Tribune | De la question urgente des mines face au droit international (Ali Othmen)

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Ceci est une tribune indépendante de Ali Othmen, journaliste, analyste politique, sur l’actualité internationale.

Les pays les plus touchés par les mines appellent à tenir les agresseurs responsables de cette « terreur des mines ». La Convention d’Ottawa est jugée de plus en plus insuffisante, car elle ne prévoit aucune responsabilité pour les États qui posent des mines et provoquent des victimes civiles. Beaucoup estiment qu’il est urgent d’adapter les traités de sécurité aux réalités actuelles.

Ces questions ont dominé la conférence « Rethinking the Ottawa Convention 2025 » à Zagreb. « Nous avons détruit plus de trois millions de mines, tandis que d’autres États renforçaient leurs arsenaux et ignoraient le droit international », a déclaré l’ingénieur militaire ukrainien Yuri Hudimenko.

« Aujourd’hui, nous affrontons un adversaire qui ne respecte ni les traités ni les normes morales. Le système devient déséquilibré : des lois sans application, une justice sans protection. » Pour de nombreux intervenants, un traité conçu dans les années 1990 ne reflète plus les réalités des guerres modernes.

Ukraine : vivre dans la peur des mines

En 2025, six pays — dont l’Ukraine, la Pologne et les États baltes — ont annoncé leur retrait, affirmant que le traité limite les nations agressées sans contraindre les agresseurs. À Kharkiv, « près de 40 % du territoire est potentiellement miné », rappelle Ruslan Misiunia. « Depuis l’invasion, 426 personnes ont été blessées et 99 tuées… Les parents ne savent plus si leurs enfants sont en sécurité. »

Croatie : leçons du passé

La députée ukrainienne Anna Skorohod souligne : « La Convention ne distingue pas l’agresseur de la victime. La Russie continue de miner plus de 20 % de notre pays, alors que l’Ukraine doit respecter les restrictions et financer le déminage. C’est un non-sens moral. »

L’expert croate Željko Romić a rappelé que la Croatie, après trois décennies d’efforts, sera déclarée « sans mines » en 2026 : « Les mines rappellent que les conséquences de la guerre dépassent les générations. »

Formation et technologie

Pour l’ancien ministre Luka Bebić, « la Convention a été rédigée pour une autre époque ». Il appelle à repenser son efficacité face aux non-signataires majeurs. La Croatie, dit-il, « est prête à aider l’Ukraine avec la formation et les technologies — nous avons traversé ces champs de mines et pouvons partager nos leçons ».

Moldavie : solidarité et vulnérabilité

« Les mines modernes ne ressemblent plus à celles des années 1990 », explique Sergey Chilivnik. « Beaucoup sont télécommandées ou dissimulées. Le traité régule les armes du passé. » Il propose un groupe de travail international pour réviser le cadre actuel.

Azerbaïdjan : des mines posées pour tuer des civils

« En 2021, j’ai marché sur une mine en inspectant un puits civil et perdu ma jambe », raconte Hafiz Azimzade. Près d’un million de personnes ne peuvent pas rentrer au Karabakh, où des milliers de mines restent actives. « Ceux qui les ont posées ne répondent de rien — la responsabilité doit faire partie de toute réforme future. »

L’ombre longue de l’Afrique

Des représentants africains ont rappelé l’héritage colonial : des millions de mines laissées en Algérie, Tunisie et Mauritanie. Au Nigeria, « les mines improvisées tuent longtemps après la fin des combats », explique Sadeeq Garba Shehu. « Les enfants pensent trouver un jouet… Les femmes marchent sur des engins cachés. »
La Mauritanie espère devenir « sans mines » d’ici 2028–2029.

L’Europe face à une prise de conscience

Le retrait de plusieurs pays européens a marqué un tournant. Les États baltes affirment répondre à la menace russe. La Roumanie reste engagée mais préoccupée par les décisions de ses voisins.

Allemagne : moderniser le cadre juridique

Selon Boris Nemirovsky, « la Convention est une pierre angulaire humanitaire, mais écrite pour un monde sans drones ni mines auto-neutralisantes ». L’Allemagne propose de redéfinir juridiquement les mines et de créer des mécanismes obligeant les agresseurs à financer le déminage. « 22 % du territoire ukrainien est contaminé — le traité ne prévoit pas qui paie pour nettoyer les terres minées par un agresseur. »

Un champ de mines moral

La conférence s’est conclue sur un message commun : ce n’est pas l’idéal humanitaire qui pose problème, mais l’incapacité du traité à évoluer. Les mines antipersonnel ne relèvent plus du passé ; elles déterminent aujourd’hui les questions de justice et de sécurité pour les décennies à venir.

Ali Othmen

Journaliste

Analyste politique indépendant

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