Economie : « Eco », la dualité d’une monnaie qui divise la Cedeao et l’Uemoa
Le projet de création d’une monnaie unique qui devrait irradier l’ensemble des pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Cedeao, a été conçu en 1983 et serait en voie de devenir une réalité en 2020. Le 29 Juin 2019 à Abuja au Nigéria, en validant le calendrier de la mise en œuvre de l’ « ECO », le nom de cette nouvelle monnaie, les chefs d’État et leurs collaborateurs qui ont travaillé sur la question avaient convenu d’un modèle fédéral pour ce qui est de la banque centrale et opté pour un régime de change flexible. Toutefois, la version définitive sortie des assises du 21 Décembre dernier, toujours au Nigéria semble avoir écarté ces conclusions, ruinant ainsi, les participations du Ghana et du Nigéria, ce qui laisse penser à un Franc Cfa relooké.
L’ « Eco » en vigueur dès Juillet 2020 gardera une parité fixe avec l’Euro. La France glisserait de son statut de gestionnaire du FCfa à celui de garant de l’ « Eco », ce qui constitue l’un des points d’achoppement entre les pays de la Cedeao d’une part et d’autre part le Ghana et le Nigéria notamment qui y voient leurs intérêts nationaux anéantis.
Tout comme plusieurs spécialistes des questions monétaires issus de la zone Uemoa, Dr. Obadiah Mailafia, ex-vice-gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria (CBN) et également ex-membre de la Banque Africaine de Développement (BAD), a critiqué le processus de la mise en œuvre de l’ECO. Selon lui, le projet monétaire de l’ « Eco » qui devra concerner l’ensemble de la sous-région s’avère dorénavant comme une « une épée à double tranchant qui divisera la CEDEAO… Le Nigéria se retrouve avec l’option du dilemme de prisonniers qui font cavaliers seuls et isolés; ou face à la perspective humiliante de rejoindre un club qui a été fondé par une puissance étrangère méprisée », a-t-il expliqué.
Il a rappelé qu’en 2000, les dirigeants de la CEDEAO se sont mis d’accord sur un plan de création d’une monnaie régionale unique appelée «ECO». Ce plan prévoyait que les pays anglophones à savoir le Nigéria, le Ghana, la Gambie, la Sierra Leone et le Libéria ainsi que la Guinée formeraient une monnaie qui fusionnerait plus tard avec la zone franc CFA. L’Union Africaine avait alors approuvé un plan beaucoup plus vaste pour créer une monnaie unique à partir de la fusion des différentes monnaies régionales. A cet effet, l’Institut Monétaire Ouest-Africain (WAMI) avait été créé, l’année d’après en 2001 pour coordonner les efforts d’intégration monétaire des pays anglophones.
L’appellation « ECO » adoptée le 29 juin 2019 par les dirigeants de la CEDEAO à Abuja au Nigéria pour cette nouvelle monnaie a plutôt été utilisée pour renommer le Franc Cfa dans sa parfaite forme actuelle, c’est-à-dire une monnaie cautionnée par la France et arrimée à l’Euro.
Le Ghana, pays membre de la Cedeao mais non membre de l’Union Economique et Monétaire de l’Ouest Africaine, UEMOA, et deuxième PIB de cette sous-région africaine, a indiqué par la voix de son Président Nana Akufo-Addo ce dimanche 29 décembre 2019 son engagement à rejoindre les huit pays de la zone franc CFA dans l’utilisation de l’Eco.
Toutefois, le critère de parité fixe avec l’euro ne rencontre pas l’assentiment du président ghanéen, Nana Akufo-Addo. Il dit dans un communiqué que «nous, au Ghana, sommes déterminés à faire tout ce que nous pourrons pour rejoindre les membres de l’Uemoa [Union économique ouest-africaine, NDLR], rapidement, dans l’utilisation de l’eco, qui, nous le croyons, nous aidera à lever les barrières commerciales et monétaires », a-t-il déclaré.
Dans son communiqué, le président du Ghana a, toutefois, appelé à l’abandon de la parité fixe à l’Euro pour « l’adoption d’un régime de change flexible ». Au cas où cette barrière était levée, le Ghana abandonnera, sa monnaie le Cedi et deviendrait la première économie de la zone « Eco », devant la Côte d’Ivoire.
Tout comme le Nigéria, cette réforme du franc CFA qui deviendra dans les mois prochains « Eco » est loin de le satisfaire car l’exigence d’une monnaie commune ouest-africaine et déconnectée du Trésor français n’étant pas respectée.
Objectifs totalement divergeant entre l’« Eco » Uemoa et l’« Eco » Cedeao
Le chef d’État ivoirien et son homologue français en annonçant, le samedi 21 décembre 2019 à Abidjan en Côte d’Ivoire, une « réforme historique » du franc CFA, ont évoqué entre autres, les contestations et le rejet de ce système monétaire par l’opinion des huit (8) pays de l’Uemoa.
« Le Franc CFA était perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique. Doncrompons les amarres, ayons le courage d’avancer, de regarder et de bâtir ensemble un partenariat décomplexé. La France n’a rien à cacher, n’a aucun privilège à avoir », a estimé Emmanuel Macron.
Outre une modification du nom de la devise, qui deviendra l’Eco, l’accord prévoit deux changements importants. Il est mis fin à l’obligation pour la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de placer 50 % de ses réserves de change auprès du Trésor français. Et la France ne siégera plus dans les organes de décision et de gestion de l’Uemoa. Ces deux points cristallisaient de longue date la critique sur une monnaie « post-coloniale ».
Cet accord obtenu aux termes de longues négociations avec la France est certes une réforme profonde mais pas une révolution. Et pour preuve, l’ « Eco » des huit pays de l’Uemoa gardera sa parité fixe avec l’Euro (1 euro = 655,96 francs CFA) et la garantie de convertibilité par la France « afin d’attirer les investissements privés, de créer des emplois et de poursuivre le développement de nos pays, » a souligné Alassane Ouattara, président en exercice de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Uemoa.
Tout ceci a laissé dire certains experts qu’ « il s’agit bien d’une réforme qui reste bien loin d’une révolution ».
De l’autre côté, la monnaie unique « Eco » telle que réfléchie par les instances des Etats de la Cedeao et dont le lancement avait été repoussé au moins quatre fois depuis 1983 visait à parachever l’intégration économique ouest-africaine après l’instauration d’une zone de libre-échange, puis la mise en place progressive d’une union douanière en 2015.
Il en ressort, par conséquent, deux visions différentes pour une seule et unique monnaie d’où cette dualité qui éloigne de sa réalisation, l’ « Eco », cet ambitieux et révolutionnaire projet de fédération monétaire au sein de la Cedeao.
La dualité entre l’Eco de l’Uemoa ou encore « Eco Ado-Macron » et l’Eco de la Cedeao
Au sortir de ces différentes tendances, il en ressort une dualité évidente entre l’Eco de l’Uemoa, proclamé à Abidjan par les Présidents Ouattara et Macron et l’Eco de la Cedeao, longuement préparé et s’étendant à l’ensemble des pays réunis au sein de cette organisation sous-régionale.
L’ « Eco » de la Cedeao, selon certains experts devrait conduire à davantage de souveraineté et d’indépendance dans l’élaboration de la conduite monétaire ou des politiques de développement de manière générale contrairement aux traits présentés par l’ « Eco » très prochainement en vigueur dans l’Uemoa.
Le processus qui a marqué les différentes étapes du projet de l’ « Eco » version Cedeao n’ayant jamais évoqué une parité fixe vis-à-vis d’une monnaie encore moins la garantie ou encore la tutelle d’une quelconque puissance économique. Cette démarche garantirait l’espace de souveraineté et la marge politique dont disposeraient les Etats de la Cedeao.
Malheureusement, l’ « Eco » dans sa version Uemoa, telle que dévoilée récemment à Abidjan devrait faire reculer cette vision de conquête d’espace de souveraineté et ce, tant que cette monnaie pèsera sous le poids d’une puissance occidentale à travers des notions de garantie et d’arrimage.
Kouamé L.-Ph. Arnaud KOUAKOU
Burkina24
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