Chronique de Raakedo: L’entrepreneur africain doit être politique
La Chronique de Raakedo (“raakedo” signifie en gourounsi, “autrement dit”) est une analyse d’Amon Bazongo, étudiant burkinabè à Taïwan. L’économie et l’expérience des tigres d’Asie sur les questions de développement passeront régulièrement sous sa loupe, avec évidemment, le Burkina Faso en toile de fond.
L’entrepreneur africain changera-t-il l’Afrique? Si l’on arrive à créer une nouvelle race d’entrepreneurs, ma réponse est clairement OUI. Le type d’entrepreneurs que l’on a en Afrique ne changera pas le continent et le chroniqueur Hamidou Anne du Monde Afrique insiste sur ce fait. Quant à moi, je me donne le droit de penser que l’entreprenariat doit aller avec la politique. Si l’entrepreneur s’éloigne un peu de son cote économique pour se rapprocher d’une sorte de militantisme, il est certain que l’impact qu’il aura sera plus grand.
Un piège pour l’Afrique ?
Encore une fois, c’est d’ailleurs que le modèle de modernisation de l’Afrique nous est proposé. Comme je le disais dans mon article sur le concept de développement, ici, on vient nous bombarder une autre solution miracle selon laquelle l’entreprenariat serait la clé du développement de nos pays.
Nos dirigeants avalent cette affaire sans mettre en place les mécanismes et outils qu’il faut. Et notre jeunesse, qui n’a pas trop le choix, tente de reproduire chez nous ce qu’ils voient avec les marchands de « success stories ».
La majorité des Africains sont des entrepreneurs
Et pourtant, l’entreprenariat n’est pas nouveau en Afrique. C’est bien le secteur dit informel qui sauve les économies africaines. Le mécanicien, le menuisier, la vendeuse de beignets, sont tous des entrepreneurs qui cherchent à s’en sortir à leur niveau. Parce que oui, c’est cela d’abord être entrepreneur en Afrique.
Lorsque l’on a aucun autre choix que de se débrouiller, de trouver des solutions pour sa survie, on « entreprend ». Lorsqu’on est capable de subvenir à ses besoins minimaux, on peut commencer à profiter des opportunités économiques que la vie de tous les jours nous présente.
Quant aux notions de « startup », « business angels » et tout ce charabia, ils existaient déjà. A l’époque, beaucoup de jeunes avaient des projets sur lesquels ils travaillaient. De nos jours, ces projets se font appeler des « startup » pour être plus dans la mode. En fait, la notion de startup est plus liée au domaine des technologies de l’information et de la communication.
L’image de la startup, c’est celle avec des jeunes en face d’écrans d’ordinateur, alors que le jeune qui se lance dans l’agriculture, l’élevage, la nutrition, la santé, etc, se voit classer dans une catégorie souvent de petites entreprises. En plus, où est ce que l’on met ceux que l’on appelle « opérateurs économiques »? N’est-ce-pas des entrepreneurs également? Oumarou Kanazoe du Burkina Faso et son entreprise OK, n’a-t-il pas été une sorte de « success story » à la Burkinabè?
L’entrepreneur engagé, l’entrepreneur du peuple
Que faut-il donc de plus à l’entrepreneur actuel pour qu’il soit plus moderne ? Le jeune entrepreneur Ivoirien Jean-Patrick Ehouman nous donne une piste à travers une publication sur les réseaux sociaux. Il parle de « démarche entrepreneuriale » et il mentionne « l’innovation et la prise de risque quasi-constantes, la création d’une solution à un problème récurrent qui impacte un grand nombre de personnes, à un point où ces personnes ou d’autres à leur place seraient disposées à « payer » pour acquérir ou utiliser cette solution, la création d’emploi et d’impact sur l’économie de l’environnement dans lequel on évolue, la création d’une nouvelle forme d’organisation, de procédé ou d’interaction avec les clients, … »
Oui, cela est nécessaire pour rendre bien meilleurs les entrepreneurs que nous avons. Mais je pense que la touche particulière, c’est l’engagement politique et social. De la même manière que le militaire qui n’a pas de formation politique est un criminel en puissance, l’entrepreneur qui n’en a pas est un exploiteur en puissance, exploiteur de la force et de l’intelligence d’autrui, dans le but de satisfaire une cupidité souvent incommensurable.
Maintenant, que l’on ne confonde pas politicien et homme politique. Un homme politique est au service du peuple alors qu’un politicien est à son propre service. Ceux qui sont dans des partis politiques et qui quémandent les votes des populations, ceux qui font des coups bas à leurs adversaires, ceux qui vendent des promesses et refusent la transparence, ceux qui font toujours parler d’eux dans les medias, ceux-là, ce sont des politiciens. Celui qui encourage ses voisins à lever un fonds pour construire des caniveaux dans le quartier, cet homme-là est un homme politique.
La cause au-dessus de l’argent
Plus que le problème à résoudre, plus que l’argent à gagner, la cause à défendre devrait être un élément important parmi les raisons de décisions de se lancer dans l’entreprenariat. L’exemple de Marcus Garvey, le Jamaïcain à l’origine du mouvement « Africa for Africans », est remarquable. En pleine période de ségrégation, il réussit à être l’homme noir le plus riche de son temps avec sa société Black Star Line et avec pour seule cause, ramener les Noirs d’Amérique sur leur continent d’origine, l’Afrique et y établir un état fédéral.
C’est un personnage qui a d’ailleurs marqué Kwame Nkrumah qui fera plus tard des Ghanéens, les Black Stars. Une autre « success story », Aliko Dangote qui à lui tout seul, contribue pour près de 10% au PIB du Nigeria. Son « business angel » … son oncle qui lui a prêté de l’argent pour démarrer son entreprise de transport. Il est difficile de dire si Dangote est un homme engagé ou pas, mais imaginez un instant 100 Dangote engagés pour ce milliard d’Africains.
Tous ensemble avec les entrepreneurs
Des entrepreneurs d’une nouvelle race changeront l’Afrique. Mais cela se fera avec l’aide des autres. Ces autres qui vont consommer les biens et services des leurs qui les produisent. Chacun de nous est un « business angel » et chaque maison, chaque école, chaque grin est un « incubateur ». En réalité, c’est tous ensemble que l’on va changer les choses, c’est tous ensemble que l’on va mettre en place un modèle économique et social propre à l’Afrique.
Amon Mocé Rodolphe BAZONGO
Chroniqueur pour Burkina24
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