Militaires radiés au Burkina : 5 ans après, le règne du désespoir

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Le 18 janvier 2014, lorsque l’opposition burkinabè battait le pavé contre la modification de l’article 37 de la Constitution, dans la famille de Ousmane Bambara, le deuil s’installait. Sa femme venait de rendre l’âme après une lutte contre l’insuffisance rénale. Une énième épreuve dans la vie de cet homme de la cinquantaine, puisque quelques années plus tôt, soit en 2011, Ousmane Bambara avait été radié des rangs des Forces armées nationales. Burkina 24 a rencontré la famille Bambara et d’autres militaires radiés courant août 2016. Ces derniers narrent leur calvaire depuis la mutinerie de 2011.

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Ousmane Bambara, marié et père de 4 enfants est un ex-militaire qui servait à la Garde nationale (GN), parce que radié en 2011. Avant les évènements de 2011, Bambara était à une année de la retraite. Il lui alors a été offert le grade de caporal-chef, ce qui lui a donné la possibilité de grignoter une année de bonus pour servir l’armée nationale. C’est alors que ce qui devait changer sa vie à jamais est arrivé : sa radiation suite aux mutineries de 2011.

Des raisons de son éviction des forces armées nationales, Bambara n’arrive pas à nous l’expliquer. Le temps et les évènements douloureux que lui et sa famille ont traversés semblent avoir entamé sa précision à indiquer les jours, mais Bambara se rappelle des moindres détails de l’épisode de la mutinerie. « Réellement, je ne puis vous répondre. Moi-même honnêtement, je ne sais pas. On aurait dû me notifier, par exemple, tu as fait ça ou ça, tu as offensé telle partie du règlement. Mais jusqu’à présent, je ne sais pas quelle faute j’ai commise », explique-t-il.

« Ah, vous-même vous voyez que c’est dur »

Bambara, lors des mutineries – parce qu’il y en a deux, une avec l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et l’autre sans – à la Garde nationale en 2011, dit avoir suivi les instructions de sa hiérarchie « pour calmer et faire rentrer les enfants ». Chose qu’il a faite en sauvant la vie de son chef de corps. Il avait exfiltré son « colonel » en le conduisant à la gendarmerie alors que « les enfants » le cherchaient. 

Ces agissements lui ont valu des menaces de mort, sur lui et sur sa famille, de la part des mutins. Ainsi, la famille Bambara a été contrainte, une semaine après la fin de la mutinerie, de déménager dans leur maison en construction à Wayalgin (quartier de Ouagadougou).

Le dimanche 14 août 2016, quand la famille nous a reçu chez elle, c’est une maison famélique qui s’est offerte à nous : une bâtisse en dur, sans clôture. A l’intérieur de la maison, on entend aisément les craquements dus aux matraquages des rayons solaires qui traversaient le toit dépourvu de plafond pour s’abattre sur le sol sans terrasse. Une triste mélodie.

Ousmane Bambara s’est assis sur une chaise en plastique de couleur verte, nous obligeant à nous asseoir sur le seul canapé de la maison : « mettez-vous à l’aise, nous lance-t-il. Ah, vous-même vous voyez que c’est dur », s’excuse-t-il à propos de l’incommodité du fauteuil. Autour de nous, M. Bambara a fait appeler 3 de ses enfants. Le premier, un garçon, était sorti à la recherche de pain pour la famille. « Je n’ai rien à cacher. Filmez tout », ajoute-t-il. Ce fut fait, suivez la vidéo :

Une demi-journée chez les Bambara

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Ousmane Bambara a eu la chance d’avoir déjà usé de ses 10 doigts avant d’intégrer l’armée burkinabè. Il maîtrise la mécanique. C’est avec de petits contrats dans ce domaine qu’il arrive à « survivre ». Depuis sa radiation, rien ne va dans la famille. Tous les enfants étaient obligés de déserter les classes, faute de moyen. Et le décès de madame Bambara  le 18 janvier 2014 n’a fait qu’ajouter du désespoir à la peine de la famille.

« C’était elle (madame Bambara) qui était notre seul soutien. C’est avec son salaire qu’on pouvait payer un sac de riz ou des trucs comme cela. Mais avec sa maladie, on n’avait plus rien », raconte Carine Bambara. Avec le soutien de la grande famille, des soins avaient été entamés mais, « malheureusement, ça n’a pas marché. Elle est décédée », soupire la fille du radié.

« Je m’appelle Carine Bambara, je suis la fille d’un militaire radié »

Reconnaissant que le statut de radié impacte négativement leur vie, assise sur un tabouret, les cheveux remontés de force en touffe à la tendance nappy hair, Carine s’est présenté à nous ainsi : « je m’appelle Carine Bambara, je suis la fille d’un militaire radié », tout en caressant ses sandales sur le sol nu du salon. Profitant de notre objectif et abondant dans le même sens que son père, Carine « demande pardon aux autorités. Même s’il faut que nous-mêmes, enfants de radiés, sortons pour demander pardon, nous allons le faire », propose-t-elle pour voir leur condition de vie s’améliorer.

Le vécu de la famille Bambara semble être une copie de celui de la famille Zongo, avec son lot de tristesse dû à des décès après la radiation des forces armées du père de la famille. L’ex-caporal Ganda Zongo, un autre radié que nous avons rencontré le 16 août 2016, a vu sa femme faire une fausse couche quelques mois après sa radiation. Une année et trois mois après son éviction des rangs des forces armées nationales burkinabè, Ganda Zongo a également perdu son deuxième enfant alors âgé de 4 ans « par manque de moyens », note le radié.

Ganda Zongo a servi l’armée durant 10 ans au régiment d’artillerie lourd. Lors de la mutinerie, contrairement à Ousmane Bambara, l’ex-caporal affirme avoir revendiqué « mais je n’ai jamais tiré sur quelqu’un et je n’ai jamais pillé », assure-t-il. Pour lui, leurs revendications visaient l’obtention de meilleures conditions de vie et de travail et non pour faire du mal à la population. En compagnie de Missa Valentine Dianda, une militaire radiée, ils narrent leur expérience. La vidéo :

Parole d’un radié : « Tout militaire a été mutin. Pourquoi prendre ce qu’on n’a pas revendiqué ? »

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Les Burkinabè n’ont pas l’habitude de voir un visage féminin parmi les militaires radiés. L’histoire de celle que nous avons rencontrée le 20 août 2016 est aussi spéciale que son passage au sein des rangs. Recrutée en 2009, après une année de formation, Missa Valentine Dianda a été affectée au Camp Ouezzin Coulibaly. En 2011, elle a été radiée pour les faits suivants : «  rébellion, révolte, pillage et viol ». Un passage éclair au sein de l’armée qui a laissé des séquelles irréversibles pour la jeune fille.  

Missa Valentine Dianda a fait de la prison après son éviction de l’armée. Une année sans voir les siens au cours de laquelle elle a perdu son père. « Je n’ai pas assisté à son enterrement, je ne faisais que pleurer », narre-t-elle. En sus du lourd poids du statut de militaire radié, la radiée vit un autre calvaire. Elle se confie : « j’avais un gars (un homme) que je suivais. Une fois qu’il a appris que je suis militaire radiée, il a dit qu’il ne me veut plus. Que s’il me marie, je vais frapper sa maman et son papa. Qu’il ne me veut plus comme femme ».

Du haut de ses 25 ans, Missa Valentine Dianda a le sourire facile. Tête rasée,  elle a du mal à se défaire de son style militaire. Après les événements de 2011, à l’annonce de sa radiation, elle avoue que ce sont « des pleurs, des évanouissements et des cris » qui ont suivis. 

« Pour l’amour du pays, du Burkina »

Si Ousmane Bambara bénéficie d’une pension de retraite, ce n’est pas le cas pour Missa Valentine Dianda et Ganda Zongo. La note de radiation est sortie le 7 juillet 2011. Un salaire d’une semaine a alors été rétribué à chaque radié, leur dernier pécule venant de l’Etat.

Pour vivre, chacun à sa manière fait de petits boulots pour s’en sortir. Ganda Zongo, par exemple a arpenté des pays de la sous-région : « j’ai fait le Nigéria, ça n’allait pas. Je me suis débrouillé pour revenir au Bénin. Il n’y avait rien pour moi et je suis revenu au Burkina sans 5 f CFA« . Mais « pour l’amour du pays, du Burkina », il dit n’avoir jamais pensé à une quelconque représaille.

Depuis quelques années, les militaires radiés se sont regroupés pour demander pardon, réparation et encadrer les plus bouillonnants.

Ce bureau est conduit par Hervé Tapsoba. Lorsque le bureau a rencontré le chef de l’Etat, Roch Kaboré, le 1er juillet 2016, une liste de 679 militaires (il y a des décès et d’autres qui ont repris service) a été soumise avec pour seule doléance, la réintégration. Ici, le porte-parole des radiés dépeint la situation que ses siens vivent dans l’ensemble : 

Hervé Tapsoba : Les militaires radiés « souffrent dignement. Beaucoup ont perdu leur femme »

Burkina 24

Lors d’un entretien que nous avons eu avec Hervé Tapsoba le 23 août 2016, celui-ci affirme qu’une question lui taraude l’esprit et aimerait avoir une réponse de qui de droit : « On dit que nous sommes des civils. Parmi nous, beaucoup détiennent des informations. Mais est-ce qu’au stade où nous sommes, sommes-nous tenus par le secret-défense ? »

Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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