Ici Au Faso | Recollage des capots : 30 ans d’expériences dans son corps
Basé à Kamsontenga, une banlieue non loin de la Capitale burkinabè, Émile Tiendrébéogo, la cinquantaine, fait un travail spécial. Il recolle les morceaux de capots abîmés des engins à deux roues, depuis plus de 30 ans. Père et mère de sept enfants, ce veuf se débrouille tant bien que mal pour subvenir aux besoins de sa famille. Bref ! Son entourage manque de mots pour le qualifier…
Ses doigts et son dos courbé portent les stigmates du labeur, mais surtout de la dignité. Assis sur un banc d’infortune sous un arbre devant un brasier, un petit poste de radio derrière lui. De loin, on aperçoit un nuage de fumée noire se dirigeant vers le ciel. Un quinquagénaire captive l’attention des passants de cette grande voie rouge de Kamsontenga, village relevant de la commune rurale de Komsilga située à une dizaine de kilomètres au Sud de Ouagadougou.
Une voie comme plusieurs autres de la capitale burkinabè qui souffrent de ces gros nids-de-poule causés par les eaux de pluie. Ce n’est pas seulement l’homme qui attire le plus la curiosité, mais tous ces capots fracassés des motos accrochés sur un fil de fer et même sur certaines branches de l’arbre sous lequel il bénéficie de l’ombre.
Il est presque le seul dans ce village à faire ce travail. Il inspire le respect de ses clients quant à son expérience et son travail bien fait. Émile Tiendrébéogo n’est pas mécanicien. Mais son job, c’est de recoller les capots cassés des motos. Un métier qu’il mène avec fierté depuis plus de 30 ans.
Assis, un capot de moto entre ses jambes, un brasier à côté, avec divers instruments qu’il utilise, Émile Tiendrébéogo se fait assister souvent par son fils d’à peine une dizaine d’années. Gentil et hospitalier, il nous accueille, sourire aux lèvres, pendant que le soleil rejoint peu à peu sa cachette.
Émile est passionné de son art. L’air concentré et jovial, il est imperturbable et manie avec maestria les capots. La journée a été longue, mais cela se ressent difficilement sur son visage.
Il s’entretient avec nous, tout en maniant ses capots avec dextérité. Il a, d’ailleurs, un client présent sur les lieux qui attend qu’il retouche ses capots endommagés.
Et à Émile Tiendrébéogo de nous relater que recoller les morceaux de capots abimés des motos est un travail qui l’affectionne depuis son enfance…
Je n’ai pas été formé par quelqu’un…
Il n’a pas eu de mentor. C’est un travail qu’il a appris de lui-même, précisément au marché Théâtre populaire situé non loin du cimetière municipal de Ouagadougou.
« Je n’ai pas été formé par quelqu’un. J’ai commencé au temps des motos P50, je reparais les couvercles et les capots des P50 jusqu’aujourd’hui où ces motos ont presque disparu. Ça fait 30 ans que je fais ce travail », retrace-t-il.
Du Théâtre populaire, Émile Tiendrébéogo migre vers Kamsontenga, son village natal où il propose ses services à ses frères et sœurs de la localité. Il admet qu’il arrive à gagner sa vie malgré la modestie des moyens. Père de sept enfants, le premier des fils a emboité les pas du daron. Le petit a décidé de rester au Théâtre populaire. Un choix libre, animé par les bénédictions de son géniteur.
« Il y a plus de 10 ans de cela que j’ai décidé de quitter le Théâtre populaire. Mais mon premier fils est resté là-bas où il fait le même travail. Particulièrement je me débrouille pas mal grâce à ce travail, bien sûr », argumente-il. Émile a perdu son épouse, il y a près d’un an. C’est avec des « maigres » revenus de son travail qu’il parvient à entretenir sa famille et même scolariser ses enfants.
« J’ai perdu ma femme en décembre 2021. C’est vraiment difficile pour moi en ce moment où je joue désormais deux rôles. Car je suis à la fois leur père et leur mère. C’est la vie, on ne peut pas tout dire mais je prie le bon Dieu pour qu’il m’aide à les soutenir surtout les plus petits jusqu’à ce qu’ils grandissent et finissent leurs études. Ce n’est pas facile pour moi surtout en cette période de rentrée scolaire », témoigne-t-il.
Il n’y a pas une grille tarifaire fixe chez ce désormais « père et mère » pour recoller un capot endommagé. Cela dépend de l’ampleur de la cassure. Le jour où le marché décide de lui être favorable, il peut s’en sortir avec 10 à 15 mille FCFA dans la journée. Mais quand les journées noires surgissent, il regagne sa maison, mains bredouilles, des fois…
Émile Tiendrébéogo revend aussi les capots des motos...
« Les prix normalement dépendent des cassures. Si les cassures sont énormes, c’est là également que les prix montent. Mais il y a aussi certaines personnes malgré la gravité des cassures, ils n’ont pas l’argent pour payer ce qu’on lui demande. Mais on arrive à s’entendre et à faire leur travail », complète-il.
Émile Tiendrébéogo ne se contente pas seulement de raccommoder les capots abimés. Il collabore avec les mécaniciens chez qui il achète des anciens capots qu’il revend à son tour. « Je revends les vieux capots aussi. Parfois, il n’y a pas de clients qui viennent faire arranger leurs capots, il y a certains qui viennent acheter des vieux capots que moi j’achète avec les mécaniciens. Cela me permet d’avoir quelque chose de supplémentaire hormis les capots que j’arrange », dit-il.
En réalité, Émile Tiendrébéogo a plusieurs casquettes. En dehors de restaurer les capots cassés des motos, il répare aussi des selles et des amortisseurs des motos. Toutefois, son activité de base reste celle de recoller les capots. Il rêve de mettre en place une maison de vente des pièces détachées uniquement de capots si des opportunités financières se présentent à lui.
« Il y a des gens qui viennent me demander des nouveaux capots, je me dis que si j’ai des moyens, je peux améliorer mon travail en ouvrant une boutique de vente des capots », envisage-t-il. Il mérite les éloges et la confiance de sa clientèle qui ne fait que s’accroître.
Abdoulaye Tiendrébéogo est l’un de ses clients, venu pour raccommoder les capots de sa moto cassés lors d’un accrochage en circulation.
« Je suis venu chez mon ami pour qu’il m’aide à réparer mes capots. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps, quand de telles circonstances m’arrivent ou arrivent à quelqu’un de mon entourage, c’est chez lui qu’on vient. Il le fait tellement bien. J’avoue que des fois, il me le fait gratuitement comme cette fois d’ailleurs », admet-il sans gêne.
En face du lieu de travail d’Émile Tiendrébéogo, il y a un mécanicien des engins à deux roues. Victor Bandé, se nomme-t-il. Lui, également, ne tarit pas d’éloges sur Émile.
Ce dernier dit travailler en collaboration avec celui-ci. Victor Bandé est marié et père de trois enfants. Il raconte que son amour pour la mécanique remonte depuis son enfance. Lui et Émile ont des parcours similaires, dit-il.
Ce sont des moyens qui manquent
Toutefois, il relève quand même quelques difficultés dans l’exercice de ce métier qu’il a tant convoité depuis qu’il est tout-petit.
« Le problème du travail d’Émile et moi, c’est que des fois, ce sont des moyens qui manquent surtout pour agrandir le garage comme les autres. De façon particulière dans notre métier, il n’y a pas de grands ennuis. Mais avec le peu que je gagne, j’arrive à nourrir ma famille et gérer d’autres besoins élémentaires », rapporte-il. Victor Bandé a un garage et une petite boutique de vente des pièces de rechange.
Sur le même alignement que l’atelier d’Émile Tiendrébéogo, juste à côté, se trouve Souleymane Ouédraogo. Il est dans le lavage des motos et des véhicules. Certains clients qu’il accueille, dit-il, c’est son voisin Émile qui les oriente vers lui.
Il apprécie également le bon voisinage entre lui et Émile Tiendrébéogo. D’ailleurs au cours de nos échanges, c’est Émile Tiendrébéogo qui jouait le rôle d’interprète car Souleymane Ouédraogo ne maitrise pas la langue de Molière.
Il dit avoir choisi ce petit job, par manque de travail et pour ne pas se lancer dans des mauvaises pratiques dont la plupart des jeunes y sont plongés aujourd’hui. Le Burkina Faso traverse une situation sécuritaire sans précédent. Et les autorités affirment que ceux qui sont à la manœuvre sont des fils de cette nation.
Des projets innovants pour des jeunes…
« 90 % des terroristes qui attaquent le pays sont des Burkinabè », affirmait Évrard Somda, le chef d’État-major de la Gendarmerie nationale, le 24 septembre 2022 alors qu’il prenait la parole à une rencontre sur la cohésion sociale. À ce propos, Souleymane Ouédraogo invite le gouvernement à mettre en place des projets structurants et innovants en faveur des jeunes pour les occuper.
« Le gouvernement doit créer des emplois pour des jeunes. Si les jeunes ont quelque chose à faire, même si les terroristes viennent les corrompre, ils n’accepteront pas laisser leur travail pour y aller », propose-t-il, tout en observant Émile, dans ses manœuvres, sous son arbre… à pain.
Willy SAGBE
Burkina24
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