J’aime le pagne de chez moi : pour 1000 FCFA ou 1000 $ ?
L’idée d’écrire cette chronique est vieille de quelques mois. Elle est née car, comme on dit sur Facebook, j’ai beaucoup « like » et « share » des photos de superbes femmes, superbes certes, mais surtout drapées dans de magnifiques vêtements, considérés comme étant typiquement africains. D’ailleurs une de mes pages préférées se nomme : « J’aime le pagne de chez moi (d’Afrique, ndlr) ».
L’intérêt s’est accru avec la lecture récente de nombreux articles sur le branding.
Je me suis posé une question à laquelle je veux apporter un début de réponse dans ce papier : dans un monde global, où l’on parle de « macdonalisation » et de « coca-colaïsation » de la planète, peut-on voir émerger une forte vague de designers de mode africains de calibre mondial qui créeront des marques fortes et internationales à partir de tissus considérés comme africains ?
La mondialisation rapproche des cultures locales
Je me plais toujours à reprendre cette illustration de l’ancien Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin pour dire la distance entre la mondialisation économique et la mondialisation culturelle. Dans mon dernier ouvrage, La Francophonie économique – Horizons des possibles vus d’Afrique, je signale qu’« il faisait remarquer que la mondialisation économique a su évoluer. Elle a su simplifier les choses en établissant des normes mondialement reconnues : il n’existe dans le monde que 2 normes de voltages et 3 types d’écartements de rails. Dans le même temps, on parle 3000 langues sur la terre, car il y a une résistance culturelle. »
Michaël Oustinoff, contributeur à l’ouvrage collectif Net.Langue, défend la thèse selon laquelle le décloisonnement des marchés a progressé beaucoup plus vite que la maîtrise de la langue anglaise. En clair, on n’assiste pas à un tout-à-l’anglais.
Je partage assez largement leur sentiment. Il est clair que plus qu’hier, grâce à Internet et aux TI, l’interpénétration des cultures est plus forte, mais paradoxalement, au lieu de les unifier, la mondialisation a contribué à inciter les peuples à s’affirmer, à vouloir partie prenante de la définition l’agenda culturel mondial. Ainsi après les CNN, Telesur, Al Jazeera, France 24, nous avons AFRICA 24.
Cette volonté de ne pas être définis par les autres s’illustre aussi naturellement par la volonté de se s’habiller – sans que ce ne soit exclusif – avec des tenues traditionnelles africaines ou des vêtements considérés comme provenant typiquement de cette partie du monde. Cette appétence rencontre, de l’autre côté la montée d’une classe de designers talentueux qui est capable de faire avec cette matière première les coupes les plus modernes.
Résumons-nous. La mondialisation, contrairement à certains pronostics, a contribué, dans une certaine mesure, à provoquer chez les peuples une volonté incompressible de s’affirmer, de participer à l’agenda culturel mondial. Et c’est formidable, les mutations économiques et démographiques qui s’opèrent et s’opéreront à l’avenir donneront aux créateurs africains un marché parmi les plus vastes au monde.
De la nécessité de bâtir des marques fortes
Et dès lors, ce qui me paraît absolument essentiel, c’est la capacité de bâtir des marques fortes et qui auront même vocation à se projeter hors du continent.
La création de valeur ajoutée est l’un des concepts cardinaux des économistes car c’est elle qui permet la production de richesses. À ce propos, il y a, je crois une unanimité pour dire que l’Afrique n’en crée pas assez : elle se contente d’exporter ses matières premières à l’état brut; elle les transforme très peu et demeure, par le fait même, au plus bas de la chaîne de valeur.
Mon sentiment, c’est que ce sera strictement la même chose avec l’industrie de la mode si nous n’y prenons garde. Alors bien sûr, il ne s’agit pas (que) de matières premières, mais je veux dire que si nos designers ne savent pas construire des images marque fascinantes et attirantes, des univers fortement désirés, des histoires qui font rêver autour de leur création, il est à penser que le potentiel de nos designers restera en deçà de ses réelles possibilités. Autant que nous ne savons pas capitaliser sur notre cacao alors que nous en sommes les champions mondiaux de la production; autant que nous ne savons pas tirer la pleine valeur ajoutée du pétrole alors que nous en possédons 10% des réserves prouvées; autant nous ne saurons pas grimper l’échelle de la valeur ajoutée dans l’industrie de la mode.
Que peut-on faire pour y parvenir ?
Fait rare dans cette chronique, j’ai tenu à donner la parole à deux experts de l’univers de la mode. Pour Laura Éboa Songuè, une des co-fondatrices du magazine FASHIZBLACK « Tout est une question de communication et d’image de marque. Il n’y a pas de secret. Avant de vendre des produits, les géants du luxe, sous l’égide de LVMH ou PPR vendent d’abord des marques FORTES. C’est via la communication, les relations presse et le marketing que les marques instillent des codes qui poussent les lambda à devenir des consommateurs. Mais il faut noter que ces proccess viennent en bout de chaine, il faut d’abord avoir un produit de qualité (il ne suffit pas de faire de « l’Africain », pour vendre aux Africains, il faut de la qualité!), ainsi que des ressources humaines et financières pour produire en masse. Ensuite, il faut un écosystème pour que ces marques survivent, c’est-à-dire des médias pour en parler, des fashion weeks pour les exposer, des lieux de vente pour les acheter, des leaders d’opinion pour porter leur message… »
Son avis est complété par le designer de grand talent qu’est Imane Ayissi : « d’une manière générale, pour que des tissus soient utilisés par des designers (qu’ils soient Africains ou d’une autre origine) pour du haut de gamme, il faut que ces tissus soient eux-mêmes haut de gamme, c’est à dire de bonne qualité, beaux et créatifs, adaptés au mode de vie actuel en terme de confort, de poids, de facilité d’entretien…etc. Personnellement j’aimerais beaucoup utiliser plus de tissus produits en Afrique, mais c’est très difficile de trouver ce genre de tissus fabriqués ici, sans parler des difficultés d’approvisionnement, d’irrégularité de qualité, de délais de livraisons…etc. Pour tout dire c’est un peu casse-gueule et souvent je finis par acheter des tissus en France, en Italie, au Japon et même en Chine, où je suis certain de la qualité, où les fournisseurs sont fiables…etc. En Afrique je n’achète en général au final que du coton basique. »
Le travail à abattre sera donc long : de la naissance et la prospérité de média world class à la capacité de toute la chaîne logistique d’être hautement performante, rien ne devra être négligé !
Mais je surveillerai l’évolution de la mode africaine avec grande attention car, si dans Bruits, Jacques Attali nous indique que la musique est prophétique; je suis de ceux qui pensent que l’émergence de marques de mode africaines de classe mondiale – et donc leur consommation par les Africains –, qui se spécialiseront dans la conception de vêtements à partir de tissus considérés comme africains reflètera/annoncera une Afrique nouvelle.
Je prétends qu’à ce moment-là, l’Afrique assumera plus son histoire, ses origines, sa culture. Quand nous aimerons le pagne de chez nous pas seulement pour 1000 FCFA (2$) mais pour 100, 500 ou 1000$, nous achèterons au-delà d’un vêtement, nous nous approprierons un univers, une légende, un style de vie. Pour reprendre une expression chère à Célestin Monga, notre self-esteem, se rapprochera du beau-fixe et il me semble que nous serons alors plus à même de contribuer à réécrire dans le Grand Livre de l’Histoire de l’Humanité. Rien de moins !
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tr?s beau il faut qu'on commence par ?a d'abord la sensibilisation et la publicit? pour toucher le plus de consomateurs merci