Burkina : La lutte contre les Maladies Tropicales Négligées dans un contexte sécuritaire et sanitaire difficile

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Les maladies tropicales négligées (MTN). Leur évocation ne provoque pas toujours grand-chose dans les esprits, tant elles sont reléguées à l’arrière-plan. Pourtant, environ un milliard de personnes dans le monde en souffrent selon l’OMS. Au Burkina Faso, la lutte contre ces maladies est organisée autour du programme de lutte contre les maladies tropicales négligées (PLMTN). Sur la vingtaine de MTN reconnues par l’OMS, le Burkina en traite neuf dont cinq par la chimiothérapie préventive. Selon Christine Sawadogo, attachée de santé au sein du programme, beaucoup de victoires d’étapes ont été remportées, mais le plus gros frein depuis ces cinq dernières années est le terrorisme, qui empêche les équipes d’aller où le besoin se fait sentir. En plus de l’insécurité,  la crise sanitaire de la maladie à coronavirus a impacté les actions du programme au cours de l’année 2020.  Entretien.

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Comment est organisée la lutte contre les maladies tropicales négligées au Burkina Faso ?

Au Burkina Faso, les maladies tropicales négligées font partie du plan national de développement sanitaire dans lequel est créé un projet de lutte contre ces maladies. Ce programme est chargé de :

– Définir les orientations

– Coordonner la lutte contre les MTN

– Favoriser l’activité de recherche dans la lutte contre les MTN.

Au Burkina Faso, quelles sont les MTN qui bénéficient plus d’actions sur le terrain ?

Parmi les 20 MTN retenues par l’ONU, 19 sont présentes au Burkina Faso. Mais seulement 9 bénéficient d’actions sur le terrain : la filariose lymphatique, l’onchocercose, le trachome,  les vers intestinaux, la schistosomiase, la trypanosomiase humaine africaine la lèpre, la maladie du verre de Guinée et la dingue. Cinq autres sont inscrites sur le plan stratégique du programme mais elles sont toujours en attente de financement afin de connaître leur ampleur.

On se rend compte que la prévalence des MTN varie d’une région à une autre comment cela s’explique ?

Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord la condition socio-économique des populations (maladies des pauvres), la perception des populations face à ces maladies, le climat et l’environnement (manque d’hygiène).

En ce qui concerne la filariose lymphatique, vous verrez qu’elle est présente sur l’ensemble du territoire. La région du Sud-Ouest a le taux de maladie le plus élevé. Ensuite, suit le centre et en troisième position la région de l’Est.

Pour la schistosomiase, la région du Sahel est une zone fortement endémique quand bien même c’est une maladie liée à l’eau. Même si la région n’a pas assez d’eau, le fait est que c’est une zone de nomades qui utilisent beaucoup l’eau de surface.

Certaines MTN sont-elles beaucoup prises au sérieux que d’autres ?

Je dirais  plutôt qu’en fonction des stratégies de lutte, l’accent est plus mis sur les MTN à chimiothérapie préventives. C’est pour pouvoir interrompre le cycle de transmission, libérer certaines zones et protéger les générations futures.

Nous en avons cinq : la filariose lymphatique, l’onchocercose, la schistosomiase, les verres intestinaux et le trachome. Les partenaires ont privilégié cette stratégie   pour avoir un impact. Ce sont des activités préventives afin de rompre la chaîne de transmission et protéger les personnes.

Pour ce qui est de la prise en charge intensive des cas, dont la deuxième stratégie, ce sont des maladies qui demandent des budgets plus lourds. Pour la filariose et le trachome, ces deux stratégies sont prises en compte. C’est pourquoi la plupart des partenaires s’intéressent à la première stratégie.

Qu’est-ce que la chimiothérapie préventive ?

C’est une distribution de médicaments à travers des campagnes  à la population. Vous avez des maladies pour lesquelles il faut donner une seule molécule et d’autres une association de molécules.

Les populations font-elles recours aux services de santé quand elles sont porteuses de ces maladies ?

Beaucoup de facteurs ont limité et limitent toujours le recours des populations aux services de santé. D’abord, la perception socioculturelle de ces maladies. Pour la filariose et la schistosomiase, les gros pieds et l’hydrocèle sont une manifestation visible. Avant la mise en œuvre de la lutte contre ces maladies, le système de santé ne présentait rien les concernant si bien que les populations se retournaient vers les tradipraticiens ( la perception générale de la population était que la filariose était liée à un sort ou une punition divine et pour la schistosomiase, pisser du sang était un phénomène de maturité, le passage de l’enfance à l’adolescence).

Vous comprenez qu’avec ces perceptions, les gens ne vont pas d’emblée se tourner vers les services de santé. Maintenant, ce qui continue de limiter leur recours aux services de santé, c’est l’accessibilité financière. Pour la chirurgie de l’onchocercose et du trachome, c’est coûteux.

Sur le terrain, il y’a des ONG qui tentent de subventionner ces opérations, est ce fonctionnel, efficace ?

Nous avons des partenaires qui nous accompagnent et nous en avons bénéficié dans le cadre d’un projet sous régional de lutte contre le paludisme et les MTN qui regroupent le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cet appui nous a permis de faire des camps de chirurgie et dans le cadre de l’appui d’USAID, nous avons eu un appui pour la chirurgie ondulatoire de trichiasis trachomateux. Là, ils vont carrément devant les concessions, font sortir les personnes atteintes pour la chirurgie et les soins de relais passés au CSPS (centre de santé et de promotion sociale). Il y en a qui nous ont donné des ressources que nous avons mis à la disposition des blocs opératoires pour leur permettre de prendre en routine les malades gratuitement. Mais toutes les zones ne sont malheureusement pas couvertes et c’est aussi pour un temps limité.

Le budget national alloué au MTN est-il consistant ?

La mobilisation des ressources pour la mise en œuvre des activités, reste un défi majeur. Vous voyez que nous avons seulement la première stratégie dont les activités sont prises en compte, les autres MTN à prise en charge intensive sont toujours en attente.

De façon générale, les ressources ont-elles été revues à la baisse à cause du contexte sanitaire de la covid-19 ?

Non, mais des réajustements ont été nécessaires pour prendre en compte les mesures barrières dans la mise en œuvre de certaines activités. Certains partenaires ont appuyé le programme pour la mise en œuvre de ces mesures avec la fourniture en gel et cache- nez .

Mais d’une manière générale, les budgets ficelés au départ ne prenaient pas en compte la distanciation physique. Cela fait que pour deux ou trois véhicules prévus pour les sorties, on se retrouvait avec quatre  afin de réduire le nombre de personne par véhicule. Ces réajustements ont donc été faits en tenant compte des mesures barrières à la covid-19.

Quels sont les goulots d’étranglement fréquents dans les actions de lutte contre les MTN au niveau du programme ?

C’est principalement l’insuffisance des ressources, les perceptions socioculturelles et enfin ces dernières années, le problème sécuritaire qui nous empêche de mener nos activités dans certaines régions.

Comment vous évaluez à votre niveau l’impact de la distribution des médicaments à titre préventif ?

Les évaluations d’impact menées chaque année ont montré une baisse de la transmission de ces MTN.

La covid-19 n’a-t-elle pas impacté  les campagnes de chimiothérapie préventive ?

Avec l’apparition du covid-19 au cours du premier trimestre et compte tenu des mesures barrières, nous avons dû surseoir à toutes nos activités au niveau du ministère de la santé. Le personnel a été réquisitionné pour aller en appui au CORUS (centre des opérations de réponses aux urgences sanitaires) pour pouvoir lutter contre la maladie, donc un impact négatif. Les activités ont repris vers la fin du deuxième trimestre ce qui nous a fait repousser les activités de traitement de masse au troisième trimestre.

Ce retard n’a-t-il pas occasionné une recrudescence des MTN dans certaines régions ?

Non, parce que ce sont des maladies focales, pas des maladies à potentiel épidémique. Il faut réunir des conditions de développement du vecteur pour que la maladie se repande et il y a surtout que la prévalence de ces MTN a considérablement baissé. Il faut un temps assez long pour remarquer un phénomène de recrudescence ; deux ou trois mois ne sont pas suffisants pour remarquer un phénomène de recrudescence.

Le programme a–il exécuté des activités liées à la deuxième stratégie ?

À l’heure où je vous parle, les actions menées sont pour la plupart de la première stratégie. Parce qu’il y a des activités d’impacts qui sont très importants, mais la majorité de nos activités ont été exécutées.

À vous entendre, le Burkina Faso est vers une éradication des MTN, quelles sont les victoires et les défis à relever ?

Il y en a qui sont à éradiquer, à éliminer et à contrôler. Éradiquer, c’est faire en sorte qu’il n’y ait plus un cas, éliminer, c’est réduire à un seuil de sorte à ce que la maladie ne soit plus un problème de santé. Contrôler, c’est travailler à contrôler l’évolution des MTN.

Concernant les victoires, nous avons la mise en œuvre régulière des campagnes de traitement de masse des MTN. La campagne de lutte contre la filariose a commencé en 2001 et la conduite régulière des évaluations de traitement d’impact sur le plan quantitatif.

Sur le plan qualitatif, nous avons l’éradication de la maladie du verre de Guinée depuis 2011, en 2019, 61 districts sur 70 ont arrêté le traitement de la filariose lymphatique, et la transmission du trachome est interrompue depuis 2017.

Concernant la schistosomiase, dans 62% des districts, le taux de prévalence est nul depuis la période 2017- 2018. Quant aux verres intestinaux, le taux de prévalence est très basse (5%) et l’OMS estime que nous n’avons plus besoin de traitement les concernant.

Quels sont les défis ?

C’est l’insuffisance des ressources, la situation sécuritaire et le manque de communication pour adhérer les populations aux services de santé.

Harouna Drabo

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