Tribune | Lettre d’un Français, Luc GAILLARD, aux Burkinabè

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Ceci est une lettre d’un Français, Luc GAILLARD, adressée aux Burkinabè, intitulée « Lettre d’un Français amoureux du pays des hommes intègres à ses amis Burkinabè »

Permettez, s’il vous plaît, à un Français qui a connu le Burkina alors que c’était encore la Haute Volta, de vous faire part de sa peine et de son espoir.

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Relations Burkina-France, le gouvernement du Burkina dit : du passé faisons table rase, et c’est tant mieux ! Et le Président TRAORE renverse la table. Car c’est malheureusement trop souvent vrai qu’on ne fait pas du neuf avec du vieux. Or, depuis la décolonisation on ne peut s’empêcher de constater que la France a utilisé ses anciennes structures, voire ses anciennes méthodes, pour maintenir une forme de protectorat sur ce qu’elle considère être son  « pré carré ».

La coopération a remplacé la colonisation. L’assistance militaire a remplacé l’occupation militaire. Les conseillers diplomatiques et politiques de tous ordres ont permis le maintien, plus ou moins discrètement, de gouvernements politiques amis. Les grands investisseurs économiques français ont été amenés à s’occuper (contrôler) des infrastructures ou des secteurs économiques essentiels.

Et même, sous couvert d’assistance financière, des mécanismes de financement ont permis de contrôler les investissements. Mais, pendant longtemps, les dirigeants du pays semblent avoir bien volontiers accepté de se prêter à ce jeu de dupes. Et voilà qu’un jeune militaire, le Président Ibrahim TRAORE, comme un chien déboulant dans un jeu de quilles, vient renverser l’ordre établi et feint de ne rien comprendre aux règles du jeu. Et, sans grand ménagement ni beaucoup de délicatesse, il est mis fin de manière assez brutale à 60 ans de collaboration. Et la France et ses médias se montrent outragés devant si peu de reconnaissance !

Quel manque de mémoire.

Charles De Gaulle avait-il été plus délicat le 7 mars 1966 en écrivant son homologue américain Lyndon B. Johnson, que la France « se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel… ». Et c’est ainsi que les Américains ont été « virés » du territoire national. Et de Gaulle acclamé en France par tant de hardiesse…

Aujourd’hui vu de France, politiques et médias confondus, choqués par ce reniement d’un pays qui a tellement soutenu le Burkina Faso, s’insurgent devant tant d’ingratitude (du Burkina Faso qui lui doit tant sans doute…). Et les éléments de langage ne sont pas innocents.

Le gouvernement établi au Burkina Faso n’en est pas un, c’est une junte. (Ce qualificatif n’a jamais été employé à l’égard du gouvernement de Blaise Compaoré, mais il est vrai que c’était un ami de la France…)

Et ce qualificatif est utilisé de manière dédaigneuse voire méprisante. Pourtant, au plan de la définition, ce terme de junte pourrait être parfaitement exact. Cependant son utilisation sur un plan sémantique n’est pas innocente. Le dictionnaire Larousse rappelle que le mot junte peut avoir deux sens. Historiquement on qualifiait de junte les conseils politiques ou administratifs établis dans les pays ibériques.

Mais le sens a dérapé aussi vers la notion de gouvernement à caractère autoritaire et le plus souvent militaire, issu d’un coup d’Etat. Peut-on vraiment penser que le terme de junte employé couramment en France pour qualifier les autorités burkinabè vise la première définition, la notion de conseils politiques ? La réponse est évidemment non.

Il est tellement plus facile pour les discréditer et se donner le beau rôle, de qualifier les dirigeants d’un pays de junte militaire laissant penser, à demi-mot, le sous-entendu dictatorial. Cela devient tellement plus commode dès lors, de justifier ou d’expliquer les raisons ou les nécessités d’un retrait imposé par des dirigeants aussi peu recommandables que ceux qui prennent le pouvoir par la force.

Et cela permet de se dispenser de toute autocritique. On doit craindre, qu’encore une fois, la France se trompe dans l’analyse de ses relations avec le Burkina Faso (comme peut-être aussi de ses relations avec d’autres pays voisins). 

Peut-on reprocher au Burkina Faso de faire le constat de l’échec d’une relation de longue durée avec la France ? Peut-on même dénier au Burkina Faso le droit de s’interroger sur l’efficience de cette relation bilatérale ? Peut-on reprocher au Burkina Faso de constater que les engagements pris n’ont pas forcément été tenus ? Peut-on dès lors faire le procès au Burkina Faso d’être tenté de tomber dans les bras de la Russie, comme aiment à le dire les médias et les fins analystes politiques de l’Afrique ?

Cette simple formulation de « tomber dans les bras » s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’une forme de mépris vis-à-vis du Burkina Faso et de ses dirigeants qui seraient incapables de se tenir droits sans protecteur. Il est sûr que la Russie est aux aguets pour prendre une place que la France croyait conquise à tout jamais. Doit-on pour autant considérer les Burkinabè et ses dirigeants comme des naïfs prêts à succomber au charme d’une nouvelle séductrice ? Évidemment non.

Pourtant le risque existe réellement, si l’on accepte de voir les choses en face, de considérer que la Russie a effectivement les moyens financiers et matériels (et à ce niveau de manière bien moins légaliste que la France, la réputation de Wagner n’est pas usurpée) de réussir son entreprise de séduction.

Mais il faut être lucide, sinon cette lune de miel sera suivie d’une domination et donc, à terme, d’une entreprise de soumission. Il n’est en effet pas besoin d’être un expert politique très avisé pour rester stupéfait devant la rapidité avec laquelle la Russie est apparue comme un sauveur, alors que ce pays n’a aucune représentation diplomatique au Burkina Faso et que la plupart des Burkinabè n’ont jamais croisé un citoyen russe de leur vie et que, moins nombreux encore, sont ceux qui comprennent la langue.

Mais la Russie n’a-t-elle pas le droit, aussi, de chercher à étendre son influence et de développer ses partenariats, son économie et ses échanges ? À l’évidence oui, et cela ne poserait aucun problème si nous trouvions réellement devant un pays qui cherche seulement des marchés et des échanges nouveaux.

Mais, ne serait-ce que par les moyens employés et les milices développées, il n’est pas difficile de comprendre, cela n’est pas la démarche loyale, transparente, parfaitement licite d’un pays qui prospecte légitimement de nouveaux horizons.

Il y a derrière cette volonté de main mise Russe sur tout ou partie du continent Africain, des enjeux géopolitiques d’une nature bien plus importante. Mais ne nous trompons pas, c’était aussi, de manière plus subtile, délicate et respectueuse, la volonté française, comme cela serait demain la volonté chinoise ou américaine. Pourquoi cela ?

Parce que le pays s’est trop souvent comporté comme une victime (du colonialisme, de la sécheresse, de la pauvreté …) et, il faut le dire aussi, a trouvé confortable cette situation de perpétuel assisté.

Il faut maintenant saisir cette occasion unique d’une remise à plat de la gouvernance du pays pour lancer de nouvelles actions sur de nouvelles bases, traitant véritablement en complémentarité avec ceux qui peuvent aider mais à qui le Burkina peut aussi tant apporter. Et il faut être honnête, c’est ce que François Hollande notamment, et Emmanuel Macron aussi, ont tenté de faire. Relisez les discours de F. Hollande (DAKAR 2012) ou de E. Macron (Ouagadougou 2017).

Tout est dit, et ces deux présidents étaient sincères. Mais il faut savoir qu’en France, les idées lancées par nos dirigeants politiques et leur mise en pratique sur le terrain doivent, pour aboutir, bénéficier des relais d’une administration qui, pour un grand nombre de raisons, des plus sérieuses aux moins avouables, est capable de bloquer les plus grands projets. Je voudrais prendre deux exemples à cet effet.

Le développement des infrastructures (adduction d’eau, adduction d’électricité, routes ….) reste un problème majeur au dans toute l’Afrique de l’Ouest, et donc aussi au Burkina. Il y a donc des appels d’offres nationaux ou internationaux qui sont lancés. Malheureusement ce sont souvent des petits projets avec une enveloppe financière qui n’intéresse pas les gros intervenants français et européens ou même burkinabè, mais qui restent en même temps hors d’atteinte pour les petites PME locales qui n’ont parfois pas le matériel, ou qui n’ont pas le personnel ou qui n’ont pas le savoir-faire.

Et de la même manière il y a en France des petites PME qui peuvent avoir le matériel le personnel le savoir-faire, mais qui ne connaissent pas ces marchés et qui ont peur de les aborder par peur du risque financier et par manque de contacts ou de partenaires locaux.

Le président Hollande avait initié un mécanisme original associé à la remise de dette des pays africains. Sous réserve de dotation dans chaque pays concerné d’un fonds spécial dédié à l’amélioration des infrastructures, la France, via divers intermédiaires financiers type AFD et Coface garantissait et cautionnait le cas échéant les PME françaises désirant collaborer avec des PME africaines sur de tels projets. Cela n’a pas vraiment fonctionné.

Et c’est dommage il y avait là une occasion extraordinaire pour les PME et surtout leurs dirigeants et salariés, tant au Burkina qu’en France, de se connaître, de se rencontrer d’apprendre mutuellement les uns des autres et de prospérer dans tous les domaines. Pourquoi cet échec ?

Parce qu’en France les relais n’ont pas fonctionné, les chambres de commerce et d’industries n’ont pas relayé le message sur l’ensemble du territoire, les établissements publics chargés de diffuser cette information ne l’ont pas, ou l’ont mal fait. Peu en importe les raisons.

Je peux être témoin de cette inertie pour avoir, avec un confrère camerounais, fait le siège de l’Élysée pour promouvoir ce mécanisme et avoir été promené d’interlocuteur en interlocuteur sans que jamais rien n’avance. Je veux aussi prendre l’exemple d’Emmanuel Macron et de son discours devant Ouagadougou de 2017 :

« La France est bien souvent la première destination, je veux qu’elle soit la première destination, non pas par habitude, mais par choix, par désir, pas nécessairement pour l’ensemble des études, mais pour nourrir les échanges entre nos pays, pour cela, je veux que la France vous accueille mieux, cela veut dire offre des places et des formations dans les filières qui correspondent à vos besoins, cela veut dire aussi, offrir les conditions d’une véritable circulation dans la durée. Et j’en prends devant vous l’engagement aujourd’hui ». Je laisse à chacun apprécier si cet engagement a été tenu.

Est-ce la responsabilité du président Macron ? Je ne m’en suis pas convaincu. Je crois que cela tient plutôt à l’inertie habituelle de notre administration, et peut-être même de façon plus perverse à des freins internes désireux de ne pas s’attirer les foudres d’une partie de l’électorat hostile à l’immigration…

Je voudrais aujourd’hui que le Burkina et la France sachent tirer le constat de la situation et dire que dans leurs relations, ils n’ont pas échoué mais ils ont appris. Ils ont appris ce qu’il ne fallait pas faire et sont déterminés désormais à redistribuer les cartes pour faire différemment.

Il ne faut pas pour des rancœurs de part et d’autre, toutes aussi justifiées qu’en même temps contestables, sacrifier cette histoire et sacrifier surtout l’avenir de nos populations. Il faut repenser la relation Nord-Sud dans cette optique, nous avons tant à nous apporter mutuellement. 

Je formule le vœu que le gouvernement burkinabè et le gouvernement français soient assez lucides pour convenir de l’immense richesse que constituent un passé commun, un langage commun, une amitié commune entre leur pays.

Et au-delà des gouvernements, je voudrais dire aux peuples de nos deux pays, à tous ces militants et militantes de petites associations ou jumelages qui savent la richesse des échanges et ne veulent pas perdre les amitiés nouées, à tous ces amoureux du Burkina qui, sans rien dire, discrètement, font beaucoup et veulent continuer, NE LAISSEZ PAS TOMBER !

Rejoignons-nous pour œuvrer, et, restant à notre niveau de société civile et de citoyens responsables, jeter les bases de ce « new deal » des temps modernes entre les Burkinabè et les Français.

Là où il y a une volonté, il y a un chemin.

Luc GAILLARD 

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4 commentaires

  1. Je veux bien qu’on tienne un discours nostalgique sur la relation entre la France et ses anciennes colonies… qu’on propose de rebatir les liens au niveau de la société civile fondés sir un new deal des temps moderne. La question fondamentale qui demeure, c’est celler de savoir ce qu’on doit faire du pacte colonial et ses 11 points… Vous voulez nous dupez?

  2. Moi personnellement, ce qui me gêne dans tout discours français (inclus celui-ci), c’est la mise en garde contre la Russie; et ce, pour trois raisons :
    1. Nous savons suffisamment ce que nous faisons ;
    2. La France ne nous voulait pas du bien puisqu’elle estime que la Russie fera la même chose et en nous mettant en garde contre la Russie, elle nous met en garde contre elle-même d’abord;
    3. Enfin, ce n’est pas à ton ex-femme de te conseiller sur le profil de la nouvelle qui te plaît. La France est très très mal placée pour attirer notre attention sur nos partenariats. Ce n’est que du regret de sa part.

  3. Oui il est bon de nous faire comprendre que la France était vraiment un bras de fer pour l’Afrique en général et de Burkina Faso en particulier, mais retenez que le moment est arrivé. Souvenez-vous qu’à la déclaration de l’ex président de la république français,François Mitterrand le 21/06/1990 de du haut de la tribune imposé la démocratie aux présidents africains de la zone francophone réunis pour le XVIIIE sommet France_Afrique de la Beaule. L’air est vraiment grave, il avait avait déclaré : »l’aide sera tiède pour les présidents qui ne engageraient pas sur la voie de la démocratie. Mais par contre, elle sera enthousiaste pour ceux qui ecperimenteront la nouvelle donne « .Bien ça. Mais,après presque trente ans,quel est l’état de la démocratie jamais du tout. Rassurez-vous que c’est bien l’Afrique d’aujourd’hui et non d’hier.

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