Tribune | « Le moment churchillien du Peuple burkindi » (Mamadou Djibo)
Ceci est une tribune de Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, Philosophe, sur l’actualité au Burkina Faso intitulée « Le moment churchillien du Peuple burkindi ».
A la mi- avril 1994, mon frère et ami, Dr Boniface Kaboré et moi-même signions une Tribune dans Le Droit, le quotidien d’Ottawa, Canada. Notre plume dénonçait le « Sauve-qui-peut » des Occidentaux abandonnant le peuple africain tutsi du Rwanda aux mains de ses bourreaux hutus extrémistes, tout autant Africains.
Pour les massacres de Yirgou, j’ai interpellé dans un poème de compassion, le Gouvernement insouciant et comateux du régime MPP lorsque survint ce pogrom dans « La République à la Morgue » paru dans le faso.net. J’ai lancé un appel, il y a déjà trois mois, au vaillant Peuple souverain du Burkina, sur les vertus de pardon pour nous rassembler et nous réconcilier à l’occasion de la demande épistolaire de pardon de l’ancien Président Blaise Compaoré.
Des prises de position intellectuelle sur la détresse, la haine et l’esprit de mort qui étreignent certains de nos compatriotes africains, ostracisés, stigmatisés et tués lâchement sur le sol africain. Le faisant dès 1994, alors doctorant à l’Université d’Ottawa, j’étais loin de penser qu’un petit matin tumultueux, dans la ville d’une partie de mes parents, Nouna, dans le secteur 6, que la même vermine allait frapper nos compatriotes peuls. Je condamne cette odieuse animalité orchestrée, vu la sélection opérée des concessions.
Winston Churchill, le Lion britannique, victorieux sur le chef nazi Hitler disait contre tous les lâches de Westminster, que l’on mène et gagne une guerre au nom des valeurs et principes. Seules les valeurs du Burkindi que sont le pluralisme religieux, la tolérance, l’intégrité et la justice comme équité et comme réparation sont constitutifs du droit des gens du Burkina, pour ainsi dire, le contenu local de ce Moment churchillien.
Que le Chef Suprême des Armées les incarne, alors la confiance du Peuple en son Gouvernement brillera de mille feux. Nul besoin de s’énamourer d’armée privée, russe, américaine ou française. Soyons raisonnables. Machiavel lui-même les taxait d’affreux soldats.
D’ailleurs, pour nos ancêtres, seule la levée de masses sied contre toute tentation hégémonique. Les Bwaba, ce peuple respectable, le firent contre l’ordre colonial en 1916. Le Père de l’Armée, le Président Yaméogo refusa net, l’offre française. Pour lui, on ne confie pas la garde de sa case à l’enfant d’autrui. Vous voulez une preuve de loyauté militaire ? En voici une de Loyauté militaire ancestrale. Qu’on s’y colle !
En effet, la crise aigüe entre les djihadistes maliens du GSIM et ceux du djihad de EIGS va s’amplifier dans le Liptako-Gurma, excepté, le Sahel Occidental (frontière Mauritanie). Est-ce une raison de stigmatiser les peuls ou de lier son sort à une affreuse armée privée ou étrangère ? D’abord l’armée privée Wagner de Prigojine a administré son inefficacité opérationnelle criarde à être un plus aux côtés des FAMa.
Du centre, Mopti à Douantza vers Bandiagara, le pays Bamana Ségou et le pays Sénoufo Sikasso, Banfora, nous connaissons, certes, un gel qui n’est pas le fait de Wagner. Mais, historiquement, les revendications territoriales des Peulhs portent sur ces étendues du Mali central, le long du fleuve Djoliba, comme le territoire du proto-Etat peul ou Empire Peul du Macina (1818-1853).
Le territoire que le djihadiste Amadou Kouffa veut reconstituer. Cette région joue aujourd’hui, pratiquement, l’immédiate période précédant la pénétration coloniale française de 1880. Deux proto-Etats s’opposent. L’EIGS versus Empire Peul du Macina avec Al qaeda au sein du Mali pour razzier le Liptako Gurma. Mais l’identité nationale malienne est forte.
Elle est la plus vieille de la sous-région. Le Mali survivra au maëlstrom combiné de djihadisme, de revendication irrédentiste peule, de séparatisme tamasheq et faillite morale du leadership. La vertu des élites marquera la fin du délitement de nos Etats post coloniaux.
En attendant, le Burkina paie, hélas, la même note sécuritaire par convexité. Si un Etat sahélien se délite par la corruption des élites, il échouera toujours à assurer les services de base, à réguler les vieux problèmes de nomadisme, rassemblements, pâturage et transhumance des bêtes.
C’est le constat au bord du Djoliba : Diafarabé, Djenné, Mopti, Sévaré et jusqu’à la Falaise de Bandiagara. La crise du pastoralisme campe donc les crises. De Sévaré, plus haut on a le Niger et plus bas, Tougan où j’ai fait mes études collégiales, Nouna, Dédougou, Barani au Burkina Faso et San au Mali où certains Peuls radicalisés, sont à cheval entre les deux pays. Ils font face aux peuples grands cultivateurs sédentaires Sanans, Dafings, Bwaba et les allochtones Yarga, etc.
Cette lecture historique ne saurait justifier pour autant les pogroms de Yirgou à celui du pogrom peul de Nouna. C’est une grille de lecture qui renvoie nos gouvernants à leur responsabilité historique et je dénonce cette fixation puérile sur l’Armée française ou sa panne d’efficacité opérationnelle ou son refus du partage d’informations en renseignement technique avec nos forces.
Il n’y a d’armée forte et efficace que d’Etat efficace, social et démocratique. Proposons des contrats de combats coordonnés et sous commandement burkinabè aux forces militaires étrangères sur zone. Si elles sont partenaires, c’est un oui franc. Sinon, avisons. Nos choix sont souverains, encore faut-il qu’ils soient éclairés, pragmatiques et pour l’intérêt général. Le Burkina nous a tout donné. Défendons-le, en étant responsable ! Solidaires autour du vivre-ensemble.
Le pogrom de Nouna est totalement inacceptable. Force doit rester à la loi. Il n’y a pas de bavures pour tout gouvernement vraiment adossé sur le Burkindi. Parce que « Toute vie est une vie. Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique », déclare le Serment du Mandé de 1236.
D’ailleurs ce Mandé Kalikan est inspiré du Code Dozo dans l’exacte mesure où l’Empereur, Mansa Soundiata Kéita, lui-même dozo, l’« octroya » au grand Mandé en guise de Constitution comme le Professeur Ki-Zerbo le consigna. Dire qu’un dozo ou un VDP ou un soldat du Faso a pu se rendre coupable, complice ou commanditaire d’une telle cruauté, le Procureur du Faso l’établira.
Il y a matière. Mais seul l’impératif moral de punir les méchants, sied pour le citoyen lambda. A supposer même que certains peuls soient manipulés au nom de la renaissance de l’Empire peul du Macina (né en 1818 et mort en 1853) tombé en ruines avec les rivalités du Roi Da Monzon Diarra de Ségou. Rien n’explique la punition collective de nos compatriotes peuls.
L’auto-saisine du Procureur du Faso et l’ouverture d’une enquête sont à saluer. Mieux il sied la création d’un pool spécial d’enquêtes qui fasse la lumière sur tant d’assassinats dont le plus récent, c’est celui du père Jacques Zerbo de Gassan. La loi punit les méchants pour prévenir l’agenda des revanchismes, des vendettas. Attention !
Si pour Yirgou, les responsabilités situées n’ont pas été sanctionnées comme il se devait, la lâcheté du Gouvernement MPP fut de demander pardon seulement au Koglweogo et leurs chefs, par souci d’équité et de patriotisme vrai, il fallût en faire autant pour la communauté peule et les chefs peuls. Aujourd’hui, nul patriote ou ami ou amoureux des enfants de ce pays, ne peut assumer le fait qu’il ne savait pas cette conduite irresponsable de l’autorité parce que ségrégative.
Il importe aujourd’hui plus qu’hier, que la réponse à la crise sécuritaire le soit par l’exemplarité morale du leadership. Seules des politiques publiques décentes et l’engagement citoyen des hauts dirigeants pour le leadership de coalition victorieuse restent avant-gardistes.
Si hier le Président Kaboré avait la philosophie en anathème, donc la pensée critique, aujourd’hui, le soldat-Président Ibrahim Traoré, au milieu des enjeux de sécurité, de stabilité de la Patrie et, au sommet des opérations de la troupe, doit savoir incarner, vu l’insurrection terroriste en cours, cette exemplarité par le lien Armée-Nation.
Il n’y a pas de construction d’Etat- Nation sans armée forte. L’Etat fort, social et efficace se jauge dans sa capacité de délivrance des services universels de base. Le droit à la vie et la liberté du corps propre de chacun d’aller et venir, sont des droits constitutionnels. Gouverner par l’exemple et comme il est soldat-Président, il devra faire sienne la directive maoïste qui prescrit qu’une armée doit se mouvoir comme le poisson dans l’eau avec sa population.
Gagner le cœur, remporter d’abord la bataille de l’amitié avec le peuple, c’est construire la confiance fluide de l’agir militaire raisonnable par le renseignement humain, donc avec les enfants de la Patrie.
Oui, la préservation de la paix et la sécurité pour tous, génèrent des contingences et imprévus politiques parfois démentiels lorsqu’une Nation se trouve dans le tourbillon. C’est pourquoi, l’Armée comme corps spécialisé de la Nation se doit d’élever son niveau de conscience citoyenne.
Que ses chefs sculptent l’osmose synchronisée entre l’ordre décisionnel et l’ordre opérationnel mais surtout, qu’ils restaurent une doctrine unique d’engagement de la puissance proportionnée sous une discipline de fer. Nonobstant toutes ces données techniques, si l’armée a perdu son âme, elle ne gagnera jamais la guerre.
D’où gouverner par l’exemple, signifie, ici et maintenant, que l’ordre djihadiste ou séparatiste ne prévale pas au Faso, notre petit territoire comparé à ceux des voisins du Sahel. La main ferme du Président doit sanctionner lourdement les dérives tribales et régionales, dépouiller les corrompus de l’Armée, même de leurs grades.
La corruption des personnels de sécurité et de défense en temps de guerre campe une trahison d’autant plus qu’ils sont sortis des Ecoles de guerre avec l’argent du contribuable. Le bon Peuple ne finance pas des idiots. Et puis, dans la mesure même où la république est réduite, au nom de la lutte contre le terrorisme, à une entité étatique avec une administration proconsulaire par les FDS, ils sont imputables.
A la base de nos ressacs militaires, il y a donc cette corruption des élites. En bas, survivent le tribalisme et la stigmatisation qui, à leur tour, ventilent les soupçons, les accusations de complicité, les pogroms par les supplétifs et éléments zélés. Disons non à l’assimilation absurde des paisibles populations à des terroristes, que d’occurrences ruineuses de paix.
En droit pénal, il n’existe point de punition collective. La responsabilité pénale de X ou de Y est individuelle. D’où vient-il que la puissance de feu publique commette cette injustice immonde ? Nos soldats et VDP ne doivent pas se comporter comme une entreprise de promotion de la peur chez certaines communautés nationales au risque d’échouer à tarir le vivier des recrutements terroristes.
Rassurer les populations constitue une aubaine, un outil efficace pour la lutte contre le terrorisme qui, je rappelle, se fait dans la durée pour désenkyster les djihadistes tandis que les opérations de contre-terrorisme, le propre des VDP et Dozos, demeure ponctuelles. Ce n’est donc pas la même temporalité lors même que nous visons, ensemble, la stabilisation sécuritaire pour renforcer la paix conviviale ancestrale.
Seules les FDS ont la mission d’adapter nos outils d’intégration réussie aux priorités de sécuritaire domestique, de défense et enjeux géopolitiques : djihadisme, crise du pastoralisme, stigmatisation, orpaillages, trafics d’armes, pâturages, souveraineté alimentaire, etc. D’où la nécessité institutionnelle d’une armée nationale forte, proactive et définitivement républicaine qui incarne la Nation.
Sans l’exemplarité morale et la gouvernance par la vertu, jamais une telle armée n’émergera. Il est constant qu’une armée corrompue ne peut tenir ses positions dans l’efficacité opérationnelle, commandée par un Etat-major dont certains officiers supérieurs, il n’y a pas si longtemps, volaient leur grade pour ensuite fuir.
C’est le comble dans l’Armée créée par le patriote, le Président Maurice Yaméogo, vaillamment commandée par les officiers d’honneur comme les Généraux Lamizana, Sy, Garango, les officiers Zerbo et Badembié… Je ne connais pas le nom d’un seul Général dont les étoiles sont éblouissantes, aujourd’hui. L’Institution doit redorer son prestige.
Les CDR, le RSP et aujourd’hui les VDP, nonobstant leur patriotisme, risquent de tuer la première force des armées : la discipline. Et par là même, la doctrine unique d’engagement, la chaîne de commandement, le protocole strict des avancements. Si nous ne sommes plus burkindi, nous sommes donc des entrepreneurs du mensonge et nos dirigeants, des bluffeurs. Le mensonge et la peur ne commandent Jamais un destin intègre.
Sortons de la détestation d’autrui et de la quête irresponsable des bouc-émissaires à nos propres choix déraisonnables. L’irresponsabilité des nôtres est meurtrière. Assez de ces anathèmes farfelus sur la France ! Il faut s’assumer parce que nous sommes des peuples respectables. 62 ans d’indépendance, c’est peu par rapport à l’hégémonie millénaire.
Mais la conscience nationale rattrape le gap comme mémoire et anticipation heureuse. J’ai foi et la foi est lumière. L’impasse destinale dans laquelle nous pataugeons depuis bientôt quatre décennies, engage chacun et chacune au sursaut d’âme pour vivre digne.
C’est notre moment churchillien de supplément d’âme. Sortons des écuries politico-présidentielles avec leurs haines thésaurisées. Accomplissons la justice, la tolérance, le discernement au nom du vivre ensemble. Dieu assiste nos dirigeants !
Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè
Philosophe
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