Tribune – « Petit cours sur la redevabilité au Burkina Faso »
Dans cette tribune, Ousmane Djiguemdé dit donner un « petit cours sur la redevabilité’.
Nous sommes pratiquement en fin d’année 2017. C’est le moment pour tout gestionnaire public (stratégique ou opérationnel) de faire face à un devoir pour lequel le contenu n’est pas toujours évident, aussi bien pour les citoyens que pour les responsables eux-mêmes. C’est cette raison qui nous amène à ce petit cours de redevabilité sur un concept qui, même au niveau de la communauté scientifique, est toujours en construction.
Éléments du système de redevabilité de la gestion publique au Burkina Faso
Il faut dire que le Burkina Faso dispose bien de cadres normatifs, de structures et d’instances qui organisent la redevabilité dans la gestion publique. L’examen de cette organisation laisse entrevoir un système complexe d’actes et d’actions diverses qui peuvent se présenter soit sous forme sociale (inspirée par la société) ou sous forme technique (réglementée par la norme et la pratique administrative), mais avec des variantes politique, administrative, technologique et économique.
Le système de redevabilité auquel nous sommes parvenu est le fruit d’une construction sociale, marquée d’abord par les origines sociohistoriques des peuples d’Afrique occidentale, qui n’a pas manqué de se laisser pénétrer de force par l’influence hégémonique d’un homme présenté comme fort depuis l’avènement de la Rectification, avec des motivations inspirées de sa vision stratégique et de ses ambitions politiques. Dans le cadre de cette tribune, notre intérêt sera porté seulement sur la redevabilité politique et administrative.
Ainsi donc, la construction du système de redevabilité burkinabè s’est d’abord nourri d’une redevabilité formelle ou institutionnelle, due à l’observation de principes administratifs et à la mise en place de normes (depuis le décret N°85-108/CNR/PRES du 02 novembre 1985 sur les structures dirigeantes de l’exécutif révolutionnaire jusqu’au décret n°2017-625/PRES/PM/MFPTPS du 18 juillet 2017 portant modalités d’évaluation de la performance des structures de l’Administration publique) qui ont évolué avec la modernisation des administrations publiques.
Elle s’est ensuite nourri d’une redevabilité informelle, due à la résurgence de valeurs, donc à l’intervention de l’éthique et de la morale, ou l’envahissement d’antivaleurs, dues exclusivement aux dérives comportementales d’agents publics et de citoyens éloignés de l’intérêt général ou simplement rétifs à la gestion moderne de l’administration publique. Malheureusement, dans l’administration publique burkinabè, c’est cette dernière forme de redevabilité, largement entretenue par la politisation de l’administration, qui tient toute la vie publique nationale dans une sorte d’allégeance indicible, fondement illogique de la puissance locale ou nationale d’acteurs ou partis politiques bien connus.
Un système de redevabilité qui manque de sincérité
Il ne serait donc pas judicieux d’apprécier le système de redevabilité en matière de gestion publique au Burkina Faso, sans se référer à toutes ces réalités, parce que, malgré les apparences juridiques dont il s’est revêtu, le système actuel de redevabilité au Burkina Faso a été en partie inspiré par une dialectique bâtie autour de normes défaillantes et d’acquis relationnels ou de préjugés sociaux sur lesquels ont surfé les acteurs politiques pour asseoir progressivement leur puissance. Nous sommes au regret de constater qu’en dépit des efforts d’acteurs parfois de bonne foi, le système de redevabilité de la gestion publique au Burkina Faso manque de sincérité. Chose que le nouvel avant-projet de constitution est loin d’avoir garanti !
Dans tous les cas, ce que ce système représente aujourd’hui reste le solde d’un processus de construction qui doit beaucoup à la prudence d’un homme, Blaise Compaoré, dont la marque sulfureuse de sa gouvernance est méthodiquement envahie d’une sorte d’omerta durant son règne, pour éviter que ce passé douloureux, non encore soldé, malgré un processus de pardon prometteur, mais escamoté, soit l’occasion pour ses détracteurs de lui demander des comptes.
Cette paternité va de pair avec la paternité du retour à la démocratie qui lui est reconnue. Donc la redevabilité aurait simplement été ce que Blaise Compaoré aurait voulu qu’elle fût ou juste ce que la pression du peuple aurait pu l’obliger à concéder. En définitive, tout le déni de reddition de comptes des acteurs de la 4ème République ou du moins le peu de sincérité de leurs comptes rendu prend toute sa source dans ce passé.
De nouveaux outils prometteurs intégrés au système de redevabilité
À la lumière des excavations mises à jour à la suite de la débandade et la fuite des dirigeants du régime ancien, passées progressivement en fouille par l’histoire, il semble de plus en plus certain que cette prudence est le substrat qui a secrété, dans la construction du système de redevabilité administrative, cette situation de laisser-aller généralisée et de mauvaise distribution spatio-temporelle, aussi bien quantitative que qualitative des politiques publiques, dans tous les secteurs d’activités, et une situation de ras-le-bol qui a obligé les citoyens à sortir de leur réserve habituelle pour prendre en charge eux-mêmes la question de la redevabilité, à travers des cadres organisés.
Née de cette volonté citoyenne de s’opposer à l’absence de volonté politique de gestion transparente et saine, voire d’endiguer la lenteur de son expression, quand elle existe, la conception de contrôle citoyen de l’action publique (CCAP), s’inscrit dans un paradigme qui traduit l’éveil des citoyens en matière de gestion des affaires publiques et consiste à exercer le droit à la reddition des comptes reconnu au citoyen.
En intégrant cette approche dans ses exigences de redevabilité, la société civile burkinabè, de concert avec celles de la sous-région ouest africaine, est parvenue à des succès considérables à ce jour. Le Burkina Faso s’est engagé sur le chemin de la facilitation de l’action de vérification de l’effectivité d’une redevabilité sincère par l’adoption et la mise en œuvre du budget citoyen. Autre concept nouveau qui favorise une lecture profane du budget de l’État et ouvre l’esprit du citoyen à la critique avisée de l’action publique.
Au total, toute la démarche de construction de notre système de redevabilité, faiblement rattaché à nos référents culturels d’intégrité et de dignité, s’est bien abreuvée, à la source des valeurs historiques du colonisateur français, dont l’influence se ressent sur les sources juridiques et légales, auxquelles se sont greffées les reliques du système de redevabilité construit sous la période révolutionnaire. Il reste à espérer que les citoyens seront suffisamment alertes pour exiger que la nouvelle constitution se débarrasse des scories qui ternissent ou inhibent les processus d’intégration et de valorisation de l’éthique de la responsabilité dans la gestion des affaires publiques au Burkina Faso.
Ousmane DJIGUEMDE
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