Burkina : « Bizarrerie constitutionnelle » en attente d’adoption

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Du Président du Faso, qui peut être amené à cohabiter avec un Premier ministre dont le parti aura la majorité au parlement, ce qui fera passer le chef de l’Etat pour le chef de file de l’Opposition politique (CFOP), au maintien d’institutions comme le Conseil économique et social (CES), le politologue Abdoul Karim Saidou et le doctorant en droit public Gilles Sawadogo décortiquent le projet de Constitution.

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Cet après-midi du 23 février 2019, le politologue, enseignant-chercheur à l’université Ouaga 2 et le doctorant, président de l’Initiative Jeunes pour l’Etat de droit et la démocratie (IJEDD), entretenaient leur auditoire, dont notamment des étudiants en droit, sur le projet de Constitution. 

De la convocation même d’une commission constitutionnelle.

Feignant « une banalisation de la Constitution », l’occasion était belle pour le politologue de poser une question à laquelle il aimerait obtenir des réponses scientifiques. Pendant la cérémonie d’investiture, le Président élu jure de « respecter et faire respecter » la Constitution.

Mais alors, « comment concilier la nécessité d’adapter la Constitution aux évolutions sans pour autant la désacraliser ? Comment expliquer le fait qu’un président ait juré sur la Constitution de respecter et de faire respecter la Constitution de la IVème République et que ce même président fasse basculer le pays vers une Vème République ? », s’interroge Abdoul Karim Saidou. 

L’analyse du doctorant en droit public est bien tranchante. Lui aussi décèle que « le président a initié un changement de Constitution qui ne respecte pas la Constitution qui est là ». Gilles Sawadogo trouve là l’existence d’« un projet d’assassinat » de la charte fondamentale qui « peut s’analyser comme un attentat à la Constitution qui pourrait engager la responsabilité pénale du chef de l’Etat ».

Président du Faso et CFOP à la fois

Régime semi-présidentiel, président « figurant ». Pour Abdoul Karim Saidou, le maintien de ce régime constitue « la principale faiblesse » du projet de Constitution. C’est même, dira-t-il, « une bizarrerie constitutionnelle que le Français a inventée, que les Etats africains ont adoptée bêtement et que nous avons reproduite bêtement dans le projet de Constitution ». L’enseignant-chercheur s’interroge sur les raisons qui ont pu prévaloir pour que cette disposition demeure alors qu’elle peut conduire à « une cohabitation en sachant que la cohabitation signifie que le président du Faso devient en même temps le chef de file de l’opposition ».

Et le politologue de formuler une hypothèse au sortir des élections générales de 2020. « Le Président du Faso (qui a levé toute équivoque sur sa candidature) est réélu mais le CDP obtient la majorité à l’Assemblée nationale ». De tels résultats conduiront à la désignation d’un Premier ministre (PM) issu du CDP, qui devra mettre en œuvre, non pas uniquement le programme du président sur la base duquel il a été élu, mais également celui de son parti.

Résultante : « le peuple lui a donné un mandat et il ne va pas appliquer ce programme puisque le PM va venir du CDP qui est un parti d’opposition ». L’article 42 dispose en effet que « le Président du Faso nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire, après consultation de celle-ci ».

L’autre situation inconfortable, c’est celui d’un président du Faso qui se retrouvera à jouer en même temps la fonction de CFOP. « Mais ce n’est même pas sûr, analyse Gilles Sawadogo. Parce que le CFOP a un statut. Mais le président qui se retrouve esseulé dans un gouvernement avec un parlement sur qui il ne peut pas compter ? Il n’est qu’un figurant ».

« Comment concilier la nécessité d’adapter la constitution aux évolutions sans pour autant la désacraliser ? « 

Du maintien de ces « institutions inutiles »

Me Guitenga S. Ibrahim figurait sur la liste des 92 membres de la commission constitutionnelle dévoilée par le conseil des ministres à l’issue de sa séance du 1er juin 2016. Contrairement à la Haute cour de justice, « une cour qui a pour mission de garantir l’impunité aux hommes politiques », qui « n’a jamais fonctionné, n’a jamais tenté de fonctionner (mettre en accusation) » et qui disparaîtra mais va juger les dossiers qui sont devant elle actuellement (plus de nouvelles affaires), la justice militaire qui ne figurait pas sur l’avant-projet de Constitution a réapparu sur le projet remis par la commission au chef de l’Etat.

L’avocat a fait part de son étonnement de voir que des « tribunaux d’exception » peuvent encore exister dans une république. « L’occasion, dit-il, était belle pour balayer ça ». Mais déplore-t-il, « on n’a pas pu échapper à un ‘veto’ militaire qui ne dit pas son nom ». Le Chef d’état-major général des armées d’alors se serait même déplacé en personne pour aller voir le président de la commission. De même, il y aurait eu une « tentative du syndicat de la police de constitutionnaliser la police nationale ». Cependant, « cela n’a pas prospéré à cause en partie du veto de l’armée qui n’a pas voulu partager son chapitre spécial ».

Il n’y a pas que la justice militaire qui ne figurait pas sur l’avant-projet. Le conseil économique et social (CES) aussi. La réapparition de ces institutions, « qui n’ont aucune importance en l’état actuel si ce n’est pour satisfaire », est telle une arête de poisson restée au travers d’une gorge. Certes, la commission des réformes sous la transition n’a pas pu prouver « quelle est l’utilité du CES » mais « on l’a maintenu », s’étonne Abdoul Karim Saidou. Les débats  au sein de la commission n’y ont « rien » changé. Et pourtant, « on n’a pas pu nous démontrer quoi que ce soit ».

L’unique raison avancée par les membres qui ont milité pour son maintien, c’est qu’« il y a des doyens qui sont là-bas ». Ainsi « pour ce qui concerne le CES, dira Me Guitenga, pendant les débats pour sa suppression, il y en a qui pensaient déjà à qui va occuper le poste de président. C’est pour vous donner l’esprit de quelques constituants au moment où, au lieu de réfléchir sur l’intérêt général, il y en qui recourent à leur personne ».

De l’assemblée nationale

Au nombre des débats houleux au sein de la commission figurait en bonne place le contrôle du parlement par la Cour des comptes. Le projet de Constitution autorise cette cour à « contrôler en toute liberté les comptes de l’Assemblée nationale (qui fonctionne sans contrôle externe depuis 1991) ».

A cela s’ajoute la limitation du nombre de mandats des députés. L’article 102 de la loi fondamentale dispose que « nul ne peut exercer plus de trois mandats de député, ni consécutivement ni par intermittence ». Une fois la Constitution adoptée, l’Assemblée nationale, qui jusqu’ici ne répondait pas de sa gestion financière, sera « soumise au principe constitutionnel de la reddition des comptes » devant la Cour des comptes.

Cette dernière n’a pas échappé à la réforme. Il y est intervenu ce que le politologue qualifie de « réforme radicale ». En effet, elle ne relèvera plus du pouvoir judiciaire et sera désormais « indépendante des autres pouvoirs et institutions ». La réforme consacre par la même occasion la création d’un ordre financier.

« Le problème aujourd’hui, c’est que vous avez deux types de membres (magistrats professionnels et des non magistrats). Les non magistrats viennent pour un mandat de cinq ans. Après leur mandat, ils retournent dans les ministères qu’ils ont eu à contrôler. Et cela ne crée pas la sérénité, la sécurité juridique parce que si vous contrôlez un ministère et que vous savez que dans cinq ans, vous allez revenir dans le même ministère, ce n’est pas la même chose que si vous êtes totalement détachés », analyse le chercheur.

Du débat écarté sur la laïcité

Soulevé par la communauté musulmane lors des travaux de la commission constitutionnelle, le débat n’a pas prospéré. Faute d’intérêt accordé au sujet. Au finish, « dans la Constitution, il n’y a rien », déplore M. Saidou. Et pourtant au TITRE XIII : DE LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION, CHAPITRE II : DES LIMITES AU POUVOIR DE REVISION, article 191, il est dit que « aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause la forme républicaine et laïque de l’État ».

Et même qu’un peu plus haut, TITRE II : DE L’ETAT ET DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE, CHAPITRE I : DE L’ETAT, l’Article 42 dispose que « le Burkina Faso est un Etat souverain, unitaire, indivisible, démocratique, social et laïc ». En somme dira le politologue, « la réforme n’a pas pu être radicale parce que l’insurrection de 2014 n’était pas une révolution. Ceux qui ont pris le pouvoir actuel, c’est une élite conservatrice. Ce n’est pas une élite révolutionnaire. Ce ne sont pas acteurs porteurs de réformes radicales ».

Le-Mogho-Naaba-et-le-cardinal-Philippe Ouédraogo-a-la-fin-de-la-prière-marquant-la-fin-du-mois-béni-de-ramadan-© Oui Koeta/Burkina24

Laissés sur leur faim

Pour le politologue, la réforme telle que conduite était une « opportunité de réformer la démocratie » en usant du format de « l’arbre à palabre pour réinventer » le processus qu’il juge avoir été « participatif, inclusif », contrairement à ce qu’il a été donné d’observer ailleurs avec des désistements pour les uns et des passages en force pour les autres. « On se rend compte que dans le cadre du processus d’adoption de cette Constitution, la question du droit c’est ce qui est banal. On a engagé le processus sans tenir compte du droit. On pense que c’est une nouvelle Constitution, donc on peut tout faire », récuse le doctorant Gilles Sawadogo.

De l’avis de Me Marcelin Somé, la Transition était « cette période bien » pendant laquelle les réformes auraient dû être menées. Mais, récusera l’avocat, les acteurs se sont terrés dans « une sorte de reniement ». « Nous aurions dû ravaler notre fierté et mettre en œuvre les réformes », conclura-t-il, amer.

Son collègue Me Samuel Ibrahim Guitenga est catégorique : « En matière constitutionnelle, c’est une question de rapport de forces. Quoi qu’il en soit, vous ne verrez pas une Constitution qui sera la satisfaction totale du peuple dans son ensemble ». Qu’à cela ne tienne ! Le politologue lui trouve un motif de satisfaction dans la tenue du processus. Il n’y a certes pas eu de « rupture » à proprement dite, mais, se contente-il, « par rapport aux acquis engrangés depuis 91, il n’y a eu aucune remise en cause ».

« Nous aurions dû ravaler notre fierté et mettre en œuvre les réformes »

Du mode d’adoption

L’« incertitude » plane toujours sur le mode d’adoption de la Constitution. Symbole que « peut-être le gouvernement en place n’a pas anticipé la question » comme en témoignent les « tâtonnements  » ? A commencer par « pourquoi lancer un processus si on n’a pas mûri les réflexions quant à son aboutissement ? », interroge Abdoul Karim Saidou.

Face à la résurgence terroriste, l’état d’urgence a été décrété par le président du Faso. « On sait qu’il sera difficile voire impossible de faire un référendum », déduit le politologue qui insiste : « on n’est pas obligé de passer à la cinquième république ». Suspendre l’état d’urgence pour organiser le référendum par exemple ? « Ça ne fait pas sérieux », trouve le doctorant.  Pour Gilles Sawadogo, « le projet actuellement apparaît comme pas urgent », comme c’était le cas avant la révision de novembre 2015 par le CNT sous la Transition. « Actuellement, je ne vois pas ce qui urge pour qu’on ait à réécrire une nouvelle Constitution », dira-t-il.  

L’autre option, c’est celle qui consistera à coupler le référendum avec les élections générales de 2020. Celle-ci plaît bien aux conférenciers. Et pour cause, la campagne présidentielle va être une campagne référendaire au cours de laquelle le peuple aura son mot à dire. Pour le doctorant en droit public, cela pourra mettre un terme à ce qu’il qualifie de « marginalisation du peuple ». Pour sûr, analyse le politologue, « cela a l’avantage de faire en sorte que le peuple intervienne » mais aussi et surtout « de nous éviter un gaspillage de ressources ».

Oui Koueta

Burkina24

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Oui Koueta

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