Détournement de vivres de la cantine scolaire à Léo : Une affaire, mille questionnements
Le 23 juin 2022, le Tribunal de Grande Instance de Léo dans la région du Centre-Ouest ouvrait une audience contre des manifestants dit illégaux sur plainte de l’ex maire Abdoul Manane Nébié. Alerté par ce procès pour le moins étrange, nous effectuons le déplacement pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire.
Le jeudi 23 juin 2022, le Tribunal de Grande Instance de Léo avait plusieurs dossiers sur table. Mais le « gros » dossier était celui d’une plainte de l’ex maire de la commune de Léo contre des manifestants au motif que ces derniers ont manifesté sans autorisation. Pour cette première audience, pas grand-chose à mettre sous la dent. A la demande des conseils des prévenus, le jugement a été renvoyé au jeudi 4 août 2022.
En attendant cette date, nous avons voulu comprendre le fond de cette l’affaire. Et il ressort que l’élément déclencheur de la marche illégale était la gestion de la cantine scolaire dans la commune de Léo.
Nous entreprenons donc de prendre attache avec un des meneurs de la marche. Eidel Moussa Nébié dit Tchiefari, un des leaders de la marche, explique que la manifestation avait pour but de réclamer la cantine pour les élèves. Selon nos sources, ce sont les élèves puis les parents d’élèves qui ont d’abord exprimé leurs mécontentements avant que la population ne rentre dans la danse.
Il explique que cela a fait pratiquement trois ans que les élèves de la commune de Léo ne bénéficient plus de la cantine alors que l’Etat central a débloqué des fonds à cet effet.
« L’ex maire avait donné une partie de la cantine. Le conseil municipal a bloqué les sessions pour dénoncer la gestion calamiteuse de la cantine scolaire. L’ex maire a fait savoir sur document que la cantine a été servie à 100%. Cependant, la commune de Léo regorge de beaucoup d’orphelins qui comptent énormément sur la cantine scolaire. Je pense que c’est dans ce sens que le gouvernement débloque un fonds pour les élèves », s’indigne Eidel Moussa Nebié.
En demandant le renvoi du procès, Eidel Moussa Nébié dit Tchiefari souligne que c’est pour mieux cerner les contours de l’affaire. « A mon entendement il y a beaucoup de choses qui se sont passées au niveau de la mairie dont nous n’avons pas d’éclaircissement. Je pense qu’avec ce renvoi, avec les conseillers nous allons échanger pour mieux cerner tous les contours », explique-t-il.
Par la suite, nous rencontrons le bureau communal des parents d’élèves de la commune de Léo. Boureima Nignan, président communal de l’association des parents d’élèves, rappelle que la commune regorge 47 écoles dans la ville de Léo.
Pour revenir à la gestion de la cantine durant les trois années écoulées, il affirme que la mairie de Léo a livré en 2019 la moitié des vivres. Mais en 2020 et 2021, les élèves n’ont rien reçu comme vivres dans la cantine. Il précise que cette situation a été révélée lors d’une assemblée avec les syndicats des enseignants le 14 juin 2021.
Au regard de plusieurs manquements dans la gestion de la cantine, le 15 juin 2021, les enseignants, les parents d’élèves et les élèves sont allés pour demander des comptes à la mairie, nous informe le président communal de l’association des parents d’élèves de Léo.
« Ce jour-là, les agents de la mairie ont eu peur et ont fermé les portes. Le Secrétaire général et quelques agents sont sortis pour nous recevoir. Suite à cela, le bureau syndical des enseignants ont eu plusieurs rencontres avec le maire à propos de cela. Et toujours rien. Même le gouverneur a rencontré le maire à ce sujet », raconte-t-il avec mélancolie, non sans souhaiter que le procès permette l’éclatement de la vérité.
Ça fait deux ans et demi de cantine qui n’a pas été servie…
Yssouf Yago, un autre membre du bureau communal de l’association des parents d’élèves, d’une voix peu audible, indique qu’après moult tentatives pour rencontrer le maire, leurs démarches se sont révélées vaines.
« A chaque fois, il nous a fait comprendre que son calendrier est trop chargé. Finalement on a rencontré le secrétaire général avec le premier adjoint au maire. Mais ils ont fait savoir qu’ils sont limités sur la question. Ça fait deux ans et demi de cantine qui n’a pas été servie. C’est ainsi que l’on a décidé de déposer une plainte pour une explication de la gestion des vivres de 2019-2020-2021
C’est quand nous étions en train de préparer notre plainte au niveau de la justice que la population a organisé la marche. En tant que doyen du groupe, c’est à moi qu’on a remis la clef de la mairie à remettre au Haut-commissaire de la province. Dans la nuit, un groupe est allé casser les portes de la mairie et le maire a repris son travail », relate-t-il.
Sur un ton d’impuissance, il déplore le fait que la maire ait toujours refusé le dialogue avec le bureau des parents d’élèves.
Ensuite, nous nous sommes mis à la recherche d’un ex membre du conseil municipal pour un peu comprendre la genèse de la manifestation. C’est ainsi que nous avons rencontré un ex conseiller et le 2e adjoint au maire du nom de Salif Tikaro.
« C’est un souci de la gestion de la cantine scolaire. La manifestation a commencé par les conseillers. En 2019 on n’a pas pu livrer la cantine scolaire totalement. Il restait environ 60 millions de F CFA. En 2020 c’est un montant d’environ 97 millions qui n’a pas été exécuté. En 2021, les conseillers ont demandé des explications sur la gestion de la cantine et le maire dit qu’il n’a pas d’explications.
C’est ainsi que les conseillers ont commencé à boycotter les sessions. Ils disent qu’ils vont plus délibérer. Si tu pars au conseil ils vont modifier le rapport (procès-verbal). C’est le motif du refus des conseillers de participer aux sessions. Moi, en tant que 2e adjoint au maire je ne participe plus aux sessions », dépeint-il.
Salif Tikaro reconnait que ce qui est écrit sur le bilan ne reflète pas la réalité surtout au niveau de la gestion des cantines scolaires.
« Dans le compte administration c’est écrit exécution 100% et il y a un reste de 2 000 FCFA et dans le compte de gestion, le trésorier nous fait savoir que c’est un taux d’exécution de 84%. Portant rien n’est livré. C’est ce qui a provoqué le boycott de la session.
Quand la population a appris la nouvelle, la population a manifesté pour soutenir leurs conseillers. Des enfants qui n’ont pas eu la cantine depuis trois ans et pourtant chaque année l’Etat transfert de l’argent. On ne sait pas où sont les fonds », déclare-t-il.
L’outil de protestation d’un conseiller, c’est le boycott d’une session et le refus de délibérer et non la marche.
Il a noté qu’en tant que secrétaire de séance que le montant de l’ensemble de ces manquements s’élève à 177 millions de FCFA.
Dans le cadre du procès, il relève que l’ex maire a impliqué des conseillers comme étant des manifestants. « L’outil de protestation d’un conseiller, c’est le boycott d’une session et le refus de délibérer et non la marche », dit-il.
Pour encore élucider sur cette affaire, nous cherchons à rencontrer les enseignants. Et nous sommes tombés sur le secrétaire général provincial du syndicat national des travailleurs de l’éducation de base (SYNATEB), Alfred Bouma Nébié.
Lui aussi déplore une gestion pas trop catholique de la cantine scolaire durant les trois dernières années dans la commune de Léo.
« Les trois dernières années, la livraison était difficile. En 2020, la mairie a pu livrer avec un grand retard des vivres incomplets (sans le haricot). L’année scolaire 2020-2021 la cantine n’a pas été livrée. Cette cantine est venue en janvier 2022 avec des quantités manquantes.
Sur une livraison totale de plus 5 000 sacs de riz, les quantités n’atteignaient pas les 50kg par sac. On a fait quelques prélèvements d’échantillons dans les écoles, on s’est retrouvé avec 44 kg en moyenne par sac. Avec un petit calcul sur la sommation on se retrouve avec un manquant de plus de 26 tonnes de riz.
Nous nous sommes plaints au niveau de la mairie. On a eu beaucoup de rencontres avec le préfet chargé des affaires courantes après le départ des maires. Lui aussi, il ignorait beaucoup de choses, c’est le DAF (directeur des affaires financières) de la mairie qui a tenté de donner des explications qui n’a convaincu personne dans notre milieu », explicite le secrétaire général provincial du syndicat national des travailleurs de l’éducation de base.
Plus de 30 000 enfants pénalisés, le taux d’abandon à la hausse…
« Cette année, la cantine a été livrée sans le haricot encore. Comme explication, il dit qu’il n’y a pas de haricot sur le marché soit que le prix est très élevé, ce qui fait que les fournisseurs n’arrivent pas à avoir du haricot pour livrer. La cantine 2021-2022 n’a pas été encore livrée » relève-t-il.
Pour comprendre comment se passe la gestion de la cantine scolaire, Alfred Bouma Nebié indique que l’Etat central transfère toujours les fonds en année N-1.
« Bien que les fonds soient transférés à temps, le maire dit que c’est une question de procédure de passation de marché. Et ce sont les fournisseurs qui trainent les pas. On s’est dit si le problème se trouve au niveau des fournisseurs pourquoi ne pas changer de fournisseurs.
Il a fait savoir que c’est la procédure du gré à gré qu’il a adoptée. Depuis le début, le maire a été catégorique il dit que si ce n’est pas le gré à gré lui il ne va jamais passer par autre procédure pour acquérir ces vivres », affirme-t-il.
Lire également 👉«Assurer à chaque enfant en âge scolaire, au moins un repas équilibré par jour» :La feuille de route et le plan de travail validés
Pour lui, cette situation de gestion de la cantine scolaire a pénalisé plus de 30 000 enfants. Il ajoute que le taux d’abandon a augmenté ces trois dernières années.
« Nous lions cela au manque de cantine. Parce que la cantine permet de maintenir beaucoup d’enfants à l’école et d’améliorer les rendements. Un enfant qui arrive à gagner un repas au moins dans la journée ça garantit un bon apprentissage.
Depuis que l’on a des difficultés de livraison, les rendements ont baissé aussi. La commune de Léo fait de moins en moins de résultats par rapport au moment où la quantité était livrée normalement » révèle Alfred Bouma Nébié.
Pour corroborer l’ensemble des déclarations, nous cherchons à rentrer en contact avec l’ex maire. Finalement c’est au téléphone que nous avons eu l’ex maire de Léo, Abdoul Manane Nebié, dans l’objectif d’avoir sa version des faits. Il précise qu’il avait déposé la plainte étant Maire.
…de toute façon la justice va trancher.
« Aujourd’hui je ne suis plus maire. D’ailleurs, je suis partie civile et peut-être témoin. Bon vous voyez ? Donc il y a un droit de réserve. Le dossier est instruit. Il y a eu des enquêtes, il y a un procès en cours. Je n’ai plus le même statut au moment de la plainte », nous lance-t-il.
Concernant la marche « illégale et la fermeture de la mairie », il fait comprendre « qu’ils (manifestants) peuvent dire ce qu’ils veulent et puis de toute façon la justice va trancher ».
« Vous pensez que si c’était un problème, je serais libre de mes mouvements comme cela depuis là ? Ils vont répondre », nous renseigne-t-il au téléphone. En attendant la reprise du procès le 4 août 2022, cette affaire est très loin de révéler toutes ses vérités…
Jules César KABORE
Burkina 24
Écouter l’article
|
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Suivre la chaine
Restez connectés pour toutes les dernières informations !
Restez connectés pour toutes les dernières informations !