Quelle est la place des savoirs locaux dans les enseignements/apprentissages à l’école primaire au Burkina Faso ?

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Ceci est le résultat d’une étude sur « Quelle est la place des savoirs locaux dans les enseignements/apprentissages à l’école primaire au Burkina Faso ? » réalisée par KABORÉ Amado, Charge de recherche, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), [email protected]

RESUME

Depuis l’indépendance, la question de l’intégration de l’école s’est toujours posée avec acuité. L’école héritée de la colonisation a détruit les liens avec les cultures africaines. Aujourd’hui, l’enjeu majeur est l’intégration des savoirs endogènes au Curriculum de l’école dite moderne. Ces interrogations naissent certes du souci de rendre les systèmes plus efficaces et efficients (Kaboré, 2023).

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Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique intitulé « Les savoirs locaux dans les enseignements/apprentissages à l’école primaire : cas de la circonscription d’éducation de base de Bieha (Burkina Faso) » dans Les cahiers de l’ACAREF – Revue dirigée par L’Académie Africaine de Recherches et d’Etudes Francophones, Vol. 5 N°11/Février 2023, ISSN 2790- 0371 (Print)-ISSN 2790- 038X (Online), Tome 1 : Linguistique- Lettres modernes- Langues vivantes- Arts –Education, PP.49-70.

Le papier revient sur les connaissances liées aux savoirs locaux, les contraintes et fait quelques suggestions.

INTRODUCTION

Dans l’optique de se conformer à ces principes internationaux, le Burkina Faso classe le droit à l’éducation parmi les droits sociaux à l’article 18 de sa constitution qui stipule : « L’éducation, l’instruction, le travail, la sécurité sociale…constituent des droits sociaux culturels reconnus par la présente Constitution qui vise à les promouvoir ». Ce droit a été renforcé par la Loi d’Orientation de l’Education de 30 Juillet 2007 qui vient clarifier l’organisation et le fonctionnement de l’éducation dans notre pays.  En dépit de l’article 18 de la constitution et la Loi d’Orientation, la qualité de l’école burkinabè demeure en deçà des attentes au regard des multiples reproches formulés à son encontre par une majeure partie de la population qui estime qu’elle fait prendre connaissance mais ne fait pas suffisamment prendre conscience.  En effet, les sortants de notre école semblent tout maîtriser sauf leurs propres réalités socioculturelles qui sont pourtant indispensables à leur épanouissement. De ce fait, il devient donc impératif de s’interroger sur la prise en compte des savoirs locaux dans les enseignements/apprentissages à l’école primaire. Les enseignants prennent-ils en compte les savoirs locaux dans leur pratique classe ? Quels sont les principaux obstacles liés à l’exploitation de ces savoirs par les enseignants ? La réponse à ces deux (02) questions constitue les axes de cette réflexion.              Notre réflexion s’articule autour de trois (03) axes principaux : le cadre méthodologique, la présentation et l’analyse des données collectées et les suggestions issues des acteurs de terrain.

2. CADRE METHODOLOGIQUE

2.1. Méthodologie de la recherche

Pour le besoin de notre étude, nous avons donc privilégié la méthode mixte qui prend en compte la méthode qualitative et quantitative pour deux raisons. Le recours aux statistiques pour l’analyse des données permet de traiter à la fois une masse importante de variables. Ainsi, pour notre travail, l’approche quantitative nous permettra à travers les questionnaires de recueillir des données statistiques sur des variables relatives à la place occupée par les savoirs locaux dans l’enseignement/apprentissage à l’école primaire, à son analyse ainsi que les difficultés rencontrées par les enseignants et les directeurs d’école dans l’exploitation des savoirs locaux au profit de leurs élèves. Ces données nous ont permis de déterminer la proportion de la population répondante ayant telle ou telle autre opinion sur chacune des variables. L’approche qualitative permet d’apprécier un phénomène à partir de l’analyse faite des contributions des personnes qui influencent ou qui sont influencées par le phénomène. C’est ainsi que le guide d’entretien que nous avons utilisé comme outil de démarche qualitative nous a permis de recueillir les avis des encadreurs et les parents sur la place qu’occupent les savoirs locaux du système éducatif burkinabè.

Pour la collecte de nos données en fonction des préoccupations de notre étude, nous avons choisi de nous adresser aux enseignants, aux directeurs d’école, aux encadreurs et aux parents d’élèves pour diverses raisons.

  1. PRESENTATION, ANALYSE, INTERPRETATION DES RESULTATS

2.1. Des connaissances sur les savoirs locaux

Les réponses à cette question sont consignées dans le tableau ci-dessous.

Tableau 1 : réponses des enquêtés sur la connaissance des savoirs locaux

 
Questions

OUI

NON Total
Réponses

Ayant déjà participé à une formation sur les savoirs locaux

21soit 32,30% 44 soit 67,60% 65 soit un 100%
Connaissance de manuels contenant les savoirs locaux 28 soit 43,08% 37 soit 56,92% 65 soit 100%

Source : enquête réalisée par nous-mêmes en Avril 2022

La prise en compte des savoirs locaux dans les enseignements/apprentissage (E/A) par les enseignants est tributaire de la formation reçue. Le tableau ci-dessus qui fait la synthèse des réponses sur les deux questions portant sur la connaissance des savoirs locaux montre que vingt-un (21) répondants soit 32,30% des enquêtés affirment avoir reçu une formation portant sur ces savoirs contre quarante-quatre (44) soit 67,60% qui disent n’avoir reçu aucune formation en la matière. Quant aux manuels contenant ces savoirs, vingt-huit (28) enquêtés soit 43, 08% affirment avoir connaissance de manuels au programme contenant les savoirs locaux. Par contre, les trente-sept (37) autres soit 56,92% ont répondu négativement à la question.

Il convient de préciser que les 32,30% affirment avoir reçu leur formation lors de la conférence sur l’Approche Pédagogique Intégratrice et des formations en bilingue. Quant à celle traitant de la connaissance de documents contenant des savoirs locaux, 48,08% des enseignants ont cité les livres de lecture, les livres d’histoire, de géographie et de science comme les principaux manuels dont certains contenus véhiculent les savoirs locaux.

En ce qui concerne la question relative à la définition de l’expression savoirs locaux, nous avons pu dénombrer au moins quarante-trois (43) tentatives dont trente-six (36) réponses acceptables, soit un pourcentage de réussite de 55,38%.  Les onze (11) autres enquêtés n’ont pas pu donner une définition à ladite expression.

2.2. De l’état des lieux de l’exploitation des savoirs locaux par les enseignants

Voici ci-dessous les réponses des enquêtés sur l’exploitation des savoirs locaux.

Tableau 2 : État d’exploitation des savoirs locaux par les enquêtés

Matières OUI Pourcentage NON Pourcentage Total Pourcentage
Géographie 29 42,62% 36 55,38% 65 100%
Calcul 17 26,15% 48 73,85% 65 100%
Histoire 28 43,08% 37 56,92% 65 100%
Education civique 18 27,69% 47 72,31% 65 100%
Science 27 41,54% 38 58,46% 65 100%
Lecture 16 26,62% 49 75,38% 65 100%
Morale 20 30,77% 45 69,23% 65 100%
Français 15 23,08% 50 76,92% 65 100%

Source : enquête réalisée par nous-mêmes en Avril 2022

Au regard de ce tableau, il ressort qu’aucune discipline n’enregistre un pourcentage d’exploitation de 44%.  En dehors de la géographie, de l’histoire, de la science et de la morale qui enregistrent respectivement 42,62%, 43,08%, 41,54% et 30,77% comme pourcentage d’exploitation des savoirs locaux par les enseignants dans leurs pratiques classe, toutes les autres disciplines ont moins de 30%. Par contre, concernant leur inexploitation, les pourcentages vont de 55,38% à 79,92%, ce qui atteste que les enseignants accordent peu d’intérêt aux savoirs locaux dans leurs prestations.

S’agissant de la deuxième question sur ce volet, 23/65 des enseignants enquêtés soit 35,38% affirment n’avoir jamais exploité les savoirs locaux au cours de leurs E/A. En revanche, les 64,62% ont dit avoir exploité au moins une fois les savoirs locaux dans leurs pratiques particulièrement lors des leçons portant sur les techniques culturales, les plantes en science, les tissages, les vanneries en géographie, la parenté à plaisanterie en morale, la construction d’une case, à la forge, chez le potier en lecture.

2.3. Des principales contraintes liées à l’exploitation des savoirs locaux

Les réponses relatives à cette question sont consignées dans le tableau ci-dessous

Tableau 3 : les causes liées à l’inexploitation des savoirs locaux par les enseignants

          Réponses

Questions

OUI Pourcentage NON Pourcentage Total
Ignorance de l’importance des savoirs locaux 29 44,62% 36 55,38% 100%
Ignorance des savoirs locaux 31 47,70% 34 52,30% 100%
Négligence 28 43,08% 37 56,92% 100%
Manque de formation 61 93,85% 04 6,15% 100%
Manque de guides 56 86,15% 09 13,85% 100%
Insuffisance de temps 24 36,92% 41 63,08% 100%
Croyance religieuse 18 27,70% 47 72,30% 100%

Source : enquête réalisée par nous-mêmes en avril 2022

Les données de ce tableau révèlent que le manque de formation et de guides pédagogiques relatifs aux savoirs locaux est les principales causes de leur inexploitation par les enseignants. En effet, 61 /65 enseignants soit 93,85% soutiennent que c’est le manque de formation qui entrave l’exploitation des savoirs locaux et 56 /65 soit 86,15% évoquent comme raisons, l’absence de guides.

Quant aux autres obstacles relevés par les enquêtés, nous pouvons retenir : diversités ethniques, 20 enseignants, soit 30,76%. Pour ce qui est du refus de collaborer de certains parents, nous avons sept (07) enseignants, soit 10,76%. Concernant l’absence de répertoire des savoirs locaux, nous avons dénombré 3 enseignants soit 4,61%. S’agissant de l’absence de programme officiel, nous avons 33 enseignants, soit 50, 76%.

  1. DES SUGGESTIONS POUR UNE PRISE EN COMPTE DES SAVOIRS LOCAUX DANS LES E/A.

À ce niveau, il y a eu deux préoccupations à savoir : le choix des savoirs locaux pouvant être pris en compte dans l’enseignement et les mesures à prendre.

Concernant les savoirs locaux à intégrer dans les E/A, on peut retenir d’une part ceux pratiques tels que la fabrication du soumbala, du dolo, la vannerie, le tissage, la forge, le tressage, le polissage des maisons, la pharmacopée traditionnelle etc. D’autre part, on a les savoirs locaux théoriques : la parenté à plaisanterie, les contes, les proverbes les devinettes etc.

S’agissant des solutions, les réponses sont entre autres : la formation des enseignants, l’octroi des guides, l’absence de répertoire à jour des savoirs locaux, l’ouverture de l’école aux détenteurs des savoirs locaux, transformation des écoles classiques en écoles bilingues, transformation de certains savoirs locaux tels que le tissage, la poterie en matière d’enseignement sont autant de vœux exprimés par les répondants au questionnaire.

CONCLUSION

La problématique de la prise en compte des savoirs locaux dans les enseignements/apprentissages à l’école primaire est toujours soulevée, mais son effectivité demeure un leurre. La quasi-totalité de la population burkinabè est unanime que notre système éducatif n’est pas adapté à nos réalités socioculturelles et souligne de plus en plus la nécessité de sa réforme.

Il est à noter que nous avons également abordé le cadre méthodologique qui a concerné la méthode de recherche, le champ d’étude, la population cible, la présentation et validation des outils de collecte ainsi que le mode de traitement et l’analyse des données recueillies.

C’est pourquoi nous ambitionnons de poursuivre notre recherche en vue de l’élargir à d’autres aspects afin de disposer un répertoire riche et varié de savoirs locaux fiables pouvant être exploités judicieusement au profit de la sauvegarde de nos identités culturelles.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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JOSEPH ,K. J.,( 1990). Eduquer ou périr. Paris. Editions L’Harmattan, 120 pages.

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KABORE, M., (2018)Place et rôle des savoirs locaux dans les enseignements-apprentissages des sciences d’observation au cours moyen : cas de la médecine traditionnelle, Koudougou, ENS/UK, 67 pages, Mémoire de fin de formation à l’emploi d’Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré.

LEWANDOWSKI, S., (2007). Les savoirs locaux au Burkina. Enjeux pédagogiques et sociaux. Ethnologie Française, 37, (4), 605-613.

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Loi 013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant loi d’orientation de l’éducation.

PP.120-133SAGUIN, L.P., (2010). Valorisation des savoirs locaux : les proverbes du plateau mossi                          comme moyen d’éducation morale à l’école primaire, Koudougou, ENS/UK, 91pages, Mémoire de fin de formation à l’emploi d’Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré.

TALADI, N.Y., (2020). Le développement endogène, tel la vie d’un végétal. Penser le territoire comme acteur de développement. Par Coline Desportes, doctorant en histoire des arts de l’Afrique à l’EHESS (CRAL) et à l’INHA. jcea. hypothèses. org.

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