Diapangou | Quand l’amour dépasse les ténèbres : Fatimata et Issa, un couple uni contre l’onchocercose

Dans le village de Diapangou, niché à l’Est du Burkina Faso, Fatimata et Issa incarnent un amour rare, tissé de résilience et de silence partagé. Tous deux frappés par l’onchocercose, cette maladie négligée qui leur a volé la vue, ils avancent malgré tout, l’un près de l’autre, liés par une complicité touchante. Dans leur quotidien marqué par la cécité et la fatigue des ans, rien n’est laissé au hasard. Ils se soutiennent, se devinent, s’écoutent. Le talent d’Issa, ancien maître du tambour, résonne encore parfois, comme un écho de jours meilleurs où sa musique faisait vibrer les cœurs et nourrissait la famille. Mais aujourd’hui, le poids de l’âge et la précarité se font plus lourds. Le tambour est devenu silencieux. La force leur manque, les ressources aussi. Et pourtant, dans le dénuement, leur dignité reste intacte. L’histoire de Fatimata et Issa n’est pas seulement celle d’un couple vieilli par le temps et la maladie. C’est un cri discret, mais puissant, pour que l’on n’oublie pas ces survivants de maladies trop souvent ignorées. C’est aussi une leçon d’amour, d’humanité et de courage.
Fatimata Idani et Issa Ouoba, c’est une lumière dans la cécité ! Il s’agit d’une histoire d’amour et de résilience à Diapangou, localité située dans la Région du Goulmou (ex Région de l’Est). Les deux sont unis par le cœur mais surtout le courage.
3 mai 2025. Le soleil décline lentement sur Diapangou, située à une vingtaine de kilomètres de Fada N’Gourma. L’air est encore chargé de chaleur lorsque nous rencontrons Fatimata, 71 ans. Assise sous un abri de fortune, elle décortique des arachides avec des gestes sûrs. Sa cécité, survenue à l’adolescence à cause de l’onchocercose, ne l’empêche pas d’accomplir ses tâches quotidiennes avec une aisance remarquable.
À ses côtés, Issa, son époux de 78 ans, vit avec une mobilité réduite, conséquence des péripéties d’une vie rude. Ensemble, ils partagent une modeste habitation, en retrait du reste de leur grande famille. Leurs gestes sont simples, leur parole rare, mais chaque mouvement trahit une profonde entente, une complicité sincère et une grande dignité.
Fatimata se confie, dans sa langue maternelle gourmantchema. Elle se souvient : « J’avais 13 ans quand j’ai commencé à perdre la vue. C’est venu doucement, jusqu’à l’obscurité totale ».
Elle n’a jamais cessé d’avancer. À travers les épreuves, le couple a appris à vivre avec le silence des regards, dans l’ombre imposée par une maladie longtemps négligée. Leur histoire n’est pas une complainte. C’est une ode à la résilience.
Dans ce coin reculé du Burkina Faso, Fatimata et Issa rappellent que la dignité humaine peut fleurir même dans l’adversité la plus sombre. À une époque où les centres médicaux et les médicaments étaient inexistants, la médecine traditionnelle fut leur seul recours.

Victime donc de l’onchocercose dans son enfance, Fatimata Idani n’a pas oublié les remèdes traditionnels que ses parents utilisaient pour tenter de la soigner. « Nos parents nous soignaient avec des décoctions de racines et de plantes. Ils nous lavaient, nous faisaient boire, nous faisaient inhaler la vapeur… », raconte-t-elle. Si elle a survécu à la maladie, elle en garde une séquelle irréversible : la cécité.
L’onchocercose, aussi appelée “cécité des rivières”, frappait durement les communautés rurales, provoquant démangeaisons intenses, lésions cutanées et, bien souvent, la perte de la vue. Pour Fatimata, le destin a pris ce tournant, mais il ne l’a pas privée d’une autre lumière : celle de l’amour.
À 19 ans, elle épouse Issa, un homme né aveugle, lui aussi frappé par l’épidémie. « Moi, j’ai eu la chance de le voir quand on était enfants. Mais lui, il n’a jamais su à quoi je ressemblais. La maladie l’a rendu aveugle dès sa naissance », confie-t-elle avec émotion.
L’amour face à l’adversité
Leur histoire est celle d’un couple uni dans l’épreuve. Ensemble, ils apprennent à vivre avec leur handicap, fondent une famille et affrontent les douleurs de la vie. « Nous avons eu six enfants, mais la terre nous en a pris quatre », murmure Fatimata.
Leur force, ils la puisent dans la résilience et le travail. Malgré sa cécité, Issa développe une mémoire exceptionnelle et une grande habileté. Il apprend à jouer du tambour traditionnel auprès de son oncle griot, l’accompagnant lors de cérémonies et mémorisant généalogies et récits. Dans les champs, ses proches lui enseignent à distinguer les plantes des mauvaises herbes par le toucher.
Pendant l’hivernage, le couple cultive un champ derrière la maison. En saison sèche, Issa parcourt les villages avec son tambour, perpétuant l’art griotique pour subvenir aux besoins du foyer.

« Avec ma femme, nous nous sommes battus pour en arriver là », témoigne-t-il, fier. Après la perte de la vue, les parents de Fatimata s’efforcent de lui apprendre à vivre autrement : par le toucher, l’odorat et l’ouïe. Petit à petit, elle reprend pied.
« J’ai appris à suivre les femmes au marigot, à laver le linge, à cuisiner. Ce n’était pas simple au début, mais j’ai fini par accepter ce que la vie m’a donné. Je me suis forgée ».
Aujourd’hui encore, Fatimata et Issa illuminent leur entourage par leur courage et leur dignité. Leur histoire est un témoignage poignant de résilience face à une maladie qui a brisé tant de vies, mais pas leur espoir.

Le témoignage de Saïdou Ouoba, le frère cadet d’Issa, âgé de 70 ans, apporte un éclairage sur l’arrivée de Fatimata dans la famille et le soutien indéfectible qu’ils lui ont apporté, ainsi qu’à son frère né avec des problèmes de vue.
« Nous avons pris soin de lui et de sa femme du mieux que nous pouvions », confie-t-il. Il évoque la solidarité familiale face à la vulnérabilité. Il se souvient de Fatimata cuisinant pour toute la famille et s’occupant des enfants, témoignage de l’entraide qui a toujours existé au sein de leur foyer.
Les cicatrices durables d’une épidémie persistante
L’onchocercose, bien que les efforts de contrôle ont considérablement réduit sa prévalence, résonne encore aujourd’hui comme un lointain écho pour beaucoup. Pourtant, pour des communautés comme celle de Diapangou, les années sombres de l’épidémie ont laissé des cicatrices profondes et durables. Fatimata et Issa en sont des témoins vivants, unis par l’amour et une cécité causée par ce fléau qui a marqué la région.
Même sans document fiable, les chiffres recueillis sur place sont alarmants : dans les années 80, l’onchocercose aurait emporté une quarantaine de jeunes et causé de nombreuses cécités dans un seul des 31 villages de Diapangou. Cette maladie tropicale négligée, transmise par la mouche noire et ayant des conséquences dévastatrices sur la vue, a marqué à jamais l’histoire locale.
En effet, l’onchocercose, ou « cécité des rivières », a dévasté le Burkina Faso. Dans les années 1940-1960, elle a rendu inhabitables 250 000 km² de terres fertiles, avec jusqu’à 50% de cécité chez les hommes de plus de 40 ans dans les zones touchées, forçant des migrations massives, selon les chiffres du Programme de Lutte contre l’Onchocercose (OCP).

Au début des années 1970, on comptait 1 million de personnes infectées et 35 000 à 40 000 aveugles sur 6,4 millions d’habitants. Le lancement du Programme de Lutte contre l’Onchocercose (OCP) en 1974, avec la lutte antivectorielle et l’ivermectine (médicament antiparasitaire) dès la fin des années 1980, a été décisif.

En 2002, la prévalence avait chuté de 60 – 80% à moins de 15%. Aujourd’hui, le Burkina Faso n’est plus considéré comme un pays où l’onchocercose est un problème de santé publique majeur, visant l’élimination totale d’ici 2030. Malgré l’élimination quasi-totale de l’onchocercose, les séquelles de la maladie demeurent une réalité persistante.

Adja Adjima Natama, une autre survivante de la même épidémie, se souvient de son arrivée à Diapangou avec le retour d’une jeune fille malade d’un village voisin. « C’est suite à sa venue que nombreux ont été contaminés », explique-t-elle, faisant référence à la rapide propagation de la maladie par les piqûres de mouches noires. Les aînés, conscients du danger des zones riveraines, recommandaient le confinement aux villages environnants.
Adja Adjima se rappelle sa propre contamination près du marigot. « Si une mouche noire se pose sur une personne déjà contaminée et que cette même mouche se pose sur une personne saine, cette dernière est immédiatement contaminée », dit-elle. Les symptômes apparaissent rapidement : démangeaisons intenses, lésions cutanées et problèmes oculaires chroniques.
Rappel de la douleur de la maladie
C’est aujourd’hui un souvenir teinté d’anecdote que Adja Adjima nous relate. « Ils avaient un produit en poudre qu’ils mettaient dans les narines quand quelqu’un avait mal à la tête », raconte Adja Adjima. Mais face à la virulence de l’épidémie, ces remèdes se sont avérés insuffisants.
La maladie attaquait tout le corps, provoquant des éruptions cutanées, des nodules sous la peau et des problèmes oculaires graves, pouvant mener à la cécité. La guérison était un processus long et éprouvant, nécessitant un confinement strict et un régime alimentaire spécifique à base de tô (Ndlr, Mets local) et de sauce sans sel à la décoction de racines.
Malgré un courage à toute épreuve, le poids des années et de la maladie s’abat désormais lourdement sur Fatimata et Issa. Jadis pleins de vie, ils sont aujourd’hui prisonniers d’un quotidien précaire. Issa n’a plus la force de sortir, et Fatimata ne le suit plus.
Leur passion et le talent d’Issa au tambour ne suffisent plus à nourrir la flamme de leur subsistance. Pourtant, derrière cette fragilité apparente se cache une histoire poignante, faite de pertes, d’amour et d’une volonté indestructible de continuer à vivre.
Amina Ouoba, leur fille de 42 ans, éclaire avec une sincérité bouleversante la réalité de cette famille. Mère célibataire de cinq enfants, elle est devenue le pilier sur lequel reposent ses parents, ses frères et ses enfants.
Le combat d’Amina au nom des siens
« Quand mon père allait jouer du tambour, c’est mon enfant qui l’accompagnait pour le guider sur la route », confie Amina, la voix chargée d’émotion. Malgré un passage très court à l’école, interrompu dès le CM1 faute de moyens, elle martèle avec conviction : « La scolarisation est essentielle, mais les moyens financiers le sont encore plus ».
Aujourd’hui, elle se bat sans relâche pour leur survie, tenant un petit kiosque alimentaire, seule ressource pour nourrir une famille qui ploie sous le poids des épreuves.
« Ce n’est pas du tout simple de s’occuper de parents handicapés », avoue-t-elle avec douleur. Le pied malade d’Issa l’empêche désormais de sortir, faisant peser sur Amina le lourd fardeau de la subsistance familiale. Sa détermination a même provoqué la rupture avec son mari, qui refusait qu’elle prenne cette initiative.
Bref ! Parfois, la volonté la plus forte ne suffit pas à gravir la colline des obstacles de la vie…
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Djamila WOMBO
Pour Burkina 24






