Tribune | Education au Burkina : «  Nous devons abandonner ce qu’on appelle éducation bancaire » (Inoussa Malgoubri)

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Ceci est un écrit de Inoussa Malgoubri, professeur d’Anglais et doctorant en éducation à l’Université du Nebraska -Lincoln, aux Etats-Unis d’Amérique. Dans cette tribune, il revient sur la nécessité de réformer le système éducatif burkinabè, non sans donner des esquisses de solutions. Lisez plutôt !

Dans notre monde en constante évolution avec un pays qui semble manquer du rythme, la question de l’importance des matières littéraires et la mise en pratique des connaissances théoriques des matières littéraires et scientifiques est récurrente dans un pays en développent, riche de ses fils et filles mais moins nanti en termes socioéconomiques et technologiques.

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Récemment, après avoir exprimé mon point de vue sur l’importance des matières littéraires, certains lecteurs ont soulevé des questions cruciales sur la pertinence de la littérature dans des contextes pratiques, tels que le Burkina et l’Afrique. Ils ont également soulevé des préoccupations sur la manière dont ces matières sont enseignées et utilisées dans la vie professionnelle. Dans cet article, nous tenterons de répondre à ces questions et d’explorer les moyens d’améliorer l’enseignement et l’utilisation des matières littéraires et scientifiques pour l’amélioration de notre bien-être.

Comme je l’ai mentionné dans ma première publication, l’éducation est un tout. J’ai répondu à un lecteur en disant que « le briquetier, l’architecte, le charpentier, le maçon, le carreleur et le peintre sont importants pour avoir une belle et solide maison ». J’ai également partagé à l’idée que les sciences et les technologies sont le fruit du questionnement et de la curiosité. Sans cette curiosité, on enseignera les sciences exactes pour les sciences, les sciences sociales et la littérature pour la littérature. Certains de mes enseignants burkinabè et non-burkinabè vont au-delà de cela, tout comme certains de mes collègues et connaissances.

Nous ne devons pas perdre de vue l’objectif principal, car au niveau national, les réformes éducatives et pédagogiques ont du mal à sortir des revues universitaires et des décrets pour être une réalité dans nos classes, nos fiches pédagogiques et nos pratiques de classe et assumer pleinement notre rôle en tant qu’« intellectuels transformateurs » comme le dira Henry Giroux. Nous devons continuer à démocratiser le savoir plutôt que de le garder pour nous-mêmes.

Nous devons nous assurer que les élèves-maitres/professeurs sont outillés non pas seulement pour appliquer les méthodes didactiques de chaque discipline, mais aussi outillés à questionner ces pratiques, la philosophie derrière chaque pratique et des résultats de recherches ayant abouti à une pratique plutôt qu’une autre. Cette fois bien outillés, surtout pour le secondaire et aussi au supérieur, on pourra amener les étudiants à développer leur curiosité et leur questionnement sur ce qui semble établi afin de comprendre le chemin parcouru pour arriver à ce qu’on leur enseigne comme vérité ou connaissances établies, choses qui leur permettent de faire des critiques de démarches scientifiques, philosophiques ou littéraires de façon méthodique. Cela peut se faire par l’introduction de programmes pédagogiques innovants qui encouragent l’exploration et la curiosité.

Cette exploration et cette curiosité leur permettront d’essayer certaines choses, c’est l’origine des progrès scientifiques et technologiques et les apparitions de nouveaux genres littéraires ou courants de pensée en conformité avec l’article 14 de la loi d’orientation de l’éducation de 2007 qui stipule que : « Le système éducatif burkinabé vise à donner à l’individu les compétences nécessaires pour faire face aux problèmes de société.  Il dispense une formation adaptée aux exigences de l’évolution économique, technologique et sociale en tenant compte des aspirations et des systèmes de valeurs du Burkina Faso, de l’Afrique et du monde. Le but est également de doter le pays de cadres et de particuliers compétents dans tous les domaines et à tous les niveaux ».

En aiguillant les élèves, étudiants à se poser des questions, à chercher des réponses et à s’approprier la connaissance en lieu et place de la seule mémorisation des connaissances établies qui ne sont nullement statiques, car la société reste dynamique et les solutions ou démarches d’hier peuvent être des problèmes d’aujourd’hui et ce qui semble n’avoir pas marché auparavant peut l’être à présent.

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Pour ce faire, il est par ailleurs important de continuer à promouvoir des méthodes d’enseignement telles que le travail en groupe et le débat, surtout avec nos effectifs assez élevés qui permettent aux étudiants de s’exprimer librement et de découvrir des solutions novatrices aux maux de la société, si petites soit-elle. Afin de favoriser cette méthode exploratrice et en conjonction avec l’approche par les compétences adoptées au secondaire, la promotion et le développement des sciences et des technologies en dotant les établissements scolaires des outils nécessaires à l’exploration et à l’expérimentation.

Dans un pays comme le nôtre où les moyens sont limités, on pourra, sur la base de la géolocalisation des établissements, mettre des laboratoires communs pour un certain nombre d’établissements avec un programme de passage par classe, par disciplines et par établissement. Enfin, des programmes doivent être mis en place pour encourager les jeunes à s’intéresser aux sciences et à la technologie et à leur donner les moyens de s’engager dans des projets innovants.

En théorie, nous disons que nous appliquons la pédagogie centrée sur l’apprenant. Cependant il n’est pas rare de nous voir dicter des cours ou monopoliser la parole en classe pendant que les élèves, eux se chargent de recopier. Concrètement, nous devons continuer à abandonner ce que j’appelle l’éducation bancaire, empruntant les termes de Paulo Freire. Ce modèle qui consiste à prendre l’apprenant comme un vase vide à remplir. Même si le débat officiel tente de dire le contraire, nos pratiques restent dans cette logique où l’on a toujours cette tendance à remplir les cahiers de leçons que l’apprenant devra lire pour montrer son degré de mémorisation ou d’assimilation.

Photo d’illustration (Burkina24)

Comment pouvons-nous savoir que l’élève pourra appliquer cette connaissance qu’il a apprise à un devoir de 2 ou 4 heures ? Comment puis-je comprendre le concept du théorème de Pythagore ou de Thalès si le cours ne le lie pas à ma vie réelle ?

Mon oncle me disait récemment que de nombreux enfants burkinabè utilisent la notion de triangle rectangle et d’hypoténuse parce que pour chasser les oiseaux avec des lance-pierres, ils mettaient le caillou juste devant la trajectoire de l’oiseau. Comment se fait-il qu’un enfant qui va au marché de Roodwooko avec ses parents puisse avoir des difficultés en calcul et pourtant il ne se trompe pas lors de la vente des articles de ses parents ?

En informatique, un collègue m’a expliqué que nous faisons tous de la programmation au quotidien (par exemple, si demain il pleut, nous ferons ceci ou cela ; s’il ne pleut pas, nous irons au champ ; s’il pleut le matin, nous sèmerons du maïs, et s’il pleut le soir, nous nous assurerons que la charrue et les bœufs soient prêts).

La solution est d’adopter une nouvelle approche pédagogique et d’adopter une nouvelle approche de l’apprentissage centrée sur l’apprenant dans une approche éclectique teintée de questionnement, de socio-constructivisme, de constructionnisme. Cette approche, basée sur l’idée que l’apprenant est le centre de l’apprentissage et que l’enseignant joue un rôle d’accompagnateur, les enseignants peuvent aider les apprenants à développer des compétences pratiques, à acquérir des connaissances et à créer une compréhension globale du sujet. En d’autres termes, l’enseignant doit faire en sorte que l’apprenant puisse connecter les connaissances et les compétences acquises à la vie réelle.

Par exemple, pour étudier le théorème de Pythagore, les enseignants peuvent demander aux élèves de trouver des exemples de triangles rectangles dans leur environnement, afin qu’ils puissent mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Les enseignants peuvent également proposer des activités en groupe où les élèves doivent identifier les différents triangles rectangles qui existent dans leur environnement et résoudre des problèmes à l’aide de ce qu’ils ont appris. Cette approche leur donne l’opportunité de comprendre et de mettre en pratique leurs connaissances.

 La recherche montre que la qualité de l’enseignement est essentielle pour la réussite des élèves (Muijs et al., 2014, Pellegrino et al., 2016, Teig et al., 2018). Elle semble être plus importante dans un pays en développement comme le nôtre où de nombreux élèves n’ont pas d’autres opportunités d’apprentissage en dehors de l’école. Dans un article récent, le Dr Sanfo et moi-même avons déclaré que « Le discours sur l’amélioration des résultats d’apprentissage met l’accent sur la maximisation de la qualité de l’enseignement dans l’espoir qu’elle booste les résultats d’apprentissage globaux » (Sanfo & Malgoubri, 2023) et nous avons également constaté « qu’il existe une corrélation entre la qualité de l’enseignement et les résultats d’apprentissage ainsi que le statut socio-économique des élèves et les résultats d’apprentissage ».

NB : Ceci est une contribution citoyenne dans le but de sortir les connaissances éducatives hors des décrets et articles scientifiques pour le grand public. Elle n’est pas une prescription toute faite mais un appel à un effort collectif, moi-même y compris, afin de tirer notre pays vers le haut car le capital humain reste la source intarissable, pour un développement autocentré, endogène, soutenable et dynamique.

Inoussa Malgoubri

Professeur d’anglais et Doctorant en éducation à l’Université du Nebraska -Lincoln, USA 

Email: [email protected]

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