Ici Au Faso | Aïchatou Ali Oumarou, amazone des mastodontes !
Fille de militaire et de ménagère, Aïchatou Ali Oumarou est l’aînée d’une fratrie de quatre enfants. Bien qu’elle ait arrêté ses études en classe de CM2, cela ne l’empêche pas de vivre pleinement son rêve et sa passion d’enfance : conduire de gros camions. Exceptionnelle, c’est ainsi que nombre de ses proches, la trouvent. Aïchatou Ali Oumarou dompte des camions citernes. Ces gros et longs mastodontes qui livrent du carburant n’ont plus de secret pour elle. Presque un jeu d’enfant, désormais… Gros plan !
Quand on dit ce que femme veut, Dieu le veut, Aïchatou Ali Oumarou en est un exemple. Silhouette moyenne, du haut de ses 1,60 m, le teint noir. Le volant n’a plus de secret pour elle. Aïchatou a de quoi avoir des admirateurs parmi ses collègues hommes. Les 49 ans bien sonnés, Nigérienne d’origine et naturalisée Burkinabè, elle vit au pays des Hommes intègres depuis plusieurs décennies.
Elle vit passionnellement son rêve d’enfance dans un métier jadis réservé aux hommes. Elle a dû batailler très dur pour relever ce challenge. Nonobstant les difficultés, elle n’a pas lâché un seul instant. Aïchatou est restée fidèle à son rêve. Son premier amour, peut-on dire.
Vivre son rêve était sa seule obsession. Imperturbable et magistrale au volant, Aïchatou Ali Oumarou force l’admiration et le respect de sa hiérarchie et de ses collègues de la société de transport SOTRACOF. Une société évoluant dans le transport des hydrocarbures. Dans sa citerne, cette conductrice chevronnée ne transporte que du super 91, c’est-à-dire de l’essence. Se confiant à nous, elle affirme que conduire ces gros camions a été toujours un rêve et une passion pour elle depuis sa tendre enfance.
Cette flamme pour les gros camions va s’intensifier davantage, lorsque sa tante, une restauratrice à la frontière entre le Niger et le Burkina, va la prendre avec elle pour l’assister dans son restaurant. « Beaucoup de chauffeurs de remorques avaient pour habitude de venir manger dans notre restaurant », rapporte-elle.
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Chaque fois qu’elle les voyait arriver et descendre de leurs camions, son envie de devenir comme eux, de pratiquer leur métier, s’amplifiait, laisse-t-elle admirer. De tour de table à chaque visite de ses transporteurs, elle avoue ne jamais se lasser de poser des questions. Ces transporteurs, souvent fatigués et qui ne cherchaient qu’à reprendre des forces, se lassaient de ses interminables questionnements, reconnait-elle.
« Les chauffeurs venaient manger chaque fois au restaurant de ma tante. Quand je les voyais, ma passion ne faisait que renaître. C’est ainsi qu’un jour, je me suis dit : pourquoi, ne pas essayer moi aussi ? Alors que je ne savais pas comment m’y prendre », avance-t-elle.
Elle atteste qu’elle n’avait jamais eu l’envie d’exercer un autre métier que celui de conducteur. « Ce n’est pas par la force des choses que je suis devenue conductrice. J’ai admiré ce métier depuis toute petite. Mais les moyens pour s’inscrire à l’auto-école faisaient défaut », confie-t-elle.
Je me suis battue toute seule…
Décidée à vivre son rêve, quel qu’en soit le prix, Aïchatou va commencer à épargner. Dans tout ce qu’elle gagnait, raconte-t-elle, elle prélevait quelque chose pour l’établissement de son permis de conduire. Des soutiens, elle n’en a pas reçus, déclare-t-elle.
Et même de sa tante avec qui elle aura passé une partie de sa vie de jeune fille. C’est donc par ses propres moyens qu’elle s’est inscrite à l’auto-école. « Personne ne m’a aidée, je me suis battue toute seule avec l’aide de Dieu jusqu’à réunir les 400 000 F CFA pour faire mon premier permis. C’était en 2014 », affirme-t-elle avec fierté.
Le permis en main, elle décide de rejoindre la capitale burkinabè afin de s’inscrire pour l’obtention du permis des véhicules poids lourds et semi-remorques. Après ce deuxième permis, Aïchatou a réussi à être aux côtés d’un chauffeur ivoirien qui exerçait au Burkina et ce, durant plus d’une année. Une façon pour elle d’acquérir de l’expérience et de se perfectionner.
« Quand j’ai fini mon deuxième permis, j’ai eu la grâce d’être auprès d’un chauffeur ivoirien expérimenté. J’ai beaucoup appris avec lui, sur le métier pendant au moins un an. Je lui dois tout. C’est avec lui que j’ai fait la pratique après l’auto-école », précise-t-elle. A l’issue de cette période d’apprentissage sur le terrain, Aïchatou Ali Oumarou sera recrutée comme conductrice à la SOTRACOF où elle pourra vivre pleinement son rêve.
Pour cette brave dame, les meilleurs moments de sa vie, elle les passe quand elle est au volant en train de conduire. « Il n’y a pas plus grande joie pour moi que quand je suis au volant. Je vous assure que ce sont les meilleurs moments de ma vie. Je suis toujours contente malgré la pression du travail. Mais je pense que c’est cette joie qui me permet de toujours avancer », avoue-t-elle.
Ici au Burkina, en dehors de moi, je ne connais qu’une femme…
Aïchatou insiste qu’il n’y a pas plus grand bonheur pour elle que d’être en train de vivre la concrétisation de son rêve aujourd’hui. Car, rapporte-elle, elle était à deux doigts de ne pas vivre son rêve, surtout à cause du regard de la société. Elle avoue qu’il lui est arrivé plusieurs fois de se demander si elle y arriverait.
« C’est un métier où il n’y a pas beaucoup de femmes. Ici au Burkina, en dehors de moi, je ne connais qu’une femme. Et quand les gens voient une femme dans ce métier, comme c’est rare dans nos sociétés, certains vous prennent pour une bandite. Je l’ai plusieurs fois entendu mais comme c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire depuis mon enfance, je n’ai jamais abandonné », argue-t-elle.
Malgré ce que les gens disent d’elle à propos de son travail, elle affirme que certaines personnes l’ont toujours soutenue depuis le début, et elle bénéficie aussi du soutien de plusieurs hommes et femmes partout où elle se rend.
« Jusqu’aujourd’hui, ces personnes me soutiennent. Je crois que c’est grâce à leur soutien que je conduis les gros camions aujourd’hui. Car au moment de mon apprentissage, je me demandais si je pourrais conduire un camion avec tout ce que les gens disaient », ajoute-elle. Pour Aïchatou, ce soutien est une vraie source de motivation. Et cela la pousse à donner le meilleur d’elle-même sur le terrain.
Si je dis que j’ai été victime de harcèlement, j’aurai menti
Concernant la collaboration entre Aïchatou et ses collègues hommes, elle soutient que tout se passe bien. Il n’y a pas de problèmes particuliers. Des fois, explique-t-elle, ses collègues lui portent secours quand elle est en difficulté. Ils sont d’un grand soutien pour elle, confie-t-elle. Sur la problématique liée au harcèlement, plus fréquent dans le milieu professionnel aujourd’hui, notre interlocutrice dit n’en avoir jamais été victime.
« En tout cas, jusque-là, si je dis que j’ai été victime de harcèlement, j’aurai menti. Le matin, je pars au travail pour un chargement ou une livraison. Et le soir, je suis chez moi. Souvent, quand le chargement dure, il arrive que je reste au dépôt jusqu’à des heures tardives mais jusque-là, je n’ai jamais eu ce problème (harcèlement, ndlr) », soutient-elle.
Aïchatou est une fine connaisseuse des routes burkinabè et ouest-africaines qu’elle emprunte au cours de ses multiples voyages. Toutefois, son plus long voyage reste Niamey-Lomé et Ouaga-Abidjan. Du reste, elle exhorte les femmes, particulièrement les jeunes filles, à s’enrôler dans le métier de conductrice.
« Moi-même je suis à la recherche d’une fille qui veut faire ce métier pour qu’on travaille ensemble. Il ne faut pas qu’elles (femmes, ndlr) aient peur. Ce n’est pas un métier réservé aux hommes. Les femmes peuvent le faire et je suis un exemple », lance-t-elle toute fière.
De sa hiérarchie à ses collègues en passant par sa fille, la combativité, l’efficacité, la ténacité, la bravoure et le courage d’Aïchatou Ali Oumarou forcent l’admiration. Kader Zango est le mentor et contrôleur des chauffeurs de la SOTRACOF où travaille cette brave femme. Pour lui, il n’y a pas de différence entre Aïchatou et les autres conducteurs (hommes, ndlr).
Certains hommes ne peuvent pas faire ce qu’elle fait…
« C’est quelqu’un qui s’y connaît et elle maîtrise son métier. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle est avec nous, il y a des années », assure Kader Zango. Cependant, il regrette le fait que jusqu’aujourd’hui au cœur du 21e siècle, l’on soit toujours en train d’estimer que le métier de conducteur reste un travail prédestiné aux hommes qu’aux femmes. Alors que, soutient-il, les femmes peuvent le faire et le font déjà mieux d’ailleurs.
« Une femme parmi tant d’hommes, imaginez ce que l’opinion en pense. Malgré cela, Aïcha n’est pas gênée. C’est son travail qui l’intéresse. Elle est très courageuse et fait bien son travail. Chaque destination est un nouveau défi qu’elle arrive à relever », rassure-t-il.
Selon Kader Zango, Aïchatou est un modèle à suivre pour ces femmes qui se complaisent dans leur zone de confort. Il confie que malgré la situation sécuritaire difficile du pays, partout où le travail l’appelle, elle répond présente. « Vous ne l’entendrez jamais se plaindre. Certains hommes ne peuvent pas faire ce qu’elle fait », appuie-t-il.
Il veut faire reconnaître et dire haut qu’Aïchatou est une guerrière qui se bat comme un homme. « Avec ses collègues hommes, elle n’a pas de problème. Elle est sans façon. C’est son travail qui la préoccupe. Et au milieu de ses collègues, il n’y a pas de différence et l’équipe l’a bien adoptée aussi. Elle est très rigoureuse », argumente-il.
Au début, on pensait qu’elle n’allait pas tenir…
Abdoul Djamal Ouédraogo est un collègue d’Aïchatou. Pour lui, cette dernière est une femme exceptionnelle et « très flexible ». Elle n’est pas dans ces petites histoires que certaines femmes font quand elles sont dans un endroit, témoigne-t-il. Et au-dessus, note-il, c’est une femme qui a une grande expérience dans la conduite des camions citernes. C’est une vraie pro, lui jette-il des fleurs.
« C’est une dame que je respecte beaucoup. Au début, on pensait qu’elle n’allait pas tenir. Je profite de votre micro pour inviter d’autres femmes à venir s’essayer. Aïcha nous a montré qu’une femme peut faire le même travail qu’un homme », commente-il.
Abdoul Djamal Ouédraogo ajoute qu’Aïchatou est un grand symbole de l’émancipation de la femme. « Entre l’homme et la femme, il n’y a qu’une petite différence (physique, NDLR). Les femmes sont capables de faire les mêmes travaux que les hommes. Aïcha l’a prouvé », admet-il.
Quant à Issoufou Sawadogo, un autre collègue d’Aïchatou Ali Oumarou, c’est une grande sœur qui force le respect et l’admiration de par sa combativité dans tout ce qu’elle fait. « On collabore très bien. Elle est vraiment courageuse.
C’est une femme qui se bat beaucoup. La conduite (des camions citernes, ndlr) ce n’est pas facile mais en voyant une femme le faire, on sait qu’elle fournit beaucoup d’efforts », témoigne-t-il.
« Ma mère mérite des encouragements » (Sa fille)
Vivant à Niamey, au Niger, la fille d’Aïchatou Ali Oumarou, Salamatou Sadou Hamadou affirme qu’elle admire beaucoup sa mère pour sa ténacité. Jointe au téléphone, elle estime que sa mère fait un travail que même certains hommes ne peuvent pas faire. C’est une vraie battante. « Ma mère mérite des encouragements », lance-t-elle.
Même si Salamatou Sadou Hamadou est fière du métier de sa mère, elle n’est pas prête à suivre ses pas. « Le travail de maman me plaît beaucoup mais en toute sincérité, je ne la suivrais pas dans ce métier. Il faut de la combativité et fournir beaucoup d’efforts pour faire ce travail. Car c’est vraiment un travail d’homme qu’elle fait », se justifie-t-elle.
En attendant qu’elle change d’avis, sa maman, elle, a des projets. Aïchatou Ali Oumarou dit souhaiter avoir sa propre compagnie de transport. À défaut de cela, elle envisage d’ouvrir une auto-école et un centre de formation qui mettront plus l’accent sur les filles afin de les inciter à embrasser le métier de conducteur, que dire, de conductrice…
Aïchatou a été décorée, à la suite de cet article
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Willy SAGBE
Burkina24
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