de soigner les Hommes et d’éduquer les Hommes ».
S’il est évident que les hôpitaux n’ont pas pour but de soigner les chats et les lions, mais des Hommes, il n’en demeure pas moins que les forêts permettent aux Hommes d’éviter les maladies. Le plus grand traité de médecine au monde ne dit-il pas que l’Homme doit se préserver de la maladie afin de ne pas devoir lutter contre elle ; car tout Homme attendant qu’elle se manifeste avant de prendre soin de soi est comparable à celui qui creuse un puit alors qu’il est déjà en proie aux affres de la soif (Nei King au 5e siècle av. JC) ?
Aussi, un actif naturel comme une forêt a une valeur qui dépasse de loin celle du bois produit. Depuis la prise de conscience de l’importance des écosystèmes, les économistes se sont donnés pour objectif de mesurer la valeur économique totale des actifs naturels (VET). Elle intègre différentes formes de valeurs : valeurs d’usage et de non usage qui sont généralement décomposées en plusieurs notions spécifiques de valeur.
La valeur d’usage se réfère aux bénéfices qu’un utilisateur tire directement ou indirectement des écosystèmes. Les usages directs peuvent consommer les ressources (chasse, pêche, cueillette…) ou pas (randonnée, contemplation de la nature). Quant aux usages indirects, ils correspondent aux avantages n’impliquant pas d’interactions directes avec les actifs, tels que la régulation du climat, l’épuration des eaux…
Les valeurs de non usage quant à elles n’impliquent aucune consommation physique des ressources. Par exemple, la valeur d’existence représente l’intérêt que les agents portent au fait de savoir que la ressource existe indépendamment des usages réels ou potentiel ; la valeur de legs représente le consentement à payer pour que les générations futures puissent profiter de la ressource. Quant à la valeur d’option, elle est relative au consentement à payer pour préserver l’option d’avoir la ressource ou des services disponibles à l’avenir lorsqu’il y a une incertitude attachée à son utilisation.
Déclassement de la forêt de Kua : ressaisissez-vous !
Cher M. Compaoré, le projet de déclassement, ne serait-ce que d’une partie de la forêt classée de Kua pour réaliser un hôpital sera une grave erreur aux conséquences multiples que le gouvernement et votre parti (MPP) assumeront dans la prochaine page de l’histoire du Burkina Faso. Un tel projet est en totale contradiction avec les efforts consentis par la communauté internationale pour accompagner le Burkina Faso dans la Gestion durable des Forêts.
J’en veux pour preuves les projets et programmes (et pas des moindres) de gestion durable des forêts soutenus par les partenaires du Burkina Faso. A titre d’exemples, je citerai le Programme d’Appui à la Gestion Durable des Ressources Forestières (AGREF) basé à Bobo Dioulasso, le projet EBA-FEM, le projet Barefoot collège, Programme d’Investissement Forestier (PIF), le Projet d’Appui au Développement de l’Anacarde (PADA) dont le siège est à Bobo Dioulasso, et les financements du Fonds d’Intervention pour l’Environnement (FIE). Détruire la forêt classée de Kua, même en partie, serait un véritable déni du partenariat solide que le pays entretient avec les partenaires techniques et financiers pour la gestion durable des forêts.
Les velléités d’occupation des forêts (parfois menées par des hommes politiques) sont déjà perceptibles dans certaines communes. Mais les services de l’Environnement ainsi que les projets et programmes sont assez résilients à ce sujet. Si vous détruisez la forêt classée de Kua, attendez-vous à une destruction massive des autres forêts classées (surtout à l’Est du pays par parallélisme de forme !)
Il n’est jamais tard pour bien faire. Il est donc temps de reconnaitre que ce projet de déclassement de la forêt classée de Kua est une erreur. D’autres sites peuvent accueillir l’hôpital de référence pour lequel vous voulez détruire la forêt. Trouvez un espace qui ne soit pas un hotspot de diversité biologique pour l’érection de l’hôpital ô combien important pour la population burkinabè et les peuples amis du Burkina Faso. L’histoire vous applaudira si vous renforcez le potentiel de ladite forêt en y plantant des arbres (oui oui !). Dans le cas contraire elle vous condamnera fermement pour un crime environnemental contre les générations futures.
« Protéger l’environnement, c’est préserver l’avenir de l’Homme » l’auteur m’est inconnu.
Dr. Sidnoma TRAORE
Economiste de l’Environnement
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Suivre la chaine
Restez connectés pour toutes les dernières informations !
Restez connectés pour toutes les dernières informations !