Regards croisés sur l’Alliance des États du Sahel (AES) depuis Lomé
Au lendemain du 65e sommet des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui s’est tenu à Abuja au Nigéria, le 7 juillet 2024, la rumeur selon laquelle un visa serait désormais imposé aux ressortissants des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) a fait rage sur les réseaux sociaux. Pourtant le communiqué final du sommet de la CEDEAO ne mentionne pas cette éventuelle décision. Autour de cette question et bien d’autres, une équipe de Burkina 24 est allée à la rencontre de quelques ressortissants des pays de l’AES et de la CEDEAO, à Lomé au Togo. En tout cas, les langues se délient. Reportage !
Lomé 10 juillet 2024. Le ciel est nuageux. Il menace de pleuvoir. Un vent souffle sur l’océan Atlantique et les eaux s’agitent. Ce qui adoucit le climat. L’Océan est en mouvement. Mais on peut apercevoir quelques bateaux qui flottent sur les eaux salées de l’Atlantique.
En ville, la circulation est infernale comme dans la plupart des capitales de la sous-région. Des klaxons de motos, de tricycles et de voitures ne font que retentir. Des piétons, eux aussi, se pressent pour que la pluie ne les trouve pas sans abri.
‘Chacun cherche à préserver son nez’, comme on aime à le dire au pays des Hommes intègres (Burkina Faso). Nous sommes sur la route qui longe l’océan et qui mène au grand marché de Lomé « Assigamé » où nous attend un aîné qui compte nous aider à faire quelques courses.
On se fait déposer devant l’une des entrées du célèbre marché faisant face à l’océan par un taxi moto. Ici, on se frotte. Commerçants et clients, tous confondus, se précipitent pour ne pas que la pluie les surprenne. Mais ce n’est qu’une fausse alerte du ciel, car il n’a pas plu à Lomé ce jour. Après quelques petites minutes de marche, nous retrouvons enfin notre accompagnateur qui nous attend.
C’est un homme sympathique. Il connaît tous les coins et recoins de ce marché. Partout où l’on passe, il a des amis. Il nous amène dans une boutique où les occupants sont tous des ressortissants de l’AES. Ici dans les causeries, on ne parle que des Présidents Ibrahim Traoré, Assimi Goïta et Abdourahamane Tiani.
Ils ne se présentent plus comme Maliens, Nigériens ou Burkinabè mais se font plutôt fièrement appeler ressortissants de l’AES ou « Aesiens ». Ils soutiennent que le Mali, le Burkina et le Niger forment désormais un seul pays.
« Moi, je suis « Aesien ». Je suis de l’AES. Mali, Burkina, Niger étant le même pays. Entre le Mali, le Burkina et le Niger aujourd’hui, il n’y a pas de différence », nous répond un jeune Malien qui a requis l’anonymat.
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Pour ce dernier, si la CEDEAO applique une quelconque décision imposant des visas aux ressortissants de l’AES, ce sont les pays membres de cette organisation qui en sortiront perdants. « C’est la CEDEAO qui sera la plus grande perdante. Parce que les pays de l’AES n’ont plus rien à perdre. Ce n’est pas seulement les pays de l’AES qui ont besoin des pays de la CEDEAO. On se complète les uns les autres », avance-t-il.
Il poursuit que les pays de l’AES viennent se ressourcer auprès des pays côtiers mais ce sont eux qui nourrissent ces pays. « Qu’ils n’oublient pas que nous sommes de grands cultivateurs. Les pays côtiers ne cultivent pas comme les pays sahéliens alors qu’ils ont deux saisons pluvieuses pendant que les pays sahéliens n’ont qu’une saison pluvieuse », lance-t-il.
Malgré tout cela, dit-il, en matière d’alimentation, ce sont les pays de l’AES qui ravitaillent ceux de la CEDEAO en céréales. Selon lui, aucun pays du Golfe de Guinée ne cultive autant que les pays sahéliens. « Le Mali, le Burkina et le Niger, qui cultive plus qu’eux ? Le mil, le maïs, l’arachide, la pomme de terre… Il y en a plein, on peut citer jusqu’à demain. Même les légumes, on produit plus qu’eux malgré que nous ne disposions que d’une seule saison humide », soulève-t-il.
Ce jeune Malien, parce qu’on a fini par savoir de quel pays de l’AES est-il originaire, dit que même en matière d’élevage, aucun pays de la CEDEAO ne peut se comparer à ceux de l’AES. « Tout le monde a besoin de tout le monde. Ils ont besoin de nous autant que nous avons besoin d’eux. Mais s’ils veulent faire leur chemin sans nous, libre à eux de le faire », commente-t-il.
Les centrales nucléaires de l’AES
L’accès à l’énergie reste un grand défi pour les pays membres de l’AES qui dépendent presque tous de leurs voisins. Selon notre jeune Malien, cela ne devrait pas poser de problème, car dit-il, aucun pays africain n’est indépendant énergétiquement.
Tous se débrouillent comme ils peuvent pour avoir accès à l’énergie. « La Côte d’Ivoire n’est pas indépendante énergétiquement, le Nigeria, grand producteur de pétrole devant les pays du Golfe, tous ces pays qui vendent le pétrole n’ont pas d’électricité et même l’Afrique du Sud », défend-t-il.
Toujours sur l’électricité, il affirme que ce problème est sur le point d’être très bientôt résolu parce que tous les pays de l’AES sont engagés dans la construction des centrales nucléaires qui viendront mettre fin au sérieux problème d’énergie au Sahel.
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Il n’y a pas que les populations de l’AES qui soutiennent leurs autorités, il y a des citoyens d’autres pays africains en général et de la CEDEAO en particulier, même des Loméens notamment Wisdom Kodjo (nom d’emprunt), un jeune Togolais qui salue la démarche des dirigeants de l’AES. Selon lui, la CEDEAO est une organisation au service des Occidentaux afin de protéger leurs intérêts en Afrique de l’Ouest, particulièrement la « France ». C’est son avis !
« Si la CEDEAO était une organisation crédible, les présidents des pays membres ne devraient pas briguer trois mandats, quatre mandats ou plus. L’exemple du Togo, le monde entier sait comment la population togolaise souffre ici. Si aujourd’hui, vous demandez à 99% des Togolais ce qu’ils pensent de la dynamique des différents pays de l’AES, ils vous diront qu’ils admirent IB, Assimi et Tiani », dit-il.
L’AES ne doit pas s’ouvrir à d’autres pays pour le moment…
Lui ne veut pas qu’un autre pays de l’Afrique fasse partie de l’AES en ce moment. Il estime qu’il faut laisser le temps à ces trois pays de cheminer ensemble afin de bien implanter leur vision pour leurs pays en particulier et pour l’Afrique en général.
« Moi, je ne suis pas Burkinabè, Malien ou Nigérien mais je ne veux pas que l’AES reçoive encore un autre pays. Il faut qu’ils marchent entre eux pendant quelques années pour voir ce qu’ils ont comme projets s’ils ont pu réaliser. Et c’est en ce moment qu’ils pourront accepter d’autres pays. Sinon l’heure n’est pas à l’acceptation d’autres pays au sein de l’AES », prévient-il.
Certains chefs d’État de la sous-région considérés comme anciens au regard du temps qu’ils ont mis au pouvoir, notamment Patrice Talon du Bénin (8 ans au pouvoir), Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire (13 ans au pouvoir) et Faure Gnassingbé du Togo (19 ans de règne) n’ont pas fait le déplacement d’Abuja.
Toute chose qui inquiète Wisdom Koffi qui estime que leur présence à cette importante rencontre de l’organisation sous-régionale à un moment où son existence même est menacée s’avère plus qu’importante. Il avance que cela démontre que cette organisation n’est plus «crédible».
« Pourquoi une organisation comme la CEDEAO, ils étaient en réunion le dimanche, mais pourquoi les anciens (Chefs d’État, ndlr) qui ont 5 ans, 10 ans ou plus au pouvoir n’y ont pas pris part ? C’est dire que cette organisation n’est plus crédible. Sinon un sommet comme celui-là, ce sont les anciens qui devraient venir pour guider les plus jeunes qui sont arrivés au pouvoir », insiste-t-il.
La CEDEAO est perdante
Et pour la probable imposition du visa aux ressortissants de l’AES, il pense qu’on ne devrait même pas parler de visa en Afrique de manière générale. Si cela arrivait, note-t-il, c’est la CEDEAO qui va perdre. « Parce que les pays de l’AES sont nos grands consommateurs », argue-t-il.
Harouna Konkobo (nom fictif), jeune commerçant burkinabè à Lomé depuis 4 ans, fait savoir que si la CEDEAO décide d’imposer des visas aux ressortissants des pays de l’AES, cela n’est pas un problème, car leurs ressortissants devraient aussi se soumettre à cela pour rentrer dans les pays de l’AES. «Il ne faut pas qu’ils oublient que leurs ressortissants devront faire la même chose pour rentrer chez nous. Si c’est pour notre souveraineté, ce n’est pas un problème, on va payer le prix quoiqu’il en coûte », déclare-t-il.
À l’entendre, la CEDEAO n’a rien apporté aux pays de l’AES. « Les pays de l’AES sont en guerre depuis de nombreuses années mais ils ne leur ont rien apporté comme soutien. Mais pour le cas du Niger, la CEDEAO a activé une force en attente pour rétablir le président déchu, Mohamed Bazoum. Mais pour des milliers de personnes qui ont été tuées au Burkina, au Niger et au Mali par les terroristes, rien n’est fait », déplore-t-il.
Ressortissant de l’AES, Salifou Kaketa (nom fictif) est Burkinabo-Malien. Il salue la démarche des dirigeants de l’AES et les invite à continuer à travailler pour leurs peuples. Pour l’imposition des visas aux ressortissants de l’AES, ce n’est pas un problème, ajoute-t-il. « Si nous aimons nos pays, nous devons nous assumer, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Nous devons nous assumer, peu importe ce qui adviendra », rassure-t-il.
Évoquant, la situation sécuritaire dans les trois pays, le sieur Salifou affirme que les efforts entrepris sont encourageants et le bout du tunnel n’est plus loin. « Nous devons, tous, populations comme dirigeants, lutter main dans la main afin que nos pays recouvrent leur quiétude d’antan », appelle-t-il.
Ici au grand marché de Lomé, il se fait appeler le panafricaniste. L’homme vit à Lomé depuis 30 ans. Moctar Mody (nom d’emprunt) admet que la décision prise par l’AES est sans appel quel que ce soit ce que la CEDEAO va faire.
À l’entendre, en si peu de temps, les dirigeants de l’AES ont montré la voie à suivre aux autres dirigeants africains en travaillant pour leurs peuples. Selon lui, les dirigeants de la CEDEAO doivent plutôt emboîter les pas à leurs homologues de l’AES au lieu d’essayer de vouloir mettre en œuvre des décisions dont leurs peuples n’ont pas besoin.
Quant à l’imposition du visa aux ressortissants de l’AES, il estime que «la CEDEAO ne va pas réussir ce coup. Il y a des pays de la CEDEAO qui s’entendent bien avec les pays de l’AES. Je sais que le Togo par exemple ne va pas accepter l’imposition de visas aux ressortissants de l’AES ».
Si certains ressortissants de l’AES saluent la gestion du pouvoir par des militaires, il y a aussi d’autres comme Mahamadou Sissoko (nom d’emprunt), citoyen malien qui appelle les autorités de l’AES à revoir leur façon de faire les choses surtout en ce qui concerne la liberté d’expression.
«Je ne suis pas d’accord avec eux sur beaucoup de points. Il faut qu’il revoie leur façon de diriger. Ils doivent aussi apprendre à accepter des critiques de ceux qui ne partagent pas leur opinion », interpelle-t-il en soulignant que la critique fait avancer.
Le vieux Martin qui est assis à côté de lui pense que les Chefs d’État de l’AES doivent se concentrer plus sur le retour de la sécurité. Comme quoi, les avis divergent sur la question au Sahel. Le débat n’est plus mené par les Sahéliens eux seuls. Mais en fin de compte, c’est l’Afrique qui gagne.
Willy SAGBE
Burkina 24
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