Développement endogène : Des machines agricoles « made in Burkina Faso » soulagent les fermiers

Des machines agricoles et d’élevage « made in Burkina », c’est possible ! En plein Ouagadougou, nous découvrons un atelier spécialisé dans la fabrication de machines de toutes sortes. Des équipements pour l’élevage, l’agriculture, la production d’aliments pour le bétail, mais aussi pour la transformation des produits agricoles. Des créations de marque burkinabè très appréciées par les utilisateurs. Dans ce reportage, nous nous concentrons sur les prouesses réalisées par une entreprise burkinabè nommée Sougre-nooma, spécialisée dans la fabrication de machines « made in Burkina ».
Des carcasses de machines bordent un atelier où le son des meules électriques, des scies, et des marteaux, résonne, animant les employés qui travaillent en cœur. Ici et là, des carcasses de machines et des engins en construction dessinent le paysage d’un lieu de travail pas comme les autres.
Nous sommes au quartier Paglayiri dans l’atelier Sougre-nooma, spécialisé dans la fabrication de machines agricoles adaptées au contexte burkinabè. Des machines endogènes de marque “Poega Korgho”.

« Nous fabriquons des égreneuses polycérales, des broyeurs polyvalents, des moulins à grain, des machines à faire du Soumbala, tout droit sorties de notre génie« , nous explique le maître des lieux, El hadj Issouf Bangré Korgho, autodidacte et patron de plusieurs ateliers de fabrication de machines diverses à Ouagadougou. Assis sous un arbre, il supervise à intervalles réguliers le travail de ses employés.
La polyvalence au service de l’agriculture et de l’élevage
Dans cet atelier que nous venons de découvrir, ou plutôt dans cette fourmilière, à l’œuvre, les ouvriers viennent de terminer la fabrication d’un broyeur d’aliments pour bétail, très prisé par les éleveurs. Un broyeur qui est aussi polyvalent, nous explique le fabricant. C’est d’ailleurs une commande d’El hadj Amado Bougoupinga, un éleveur de renom qui possède une ferme à Koala, à environ 45 km de Ouagadougou.
Intrigués, nous demandons des éclaircissements sur cette notion de broyeur polyvalent. El Hadj Issouf Korgho nous fait savoir que le broyeur polyvalent est aussi appelé broyeur hache-paille. Il sert à broyer les tiges de maïs et de sorgho après la récolte. Les éleveurs l’utilisent pour l’ensilage (méthode de conservation des fourrages par acidification).

Le broyeur polyvalent, selon ses dires, sert aussi à broyer les tiges sèches de maïs, de sorgho et d’autres espèces fourragères pour optimiser l’alimentation des animaux. La machine est également utilisée pour broyer diverses tiges qui entrent dans la fabrication du compost, mais aussi dans la préparation de médicaments traditionnels. D’où le terme « polyvalent ». Idem pour l’égreneuse polycéréale qui selon le fabricant égrène à la fois, le mil, le riz, le maïs, le sorgho, le soja et le niébé.
Une innovation récompensée
Il faut souligner que le broyeur polyvalent, aux multiples usages, a même reçu le premier prix OAPI au Salon International de l’Artisanat de Ouagadougou en 2024. Une belle reconnaissance pour cette machine entièrement fabriquée par des Burkinabè et adaptée aux besoins des éleveurs locaux.
Et des machines de ce genre, l’atelier Sougre-nooma en conçoit à la mesure de la demande des agriculteurs, des éleveurs, des orpailleurs et même des femmes qui sont dans la transformation de produits locaux tels que le beurre de Karité, le Soumbala et la pâte-d’arachide. Plusieurs machines polyvalentes sortent des entrailles de cet atelier à ciel ouvert à Palgla yiri.
Des machines adaptées aux besoins locaux
« Ici, on fabrique des machines qui servent à battre presque tous les types de céréales utilisés au Burkina Faso, des machines à moudre les céréales. Récemment, nous avons fabriqué dans cet atelier deux machines qui servent à travailler les graines de néré pour la fabrication du soumbala. L’une sert à éplucher finement les grains de néré et l’autre à laver les graines de néré épluchées pour faire du soumbala propre et sans impuretés« , énumère El Hadj Issouf Korgho.
Il précise avoir effectué 10 ans de recherche pour pouvoir fabriquer la machine à éplucher les graines de néré. Aujourd’hui, ce sont les productrices de soumbala qui s’en réjouissent. La machine réduit leur temps de travail et augmente leur productivité. Même son de cloche chez les cultivateurs.
Un engagement pour une agriculture moderne
Pour la petite histoire, le fabricant, cultivateur de naissance, s’est promis d’affranchir les agriculteurs du travail pénible et archaïque qu’il a lui-même subi pendant sa jeunesse. Aujourd’hui, c’est une réalité.
Pour le fermier Bougoumpinga, il est évident que l’utilisation de ces machines soulage du travail pénible. Le rendement est aussi nettement meilleur selon lui. Il trouve que la mécanisation agricole est une nécessité aujourd’hui. « Si on ne mécanise pas, on ne peut pas avoir un bon rendement. Si on ne mécanise pas, le travail devient très pénible« , lâche-t-il.
Des gains de temps considérables
À titre d’exemple, il nous confie : « Vous voyez, avec cette machine que nous utilisons pour faire l’égrenage aujourd’hui, en une journée, elle peut égrener plus de 100 sacs de 100 kg de maïs non épluché avec 5 à 6 personnes à la manœuvre. Si on épluche le maïs avant de le mettre dans la machine, en ce moment-là, elle peut égrener plus de 200 sacs de maïs par jour« . « L’égreneuse nous aide beaucoup. En une journée, elle peut faire ce que 20 personnes auraient fait en 10 jours. C’est vraiment salutaire« , renchérit-il.
Il nous rappelle d’ailleurs que c’est une machine fabriquée au Burkina par El Hadj Issouf Korgho. « C’est une égreneuse de El hadj Korgho. Je l’ai eu il y a de cela 3 ans. J’ai eu son broyeur polyvalent aussi à travers une subvention du Projet Régional d’Appui au Pastoralisme au Sahel (PRAPS). Ils nous ont demandé ce qui est bien pour nous, on a mentionné le nom de El Hadj Korgho« , a-t-il souligné.
Un suivi personnalisé et des adaptations constantes
Selon lui, la spécificité de ce fabricant local est qu’il assure un suivi de ses clients pour les assister dans l’utilisation, mais aussi, recueille les recommandations de l’utilisateur pour parfaire ses machines. « Souvent, on fait un retour au fabricant parce que quand on est un vrai praticien, on a un certain nombre de souhaits sur les aptitudes de la machine qu’on aimerait voir implémenter pour atteindre facilement certains rendements« , justifie-t-il.
D’ailleurs, le broyeur polyvalent que El hadj Korgho nous présente le jour de notre visite dans son atelier connaît une modification demandée par le fermier Bougoumpinga. Le rejet du broyat se fait en hauteur avec une certaine pression contrairement aux autres broyeurs, nous explique Issouf Korgho. “Ainsi la machine peut broyer le fourrage et l’expulser directement sur un camion pour faciliter son transport”, nous explique El hadj Korgho.
La polyvalence, marque de fabrique des machines Poega Korgho
« C’est là toute la différence entre mes machines et celles importées de l’extérieur. D’abord, je fais un suivi sur le terrain. Le fabricant chinois ne peut pas suivre jusqu’ici pour assurer le suivi des machines qu’il vend. Ensuite, je fais en sorte que mes machines soient polyvalentes. Si le Chinois fait une machine à égrener le maïs, moi je fais une machine capable à elle seule d’égrener le maïs, le riz, le niébé, le sorgho et le mil.
C’est le cas de l’égreneuse polycéréale que je fabrique. C’est le cas du broyeur polyvalent que je fabrique, c’est le cas aussi du presse-jus multifonction que je fabrique« , souligne El hadj Korgho. La concurrence est rude, mais sur le terrain, les agriculteurs préfèrent les machines Poega Korgho. C’est l’avis du fermier Amado Bougoumpinga.
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Nous rencontrons un autre fermier à Saponé qui partage le même avis. Il exploite près de 1500 hectares de terre. “Avant pour battre mes récoltes, pour le mil par exemple, il fallait que je mobilise plusieurs villages pendant des jours pour qu’ils m’aident à battre. Mais maintenant avec l’égreneuse polycéréale Poega Korgho, en en deux ou trois jours, le travail est fini. C’est vraiment salutaire”, confesse Jean-Paul Nikiema, fermier et guérisseur traditionnel.

Des machines marquées du sceau des experts au plan national
La réussite des machines Poega Korgho auprès des agriculteurs et fermiers n’est pas fortuite. On n’est jamais leader par hasard. Accordons au concepteur une certaine expertise et une doigtée dans la fabrication de ses engins. Dr George Yé, expert en machinisme agricole et mécanique appliquée, chef de département mécanisation de l’Institut de recherche en Sciences Appliquées et Technologie (IRSAT), lui concède cela.
D’ailleurs, Dr Yé fait le suivi, au cours de la fabrication, de bon nombre de machines de El hadji Korgho. “Comme vous le savez bien, le département mécanisation, une de ses fonction est d’accompagner les artisans dans la réalisation, la mise à niveau et l’optimisation de leur équipement.
C’est dans ce cadre que nous accompagnons l’entreprise Sougr-Nooma pour le perfectionnement de ses équipements”, indique Dr Yé. A l’entendre dès que l’entreprise développe un nouvel équipement sa structure vient faire l’expertise pour caractériser l’équipement en termes de productivité, de fonctionnement, de consommation d’énergie pour permettre à l’utilisateur de connaître la capacité réel de la machine.

“Si j’achète un équipement, je dois connaître les tâches que l’équipement peut me permettre de faire et avec combien de litres de carburant. Je dois savoir ce que l’équipement peut me permettre de produire en nombre de kilogrammes à l’heure et quelle est sa vitesse de travail. Nous déterminons tout cela sur une fiche technique d’utilisation”, fait savoir l’expert en mécanisation agricole. Cet expert confirme que ce travail est fait sur de nombreuses machines Poega Korgho.
Des étudiants sont même orientés à la fabrique Sougr-Nooma pour faire des mémoires de cycles sur des machines spécifiques de El Hadj Korgho et profiter en faire les fiches techniques, nous souffle Dr Yé. D’ailleurs, Leaticia, y fait son stage de Licence.

Elle y façonne sa pratique, la menuiserie métallique, les techniques d’assemblage d’une machine et d’autres techniques pour fabriquer des machines sont dans sa besace. Au finish, elle réussit à fabriquer une machine à éplucher le manioc qu’elle présente lors de sa soutenance. Le travail est sanctionné d’une bonne note.
L’entreprise continue son bonhomme de chemin malgré le manque de financement et de soutien conséquent, déplore El hadj Korgho. Cependant son impact sur le travail des agriculteurs est réel.

Ainsi le développement endogène est une réalité au Burkina avec cette mécanisation endogène qui s’accommode aux besoins d’une agriculture de plus en plus dopée par les autorités actuelles avec l’offensive agro-sylvopastorale initiée par le Président du Faso.
Hamadou OUEDRAOGO
Burkina 24