Burkina Faso : « Il n’y a pas de pénurie de gaz. Il y a un détournement de sa destination »
Depuis plus d’une semaine, Aminata Sawadogo, ménagère, a parcouru plusieurs points de vente de gaz dans la ville de Ouagadougou sans pouvoir en trouver. Une situation que vivent plusieurs autres consommateurs du gaz que nous avons rencontrés dans des points de revente du gaz. Pourtant au centre de dépôt de gaz, sis à Bingo, les choses tournent bien et cela durant 24h/24 et 7 jours/7. Qu’est-ce qui entraîne donc cette « pénurie » du gaz au point où trouver du gaz devient un véritable parcours du combattant ? Selon les premiers responsables de la nationale des hydrocarbures, la situation est due à plusieurs facteurs. Pour mieux comprendre cette situation et constater de visu le travail fait sur le terrain, nous avons fait une immersion sur le site de dépôt de gaz butane de la Société nationale des hydrocarbures (SONABHY) à Bingo, situé à une trentaine de km à la sortie ouest de la ville de Ouagadougou et à Péni dans la région des Hauts-Bassins à une trentaine de kilomètres à la sortie sud de la ville de Bobo-Dioulasso.
Il est peu après 12h le mardi 31 janvier 2023 lorsque nous franchissons la porte d’entrée du site de dépôt des hydrocarbures de Bingo. Des centaines de camions sont stationnés sur le côté est. Ils sont en attente d’être servis en gaz butane pour certains et du carburant pour d’autres. Et il faut au maximum 24 heures d’attente pour cela.
Abasse Soudré vient d’approvisionner ses 560 bouteilles de gaz après 24 heures d’attente. Une situation qu’il salue car l’approvisionnement dans un passé récent pouvait se faire en 48 heures. Plus loin, sur les deux halls de chargement du gaz, une vingtaine de travailleurs sont au four et au moulin pour remplir les bouteilles de gaz. Pendant que certains sont au niveau du remplissage, d’autres s’occupent du contrôle de la qualité et des quantités des bouteilles de gaz ainsi que le chargement des véhicules.
Et des équipes se relaient toute la journée, à en croire Steeven Ouédraogo, chef de service gaz par intérim. « Nous avons deux halls de chargement avec trois lignes de remplissage pour les 6 kg, une ligne de chargement des bouteilles de 12 kg et une ligne mixte qui fonctionnent normalement », a-t-il confié. Et par jour c’est entre 410 à 420 tonnes de gaz qui sont mises sur le marché.
Le gaz, objet de spéculation de tous genres
Un grand effort selon Nadia Bouyain/Tapsoaba, directrice du dépôt de Bingo qui explique toutefois le manque du gaz par plusieurs facteurs. Entre autres raisons, le détournement de la destination principale du gaz.
« Il faut dire que la consommation aujourd’hui n’est pas forcément liée aux ménages. Et c’est cela le problème, car le gaz a été mis en place essentiellement pour soulager les ménages et c’est dans cette optique que l’Etat apporte la subvention. Malheureusement, le gaz est détourné aujourd’hui à d’autres fins telles que la maraîcher-culture, la restauration et par les industriels. Et très récemment, quand l’Etat a supprimé la subvention pour les bouteilles hors gabarit notamment pour les bouteilles de 17 kg jusqu’à 55 kg qui sont des bouteilles destinées aux industriels et les restaurateurs, tous les utilisateurs de ces bouteilles se sont rabattus sur les petites bouteilles à savoir le 2,5 au 12 kg qui sont subventionnées actuellement. Les gens ont préféré libérer les bouteilles hors gabarit au profit des petites bouteilles. Par exemple, un restaurateur va avoir besoin de 3 bouteilles de 12 kg pour une consommation d’une semaine alors que pour un ménage une bouteille de 12 kg peut durer un mois. De ce fait, les distributeurs préfèrent vendre rapidement à ces personnes que de stocker pour revendre aux ménages », explique-t-elle.
Pour étayer ses propos, elle constate une chute de 16% de l’utilisation des bouteilles de gaz hors gabarit depuis la suppression de la subvention. Outre cela, il y a la non maîtrise du marché du fait de l’instabilité de la demande selon la directrice du dépôt qui perturbe la fourniture du gaz.
« Quand on dit qu’on n’arrive pas à satisfaire la demande, c’est parce qu’on n’arrive pas à maîtriser le marché puisque la consommation varie. Et les investissements se font en fonction des besoins du consommateur. Il y a des marketeurs qui lancent des commandes et qui en cours d’année changent les quantités de leurs commandes. En plus, il y a des facteurs exogènes qui font qu’on ne maîtrise pas le marché. Par exemple, pour ce qui est de la maraîcher-culture, si l’on agrée cette pratique, on pourra avoir une idée exacte de cette demande pour pouvoir satisfaire les commandes.
Aussi, il faut souligner le déséquilibre du marché de distribution. Nous avons 10 marketeurs et parmi eux, un seul distributeur détient plus de 60% du marché. Donc c’est sûr que si ce distributeur a un problème, le gaz va en manquer. Par ailleurs, il faut souligner que nous avons les prix les plus bas dans la sous-région et avec la porosité de nos frontières, des bouteilles sortent hors du pays.
La preuve est que certains investissent et n’ont plus de bouteilles dans leur parc. Le gaz sort de nos frontières et il appartient à tous autant que nous sommes de lutter contre ce fléau », ajoute Nadia Bouyain/Tapsoaba.
La consommation du gaz a une augmentation de plus 40 000 tonnes à Ouagadougou en espace de 4 ans
Des situations qui ont entraîné une augmentation considérable de la demande en gaz ces dernières années. Par exemple, pour la seule ville de Ouagadougou, la consommation annuelle est passée de 79 668 tonnes en 2019, à 92 220 tonnes en 2020, à 110 622 tonnes en 2021 et à 120 140 tonnes en 2022. Un petit calcul montre une croissance de plus de 41 000 tonnes de 2019 à 2022. Et pour pallier la situation, la SONABHY déploie des initiatives pour satisfaire la demande.
« Depuis maintenant deux ans, nos équipes travaillent 24h/24 et même les weekends. Il arrive parfois que nous ayons de petites difficultés liées à des situations de maintenance mais cela ne peut pas poser de problème au point où sur le marché on manque le gaz. Logiquement si nous accusons une journée de retard, ça devrait être le cas pour les distributeurs mais on ne peut pas arriver à constater un manque d’une semaine du gaz sur le marché.
Nous réorganisons nos équipes pour travailler 24h/24 puisque les installations ont été faites pour un fonctionnement de 8h à 10h. C’est une manière d’augmenter la production en attendant l’effectivité des investissements », a fait savoir la directrice du dépôt. Au titre des investissements en cours de réalisation pour permettre de répondre efficacement à la demande croissante en gaz, on note la construction d’un 3e hall de remplissage , la construction d’une troisième sphère de stockage d’une capacité de 120.000 tonnes.
Par ailleurs, en vue de décongestionner le site de Bingo, la SONABHY a également entrepris la construction d’un site de dépôt à Gampèla , à la sortie est de la ville de Ouagadougou. Un centre qui devrait être opérationnel en 2024 selon Nadia Bouyain/Tapsoaba. La nationale des hydrocarbures compte également mettre en place des conteneurs de stockage dans certaines provinces du pays.
Mais toutes ces initiatives, selon la directrice du dépôt, ne pourraient contribuer à résoudre sérieusement le problème du gaz sans la veille citoyenne et la répression des actes de spéculation du gaz. « Il faut assainir le marché et développer aussi le secteur parce qu’on a beau construit des centres tant qu’on ne maîtrise pas la destination du gaz, le problème va toujours demeurer. Pour ce qui est du contrôle, il faut dire que cela n’est pas de notre rôle. Nous nous contentons de remplir les bouteilles que nous remettons aux marketeurs. Maintenant, où doivent-ils stocker pour revendre, et des méthodes de dispatching, nous n’avons aucun regard là-dessus. La SONABHY n’a aucun moyen de contrôle et de pression. Du reste, de concert avec la Ligue des consommateurs du Burkina, la SONABHY fait des suggestions allant dans le sens du renforcement des contrôles et des actions sont en cours à cet effet.
Nous devrions observer une nette fluidité les jours à venir. C’est ce travail qui permettra de résoudre le problème du gaz parce qu’aujourd’hui il y a le gaz en ville, malheureusement là où le gaz devrait y être, on n’en trouve pas. Des points agréés n’ont pas le gaz pendant que des points non agréés en disposent », déplore-t-elle. Nadia Bouyain/Tapsoaba par ailleurs saisit l’occasion pour évoquer le problème des quantités de gaz qui sont jugées parfois en deçà par les consommateurs.
Elle rassure que des mécanismes sont en place à leur niveau pour s’assurer des quantités servies. « Nous faisons une homologation de toutes nos installations et pour dire qu’une bouteille est remplie, il y a une quantité qui répond à une norme validée par l’ABNORM. Et nous faisons toujours le contrôle pour savoir si la quantité est conforme avant la livraison.
Du reste, le chargement se fait en présence des chauffeurs qui sont des représentants des marketeurs et si ce n’est pas conforme, il a la possibilité de signaler que ce n’est pas conforme pour qu’on corrige. Et nous avons jusqu’à 3 niveaux de contrôle à savoir au niveau du remplissage, ensuite il y a des techniciens qui contrôlent et enfin après le chargement des camions, il y a des contrôles qui se font. Il peut y avoir des imperfections, mais avec tous ces contrôles, nous arrivons à maîtriser tous les aspects », a-t-elle rassuré.
L’étape de Péni
Après le site de Bingo, nous avons mis le cap le samedi 4 février 2023 sur le site de Péni sis à Bobo-Dioulasso. C’est un site de dépôt en pleine construction d’extension de ses infrastructures pour pouvoir répondre à la demande du gaz qui est en hausse dans la localité.
Bâti sur une superficie de 30 hectares, le site de dépôt du gaz est sis dans la commune rurale de Péni, à une trentaine de km à la sortie Sud de Bobo-Dioulasso. Le site qui va abriter désormais le lieu de dépotage du carburant, jusque-là au centre-ville de Bobo-Dioulasso est en pleins travaux d’extension de ses infrastructures. C’est un site qui dessert tout le grand Ouest notamment les régions du Sud-ouest, des Cascades, de la Boucle du Mouhoun et celui des Hauts-Bassins en gaz butane et autres hydrocarbures.
A ce jour, le site dispose pour ce qui est de la fourniture du gaz d’un centre emplisseur composé de deux lignes dont une ligne pour les bouteilles de 6 kg et une autre pour les bouteilles de 12 kg. Le site dispose également d’une sphère de stockage de 2 000 tonnes et de deux cigares d’une capacité de 50 tonnes chacune.
Sa capacité de production journalière normale est de 140 tonnes par jour. Mais avec la forte demande en gaz ces dernières années, le centre est obligé d’aller au-delà de cette production normale pour se situer entre 200 à 210 tonnes. « Nous étions obligés de mettre en place deux équipes qui se relaient après chaque 8 heures. Aussi chaque semaine, nous organisons deux veillées de travail », explique le directeur du dépôt René Zakané.
Toujours pour permettre de faire face à la demande croissante en gaz, les responsables de la SONABHY travaillent d’arrache-pied pour accroître les capacités techniques et humaines du dépôt pour répondre à la demande des clients.
« Nous n’avons pas encore la ressource humaine nécessaire pour pouvoir fonctionner 24h/24. Mais, nous avons déjà lancé un recrutement de 10 agents sur le territoire national et 10 autres agents au profit de la commune de Péni et cela dans le cadre de la responsabilité sociale de la structure », confie le directeur du dépôt.
Outre cela, des travaux sont également en cours pour l’ouverture d’un nouveau centre emplisseur qui d’ici à avril 2023 sera fin prêt avec des capacités plus vastes. « C’est un centre mixte, qui aura 24 bascules, c’est-à-dire le double de ce que nous disposons actuellement, qui sont de 12 bascules », confie René Zakané.
« Il n’y a pas une pénurie du gaz, il y a un détournement de sa destination »
Si à Bobo-Dioulasso, il n’y a pas de pénurie constatée chez les consommateurs, la forte demande en gaz est inhabituelle et laisse penser à de la spéculation. Selon René Zakané, le gaz butane connait généralement un taux d’accroissement qui varie entre 10 et 15%, mais actuellement la demande est très forte par rapport à l’offre. Ce déséquilibre, entre l’offre de la SONABHY et la forte demande non habituelle des clients, ainsi que la forte augmentation de cette demande, est dû à plusieurs facteurs, selon lui.
« Il s’agit des nouvelles utilisations en dehors des ménages de savoir les véhicules, les cultures maraîchères, les industries, le chauffage, etc. Il faut aussi noter que les écarts de prix avec les pays voisins entraînent un transfert du gaz vers ces pays. A cela s’ajoute la spéculation et la vente illégale du gaz qui perturbent la mise à disposition du gaz au consommateur. Il y a aussi la tendance générale à remplacer le bois ou le charbon de bois de plus en plus rare et cher par le gaz butane moins cher à cause de la subvention », explique-t-il.
C’est pourquoi, il se convainc qu’il n’y a pas de pénurie de gaz mais plutôt un détournement de l’objectif de la subvention concédée par l’Etat pour soutenir les consommateurs domestiques alors qu’il y a des utilisations autres que domestiques. Et pour mettre fin à cette spéculation le directeur du dépôt, René Zakané, a confié que la SONABHY dans une synergie d’actions avec l’Etat et de concert avec les marketeurs fera le listing des points de vente agréés qui seront mis à la disposition des populations afin que tous les points agréés soient connus de tous.
Source : La Lettre Du Faso
Encadré : La fourniture en gaz butane du dépôt de Péni en chiffre au cours des 5 dernières années
En espace de 5 ans, la demande en gaz a connu un accroissement de plus 11 millions de tonnes avec une demande croissante de la consommation du gaz subventionné notamment pour les bouteilles de 6 et 12 kg.
2018 : La consommation annuelle était de 21 111 151 tonnes dont 49 % pour les bouteilles de 6kg et 47,81% pour les bouteilles de 12 kg.
2019 : La consommation annuelle était de 23 888 396 tonnes dont 51,22% pour les bouteilles de 6 kg et 46,27% pour les bouteilles de 12 kg
2020 : La consommation annuelle était de 26 937 255 tonnes dont 53,57% pour les bouteilles de 6 kg et 43,90% pour les bouteilles de 12 kg
2021 : La consommation annuelle était de 30 138 927 tonnes dont 54,29% pour les bouteilles de 6 kg et 43,71% pour les bouteilles de 12 kg
2022 : La consommation annuelle était de 34 218 475 tonnes dont 55,39% kg et 43,07% pour les bouteilles de 12 kg
Données : SONABHY
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