Burkina Faso : Le VIH recule, mais la menace persiste, l’alerte du Dr Célestine Ki/Toé

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le VIH/Sida, Burkina24 a échangé avec Dr Célestine Ki/Toé, pneumologue et coordonnatrice du projet Fonds Mondial Sida–Secteur public au Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le Sida et les IST. Elle dresse un panorama complet de la situation de l’épidémie au Burkina Faso, des avancées enregistrées et des défis qui persistent alors que le pays ambitionne d’éliminer le sida comme problème de santé publique d’ici à 2030.
Burkina 24 (B24) : Quelle est la situation épidémiologique du VIH au Burkina Faso ?
Dr Célestine KI/TOE (CK) : L’épidémie du VIH au Burkina Faso est qualifiée d’épidémie mixte. Avec une prévalence de moins de 1% en population générale soit 0,5% depuis 3 ans avec néanmoins des prévalences élevées dans certains sous-groupes comme chez les travailleuses du sexe et les détenus. Les dernières études auprès de ces cibles ont relevé respectivement une prévalence de 6,8% chez les travailleuses du sexe et 1,3% en 2020 chez les détenus.
Par ailleurs, selon les estimations de l’ONUSIDA, les nouvelles infections sont en baisse progressive passant de 3550 en 2015 à 2448 en 2025. Il en va de même pour les décès liés au sida qui ont passé de 2657 en 2021 à 1931 en 2025. Le nombre estimé de personnes vivant avec le VIH est passé de 88 000 en 2021 à 93 000 en 2025. Notons qu’au 30 juin 2025, les structures de santé du pays enregistrent 86 070 patients sous traitement antirétroviral.
B24 : Quels sont les efforts consentis par l’Etat et les acteurs du privé pour aboutir à l’élimination du sida d’ici à 2030 ?
CK : La riposte au VIH a toujours été multisectorielle au Burkina Faso avec un leadership affirmé au plus haut sommet de l’Etat. Les efforts sont consentis d’une part par l’Etat et ses partenaires et d’autre part par des acteurs du secteur privé et du secteur communautaire. L’Etat approvisionne annuellement une ligne budgétaire pour le financement des intrants, des interventions de prévention, de soins et de soutien ainsi que d’autres activités de coordination de la riposte.
La part contributive du secteur privé bien qu’encore très modeste finance des activités de prévention et de soutien aux travailleurs tandis que les acteurs communautaires interviennent à tous les niveaux, en termes de prévention, de soins et d’accompagnement communautaire. C’est la conjugaison de tous ces efforts consentis par l’ensemble des acteurs qui permettront l’élimination du VIH/Sida à l’horizon 2030.
B24 : Comment est organisée la prise en charge médicale dans les structures de soins au Burkina Faso ?
CK : La prise en charge médicale de l’infection à VIH est décentralisée avec une délégation des taches aux infirmiers depuis 2015. Chaque niveau de la pyramide sanitaire a son rôle à jouer. Le niveau central conçoit les politiques, les stratégies, les normes et les directives de prise en charge, assure la coordination centrale et appuie le niveau intermédiaire pour mieux mettre en œuvre les directives.
Le niveau intermédiaire coordonne également les interventions de la riposte au VIH et apporte l’appui nécessaire au niveau périphérique pour une meilleure application des normes et directives de prise en charge médicale
Le niveau périphérique ou le niveau district est le niveau où s’organise au quotidien les soins avec le dépistage, la mise sous traitement de ceux qui sont positifs et leur suivi. C’est à ce niveau que nous dénombrons la majorité des sites de prise en charge qui travaillent de concert avec des sites décentralisés au niveau des centres de santé et de promotion sociale (CSPS).
Toutes les formations sanitaires publiques à savoir les centres hospitaliers universitaires (CHU), les centres hospitaliers régionaux (CHR), les hôpitaux de districts (HD), les centres médicaux (CM) et les CSPS sont à même de dépister, mettre sous traitement antirétroviral et assurer le suivi du traitement de tout patient.
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A ces formations sanitaires publiques, s’ajoutent quelques structures privées et communautaires qui ont des conventions avec des districts sanitaires pour assurer cette prise en charge médicale des Personnes vivant avec le VIH. Ces structures bénéficient gratuitement de tous les intrants nécessaires et du renforcement des capacités de leurs agents au même titre que les agents des formations sanitaires publiques.
Dans un site de prise en charge de l’infection à VIH, qu’il soit public, privé ou communautaire, les services sont intégrés. L’unité en charge de cette prise en charge peut dépister sur place ou recevoir des références d’une personne dépistée dans une structure communautaire ou privée pour la mise sous ARV et le suivi. Le patient reçoit les informations nécessaires sur l’infection à VIH, le traitement, le suivi du traitement, les examens complémentaires nécessaires et les exigences de ce traitement pour une efficacité optimale.
Toute cette communication avec le patient qui se poursuit à tous les contacts avec le service de santé a pour objectif principal d’obtenir son adhésion au traitement et par conséquent l’amélioration de sa qualité de vie. Cette communication permanente avec le patient est renforcée par des acteurs communautaires qui sont intégrés à l’équipe de prise en charge et qui accompagnent au mieux les patients dans la formation sanitaire comme dans la communauté. L’organisation actuellement de la prise en charge médicale vise également l’objectif de déplacer le moins possible le patient de son lieu d’habitation.
En effet, un patient dépisté dans un village peut obtenir tous les soins dans le CSPS le plus proche de son domicile. L’agent de santé du CSPS assure sa mise sous traitement, récupère les médicaments du patient à la pharmacie du district pour les mettre à sa disposition. Pour les examens de suivi biologique, il prélève les échantillons sanguins du patient et les transporte au laboratoire du district puis lui communique les résultats.
La communication régulière avec le patient incombe alors à cet agent du CSPS. Le patient ne se déplace à l’échelon supérieur qu’en cas de complication ou de comorbidité dont la prise en charge dépasse les compétences de l’agent du CSPS.
B24 : Quelles sont les approches novatrices de la prise en charge du VIH/SIDA au Burkina Faso ?
CK : Les principales approches novatrices dans la prise en charge médicale de l’infection à VIH visent une meilleure observance du traitement par le patient, une réduction drastique du taux de décès et une amélioration significative de la qualité de vie des patients. On peut citer le ravitaillement communautaire des ARV en dehors des services de santé.
Qui consiste à donner un RDV à un patient dans un endroit désigné de commun accord entre le patient et l’acteur communautaire pour lui donner ses ARV. Le ravitaillement tous les six mois du patient, la prophylaxie préexposition qui consiste à prescrire des ARV à un client avant de s’exposer à des rapports sexuels en vue d’optimiser l’efficacité de la prévention de la transmission du VIH. Elle est prioritairement indiquée chez les populations à haut risque d’infection au VIH comme les travailleurs et travailleuses du sexe ainsi qu’aux partenaires séronégatifs des couples sérodifférents.
B24 : On dit aujourd’hui qu’on ne peut plus mourir de sida. Cela sous-entend quoi en réalité ?
CK : Les avancées scientifiques ont permis de ne plus voir l’ancien visage du Sida avec diarrhée chronique, amaigrissement profond, fièvre au long court et des décès fréquemment enregistrés.
En effet, les moyens diagnostics sont simplifiés et rapides permettant de dépister précocement les cas de VIH au stade 1 c’est-à-dire sans aucun symptôme clinique ou très peu. Aussi, la stratégie de prise en charge médicale du VIH recommande la mise sous traitement ARV immédiatement, ou le même jour ou dans la semaine dès que le statut de séropositivité du VIH est confirmé.
Ces ARV sont actuellement très efficace, de prise simplifiée (en règle générale une fois par jour) et avec de moins en moins des effets secondaires. Ceci permet de supprimer la charge virale de la personne infectée sans qu’elle ne présente de signes cliniques de maladie. Avec une charge virale supprimée pour un patient bien observant dans son traitement, son expérience de vie diffère peu d’une personne non infectée par le VIH. C’est cela qui fait dire que l’on ne peut plus mourir du Sida.
B24 : La suspension du financement américain et la diminution drastique du soutien financier des acteurs multilatéraux ne vont-elles pas annihiler les efforts en matière de prise charge des malades ?
CK : La réduction significative des financements extérieurs de la lutte contre le VIH/Sida dont le financement américain peut certainement compromettre la tendance actuelle de la baisse des nouvelles infections du VIH si nous continuons à travailler comme avant, au temps où la mobilisation des ressources était meilleure.
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Nous sommes donc dans l’obligation d’accroître le financement endogène de la réponse, de développer des stratégies plus efficientes, de prioriser les interventions les plus impactantes et d’intégrer au maximum nos activités pour atteindre les mêmes résultats avec moins de ressources financières. C’est à ce prix que nous pourrons éviter un rebond de l’épidémie dans notre pays.
B24 : On parle de manque régulier des intrants VIH et des préservatifs, est-ce vrai ?
CK : Lorsque l’on parle de manque régulier d’intrants VIH et de préservatifs, il est fait allusion à des difficultés de distribution des intrants VIH au dernier kilomètre, c’est-à-dire au site de prise en charge des patients.
En effet, le pays a toujours réussi à acquérir pratiquement l’ensemble de ses besoins en ARV, réactifs et consommables de laboratoire ainsi que les préservatifs et gels pour la distribution gratuite. Cependant, le pays rencontre des difficultés de distribution au dernier kilomètre des intrants c’est-à-dire au niveau du site de l’utilisation de l’intrant en dépit de sa disponibilité au niveau central ou intermédiaire ou au dépôt répartiteur de l’hôpital de district.
Des efforts sont à faire dans cette distribution au dernier kilomètre pour garantir une disponibilité permanente des intrants dans les sites d’utilisation.
B24 : Parlant de la prise en charge des orphelins et enfants vulnérables (OEV), les acteurs communautaires ont vraisemblablement pris la place des travailleurs sociaux du public ?
CK : Il faut relever qu’au cours de ces cinq dernières années, le financement du soutien aux OEV a significativement été réduit, en particulier celui des services sociaux du public. Le peu de financement au profit des OEV est octroyé aux structures associatives qui notifient les données de ce soutien aux OEV. Les acteurs communautaires ne peuvent en aucun cas remplacer les travailleurs sociaux qui ont été formés sur cette thématique.
Il revient à la coordination de la riposte au VIH de réorganiser l’architecture de la prise en charge des OEV. Pour mettre au cœur de la coordination nationale de soutien et de protection des OEV les travailleurs sociaux du public. Les acteurs communautaires viendront bien entendu en appui et collaborer étroitement avec les services sociaux pour couvrir au mieux les OEV en besoin de soutien et de protection.
B24 : On parle de nouvelles découvertes de vaccins. Les scientifiques vont-ils réussir le pari de nous trouver un vaccin curatif ou préventif ?
CK : On ne peut que l’espérer.
B24 : Quelle la part contributive des scientifiques burkinabè ou de la médecine traditionnelle dans la riposte au VIH ?
CK : Les scientifiques burkinabè contribuent régulièrement à mettre à la disposition des structures de décision de la riposte du VIH des évidences en lien avec l’évolution de l’épidémie du VIH au Burkina Faso, les résultats d’évaluation des stratégies de lutte contre le VIH. Quant aux tradi-praticiens, ils jouent leur rôle d’accompagnement du système de santé en offrant des soins contre certaines maladies opportunistes de l’infection à VIH ou en contribuant à renforcer l’immunité des patients avec leurs ressources naturelles. Ils collaborent aussi avec les structures de santé à travers la référence des cas.
B24 : Le sida peut-il réellement finir d’ici à 2030 ?
CK : Tous les efforts sont fournis pour éliminer le VIH/Sida en tant que problème prioritaire de santé publique en réduisant pratiquement à néant les nouvelles infections et la charge virale des personnes infectées. Il subsistera certainement des personnes vivant avec le VIH sous traitement en 2030 et seront prises en charge en routine comme n’importe quelle maladie.
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