Silence et résilience : Armes secrètes des veuves de combattants tombés !
Jadis paisible, le Burkina Faso est aujourd’hui confronté à une crise sécuritaire. Depuis 2015, les attaques terroristes se sont multipliées, plongeant le pays de temps en temps dans le deuil. Les Forces combattantes, en première ligne, contiennent la menace, mais paient souvent un lourd tribut, laissant derrière elles des familles meurtries. Cependant, les courageuses veuves des combattants tombés n’abandonnent pas le combat, avec le soutien de l’État et de la société. Elles donnent grâce au courage. Elles reprennent, chacune à sa façon, le flambeau, au nom de la résilience et de la paix,… au nom du « Pays des Hommes intègres ».
LK. Appelons-la ainsi, pour des raisons évidentes. Son mari, membre des FDS, avant d’aller à la mission, a rassemblé tous ses documents utiles, et lui a dit : ‘voilà tout ce que j’ai pu réaliser de mon vivant. Je pars en mission au Nord, et on n’en sait jamais. Si je reviens, je vais reprendre mes documents, et si jamais, je ne revenais pas, prends ça et occupes-toi des enfants‘. La peur !
« Cette nuit n’a pas du tout été facile. On s’est boudé toute la nuit. Je lui ai dit pourquoi il me dit ces trucs. Là, il réplique que c’est une guerre et que ceux qui y vont pour combattre ne vont pas forcément tous rentrer sains et saufs. Je lui ai dit que s’il s’amuse j’allais lui casser un pied, pour ne pas qu’il parte à la mission. Il m’a fait savoir qu’il a prêté serment et doit défendre les couleurs du pays quelle que soit la situation », rumine difficilement notre confidente.
Mais, c’est le destin ! En effet, cette mission à Namsiguia s’est révélée être un véritable calvaire pour cette famille. Salif, le mari de LK, l’avait prédit. Il est tombé les armes à la main, lors d’une attaque terroriste.
Depuis cette terrible épreuve, dame LK, autrefois pleine de vie, est plongée dans un profond désespoir. Le sourire a quitté son visage et les nuits sont désormais hantées par les souvenirs de son défunt époux. Tout a changé.
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C’était un matin du 24 juin 2024, alors que la saison des pluies s’installe progressivement. Sous un ciel d’azur parsemé de quelques nuages cotonneux, une brise légère nous caresse le visage, nous rappelant la fraîcheur du matin. Nous enjambons notre moto et filons vers Kamboinsé, un quartier de Ouagadougou. Le moteur ronronne doucement tandis que nous nous frayons un chemin à travers la circulation matinale, un ballet incessant de véhicules et de piétons.
Dans un maillot des Étalons comme pour montrer son patriotisme, associé à un pantalon jean et des sandales, dame LK nous réserve un accueil chaleureux. Une cour spacieuse, nous ouvre ses bras. Nous prenons le soin de garer notre engin, suivant l’ordre qui régnait dans la cour.
« Il avait la conviction d’aller lutter pour la reconquête du territoire »
Dominant le salon, un portrait encadré attire notre attention. Ce portrait laisse voir une silhouette solide et rassurante, magnifiée par un uniforme militaire. Les yeux, brillants et pleins de vie, semblent nous raconter des histoires muettes. Le portrait, baigné dans une douce lumière ne laisse aucune ambigüité pour dire qu’il s’agit de Salif, l’âme sœur de LK.
Après les salamalecs, LK, le regard perdu dans le vide nous confirme qu’il s’agit bien de son tendre époux. Un silence douloureux envahit encore la pièce. « C’est mon mari sur la photo. Il était un homme gentil, humble, battant. Il avait la conviction d’aller lutter pour la reconquête du territoire. Je l’aimais réellement pour sa bravoure ».
« Son départ m’a laissée un grand vide »
Hélas ! Cette bravoure et cette combattivité se sont éteintes un 26 décembre 2019. Un coup de tonnerre est tombé sur la vie de LK. Ce jour-là, elle a appris la disparition brutale de Salif, son chéri. Après treize années d’amour partagé, de projets construits à deux, Salif a brutalement quitté LK.
Le vide laissé par son absence est insondable. Chaque jour, elle se réveille avec le cœur lourd, hantée par l’image de Salif. « Son départ m’a laissée un grand vide. Comment il a pu aller rester là-bas ? ». Cette question la tourmente sans cesse.
LK n’est pas la seule à porter le poids d’un souvenir amer au quotidien. Dame Léa, la trentaine révolue, irradie d’une beauté lumineuse. Ses yeux, d’un bleu profond, semblent renfermer des secrets intemporels. Sous ses airs de jeune femme épanouie, Dame Léa porte en elle le fardeau d’un amour disparu, laissant une trace indélébile sur son cœur.
« J’ai dit non, je ne vais pas pleurer, parce que je sais que mon mari n’est pas mort »
Le 28 septembre 2018, le monde s’est écroulé autour de Léa. Baraboulé, localité située dans la région du Sahel, province du Soum. Ce nom est devenu le synonyme de sa douleur, marquant à jamais son cœur. Après une décennie de vie commune, le destin l’a brutalement séparée de son être cher. Les nuits, autrefois bercées par les rêves, sont devenues des océans de solitude.
« Le 28 septembre 2018, c’est ce même jour qu’il devrait rentrer de sa mission. Le matin, je me suis rendu dans un salon de beauté pour me rendre belle. Faire les cheveux, mettre les cils, arranger les ongles, afin de réserver un accueil chaleureux à mon mari le soir. Entre temps je l’appelais et ça ne décrochait pas. J’ai insisté mais sans suite ».
Son mari, selon ses dires, aimait beaucoup les surprises. Alors, « j’ai appelé en famille pour voir s’il n’y était pas. Celui qui a pris l’appel m’a demandé si je n’avais pas appris la nouvelle, j’ai demandé de quelle nouvelle il s’agissait. Il m’a fait savoir qu’il paraitrait que mon mari nous a quitté ».
Léa n’y croyait pas vraiment. « Donc je suis rentrée chez moi à la maison. Vers 18 heures, son petit papa est venu à la maison, et m’a demandée de le suivre en belle famille. Quand on est arrivé, j’ai vu des militaires qui y étaient déjà. Il y avait des femmes en foulard, d’autres pleuraient. Là, on m’a confirmé que c’est mon mari qui est décédé.
J’ai dit non, je ne vais pas pleurer, parce que je sais que mon mari n’est pas mort. Ses messages sont là. Je sais qu’il n’est pas mort. Mais il fallait accepter la réalité. En ce moment j’ai failli perdre connaissance. J’avais du mal à reconnaitre mes proches. Il fallait regarder pendant longtemps, avant de savoir qui est en face de moi ». C’est ainsi qu’elle a appris le départ triste et précoce de sa moitié.
Ces récits de vie, l’on en trouve à la pelle au Burkina Faso. Les femmes de combattants tombés ont un destin commun : vivre avec le souvenir de leur être cher. Mais doivent-elles cependant baisser les bras et voir leurs enfants pleurer de faim ou de non scolarisation ? Eh non !
Elles refusent de faire ce plaisir à la vie qui a été cruelle envers elles. Ces dames, véritables héroïnes du quotidien, portent sur leurs épaules le poids de leur famille. Désormais seules cheffes de famille, elles consacrent leur existence à apporter un peu de lumière dans la vie de leurs enfants privés trop tôt de leur père.
« J’ai reçu les 10 millions d’indemnité… »
Heureusement, ces amazones ne sont pas livrées à elles-mêmes. L’État burkinabè s’est engagé à leur apporter son soutien. A travers des mesures spécifiques mises en place, les veuves bénéficient désormais de droits et d’aides sociales renforcés.
Grâce aux 10.000.000 de F CFA d’indemnisation (pour les ayants droit), le capital de décès et la pension pour les enfants versés par l’État, ces familles ont pu retrouver un peu de stabilité financière, atténuant ainsi les conséquences du décès de leur proche.
C’est bien le cas de BD, une cuisinière de profession. Veuve d’un mari tombé lors d’une attaque à Bourzanga (localité située dans la province du Bam), elle est seule à s’occuper de ses deux jeunes enfants. Grâce aux indemnisations versées par l’État, BD a pu reconstruire une partie de sa vie.
« Au début, ce n’était pas du tout facile. Je me débrouillais avec le peu que je gagnais en travaillant. En son temps jusqu’à maintenant, je suis en location. Je me débrouille pour joindre les deux bouts. Avec l’aide de l’État, je jongle aussi pour m’occuper de mes deux garçons.
J’ai reçu les 10 millions d’indemnité (pour les ayants droit). Mon mari, avant de décéder, avait une parcelle qui n’était pas construite. J’ai construit sur cette parcelle. La maison est terminée, mais je n’ai pas encore pu mettre le courant, car ces jours-ci je n’arrive pas à joindre les deux bouts.
Je tiens à installer l’électricité dans la maison avant d’y aménager parce que je ne veux pas que mes enfants rentrent dans le noir, et dire que c’est parce que papa n’est pas là qu’on vit dans le noir. Je ne veux pas que les enfants ressentent cette douleur », murmure-t-elle, quelques gouttelettes de larmes glissant sur sa joue.
« La population doit comprendre que nos maris ne sont pas tombés dans les maquis »
Dans leur combat acharné, ces héroïnes veuves sont soutenues par certaines bonnes volontés. Avec des dons, des formations, des sensibilisations, et tutti quanti, ces dames bénéficient de l’accompagnement des associations, et bien d’autres structures. Du moins, c’est ce qu’a laissé entendre le responsable de l’action sociale de l’armée.
« Nous avons des dons de vivres que les gens nous font par-ci par-là, nous les accumulons et nous faisons des sorties sur toute l’étendue du territoire pour essayer de leur donner quelques quantités, pour qu’elles puissent gérer les enfants », renseigne le Colonel-Major Sié Rémi Kambou, directeur général de l’action sociale des armées et des blessés en opération.
Nonobstant ces aides multiformes, des insuffisances restent à déplorer. Ces femmes battantes dont il est question implorent l’État. Mais pas pour elles-mêmes, plutôt pour les enfants.
« Parce que leurs papas sont tombés pour la nation, pour le Burkina Faso. Donc, les enfants ne doivent pas rester dans la souffrance, pour dire que je suis allé à l’école, on m’a fait sortir pour scolarité impayée. En plus, des lois comme celle de pupille de la nation et la loi sur la délégation de solde sont votées », lance dame Léa. Selon elle, en plus des différentes formations, il faut un minimum d’accompagnement.
« Imagine si on te forme en coiffure et tu n’as pas de matériels pour travailler, tu vas t’asseoir à la maison, le temps d’avoir de quoi commencer, tu vas oublier tout ce que tu as appris. Aussi, il nous faut de la sensibilisation. Parce que nous, nous sommes trop jeunes pour être veuves. A moins de 40 ans, si on t’appelle déjà veuve, c’est comme si tu n’étais pas une femme comme les autres, seulement parce que ton mari n’est pas là », affirme-t-elle, se laissant parfois emporter par l’émotion.
« La population doit comprendre que nos maris ne sont pas tombés dans les maquis, ils sont allés défendre la patrie. Il y a des jugements, comme on est veuve, les gens pensent qu’on ne doit pas faire certains habillements, certaines coiffures. Il faut vraiment sensibiliser les populations à nous accepter sans discrimination », se libère dame Léa.
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Concernant les lois relatives aux pupilles de la nation, le directeur de l’action sociale des armées et des blessés en opération rassure que des progrès significatifs ont été réalisés. Bientôt, les enfants éligibles recevront leurs cartes de pupilles, leur ouvrant ainsi les portes à de nombreux avantages, notamment le transport gratuit, les bourses scolaires, l’accès aux soins de santé et bien d’autres encore.
D’ailleurs, la loi N° 003-2022/ ALT du 10 juin 2022 portant statut de pupille de la nation a commencé à être mise en application à travers des décrets d’application. Deux décrets ont été pris en Conseil des ministres pour accorder le statut de pupille à respectivement 63 et 236 enfants mineurs de FDS décédés dans l’exercice de leur fonction suite aux attaques terroristes.
« L’espoir renaît au Burkina Faso »
In fine, Sié Rémi Kambou appelle les veuves à faire preuve d’une résilience admirable face aux épreuves de la vie. Tout en reconnaissant les difficultés auxquelles elles font face, il les encourage à ne pas se laisser abattre et à s’appuyer sur les réseaux de soutiens existants. « Ensemble, nous pouvons les aider à retrouver espoir et à construire un avenir meilleur ».
L’espoir renaît au Burkina Faso. Les actions résolues de l’État et des Forces de Défense et de Sécurité, couplées à la solidarité nationale et internationale, permettent d’entrevoir un avenir plus sûr. Les propos tenus par le ministre des Affaires étrangères, Karamoko Jean Marie Traoré, à la 79e Assemblée générale des Nations Unies, reflètent cette dynamique positive.
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« Près de 70% du territoire national sont désormais sous le contrôle de l’Etat, contre 40% en 2022. En moins de deux ans, les actions de reconquête du territoire national menées par le MPSR 2 ont permis à plus de 700 000 personnes de regagner leurs villages, et à près de 1.500 écoles de rouvrir leurs salles de classe »…
*NB : Les noms attribués aux veuves sont des noms d’emprunt
Sié Frédéric KAMBOU
Burkina 24
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