Justice : « Les résultats ne sont pas encore à la hauteur du sacrifice consenti »
Début juillet 2017, la commission d’enquête du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a clos son enquête qui a révélé « l’existence de manquement à l’éthique et à la déontologie dans vingt-neuf (29) dossiers » et épinglait ainsi trente-sept (37) noms de magistrats, trois (03) avocats, cinq (05) greffiers, quatre (04) OPJ et APJ de la gendarmerie nationale. Cette nouvelle était venue mettre de l’huile sur le feu dans un Burkina Faso marqué par d’horribles crimes à l’image de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo pour lesquels des procès sont toujours attendus. Où se situe le problème, le goulot d’étranglement ? Pourquoi « les résultats ne sont pas encore à la hauteur du sacrifice consenti (leur plateforme revendicative a été totalement satisfaite en début de mandat) » ?
Mathias Tankoano, aujourd’hui avocat, est passé par la case des juges. Pour l’invité de l’émission « Sur la brèche » de la RTB, ce qui passe pour un ’’retard’’ dans le traitement de certains dossiers, « n’est pas un manque de diligence » de la part des magistrats mais plutôt du fait qu’ils ne sont « pas suffisamment nombreux » au regard du nombre de dossiers pour lesquels ils sont saisis.
Il ne cache néanmoins pas son amertume de voir le paysan qui ne connait pas la procédure, qui n’a pas d’avocat et qui, lorsqu’il a un contentieux foncier (ce qui est récurrent en milieu rural), écrit au tribunal, retourne chez lui pour constater trois, quatre mois plus tard que son « dossier n’a toujours pas bougé ».
« Pour avoir été de la maison, je sais comment le juge croule sous le poids des dossiers. Sincèrement, dit-il, la majorité de nos magistrats se battent comme ils peuvent pour vraiment travailler dans la dignité et à la hauteur des charges qui leur sont confiées ». L’ancien magistrat dit comprendre cependant, « le besoin des citoyens d’avoir une justice rapide », eux qui ne doutent pas du « travail très complexe » à effectuer par les juges.
Avec le temps, analyse l’avocat, « il y a beaucoup d’améliorations » et « les magistrats ont fait un effort pour que quelqu’un – surtout quand c’est les dossiers de flagrants délits – ne reste plus en prison un mois, trois mois avant d’être jugé ».
Mais alors, qu’est-ce qui explique que les impressions demeurent le même au fil du temps ? Des impressions qui laissent croire que la justice est rendue selon la tête du client ? Mathias Tankoano est catégorique. « Non », la justice n’est pas rendue en fonction de la tête du plaignant ou de l’inculpé.
Et même si « la majorité des magistrats font leur travail en toute honnêteté et en toute conscience », l’ancien juge concède : « il y a toujours des ratés ». Ce qui selon lui ne veut pas dire qu’on doit partir de ces cas pour généraliser.
Ces « ratés » ne sont pas du goût du contribuable qui a suivi l’accession sans conditions de l’exécutif aux exigences, aux revendications syndicales de la magistrature. « Tout ce que les magistrats ont demandé, il a accepté. Les mouvements sociaux qui ont suivi, beaucoup ont justifié ces mouvements par le fait qu’on avait accordé suffisamment d’avantages aux magistrats », relève l’ancien conseiller juridique du chef de l’Etat au moment des faits.
L’une des raisons qui a prévalu, dit-il, c’est la volonté du président du Faso d’arriver à une réelle indépendance de l’appareil judiciaire qui doit travailler à éviter que « chacun se rende justice » en extériorisant la violence qu’il y a en lui.
De ce fait concède-t-il, « ce n’est pas normal que nous ayons ce genre de cas (des juges épinglés pour ’’manquement à l’éthique et à la déontologie’’) » et qui a eu pour conséquence le ras-le-bol qui a abouti à l’insurrection populaire. « C’est aux magistrats de se mettre à la hauteur du sacrifice consenti par le peuple ».
Le sont-ils depuis que l’exécutif a consenti à leur accorder ce qu’ils exigeaient ?
L’avocat répondra par la négative. « Les résultats ne sont pas encore à la hauteur du sacrifice consenti » avec pour résultante, une « opinion (qui) a toujours l’impression que c’est de l’argent qu’on a jeté par la fenêtre en accordant autant d’avantages aux magistrats ».
Oui Koueta
Burkina24
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