Communication et médias au Burkina Faso : Le combat d’Abdoulazize Bamogo pour la professionnalisation, contre la désinformation

Partage

Dans un Burkina Faso en pleine mutation, où la communication joue un rôle important dans le façonnement de l’opinion et la cohésion sociale, l’encadrement légal et institutionnel de ce secteur revêt une importance capitale. C’est dans ce contexte qu’Abdoulazize Bamogo, auteur de l’ouvrage de 409 pages, « La communication au Burkina Faso : cadre légal et institutionnel », édité aux Éditions Mercury et dédicacé le jeudi 19 juin 2025 à Ouagadougou, apporte un éclairage indispensable. Fort de son expérience en tant que directeur de Publicitaires Associés et ancien président du Conseil Supérieur de la Communication (CSC), il a identifié les lacunes et les défis liés à la méconnaissance et à l’inaccessibilité des textes régissant la communication. Cette interview nous plonge au cœur de sa démarche, de ses motivations profondes à rassembler et vulgariser ces textes, et nous offre une analyse perspicace des forces et faiblesses d’un cadre juridique en constante évolution. Découvrez avec nous les enjeux d’un paysage médiatique burkinabè sous tension, entre quête de professionnalisation, lutte contre la désinformation et impératif de responsabilité.

Monsieur Bamogo, votre dernier ouvrage, « La communication au Burkina Faso : cadre légal et institutionnel », suscite beaucoup d’intérêt. Qu’est-ce qui vous a spécifiquement motivé à écrire sur ce sujet important ?

L’origine de cet ouvrage remonte à quand j’étais directeur de Publicitaires Associés. A cette époque quand j’ai été élu, on s’était rendu compte avec mon bureau qu’il y avait beaucoup de désordre dans ce secteur. Donc nous avons senti la nécessité de prendre des textes pour  encadrer les pratiques.

Au sein de Publicitaires Associés nous avons adopté trois textes, un code de déontologie, d’éthique et une charte qualité. Mais on a fait le plaidoyer au niveau du gouvernement pour adopter le nouveau texte sur la publicité et le décret qui porte application des règles sur la publicité. Quand nous avons adopté ces textes là nous avons vu que cela a beaucoup aidé pour professionnaliser les pratiques au niveau de la publicité.

Nous nous sommes rendu compte que ceux qui voulaient développer des agences de publicité étaient obligés d’aller se déclarer, et dans les marchés de publicités, ceux qui n’étaient pas en phase avec la loi, étaient attaqués par leurs adversaires, ou voyaient leur projet rejeté parce qu’il ne sont pas en conformité avec la loi.

Pourquoi était-il important de le rendre accessible sous forme de livre ?

Moi j’ai senti que les textes avaient un vrai pouvoir de structuration et de professionnalisation des pratiques. Et quand je suis arrivé au conseil supérieur de la communication, il y a deux choses qui m’ont marqué. Je me suis rendu compte que les gens qu’on auditionnait pour des manquements étaient des gens qui méconnaissaient les textes. 

Quand on les auditionnait, ils finissaient par dire, je demande pardon, je ne savais pas que c’était interdit.  Nous nous sommes rendu compte que les professionnels à qui les textes s’appliquaient ne connaissaient pas les textes et nous le régulateur, si on devait prendre des décisions, nous devions nous appuyer sur des textes de lois. Et c’était difficile de trouver ces textes de lois.

Il fallait demander à des collègues, à des services et d’autres personnes pour avoir les textes. Cela m’a fait savoir qu’il y a des textes mais ces textes-là ne sont pas accessibles à ceux à qui les textes s’appliquent et à ceux qui doivent les appliquer. Je me suis dit que je ferais certainement œuvre utile si je travaillais à rassembler l’ensemble de ces textes-là dans un seul ouvrage et mettre cet ouvrage à la disposition des professionnels, pour leur éviter les manquements et les sanctions, et des régulateurs ou associations d’autorégulation, cela leur permettrait de travailler.

C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à rassembler les textes. Déjà au CSC avec l’appui des collègues de la direction de la documentation et des archives, j’avais déjà rassemblé un certain nombre de lois.

Quand mon mandat est fini au conseil supérieur de la communication, j’ai continué en contactant d’autres services, d’autres organisations et institutions internationales, consulter les autres textes et je me suis retrouvé avec 62 textes, des lois, des arrêtés, des directives des organisations sous régionales, des délibérations de collectivités territoriales, les chartes des organisations professionnelles, que j’ai regroupées dans ce livre et que j’ai subdivisées en 4 parties.

Abdoulazize Bamogo dédicace son œuvre « La communication au Burkina Faso, cadre légal et institutionnel »
Abdoulazize Bamogo dédicace son œuvre « La communication au Burkina Faso, cadre légal et institutionnel »

Sans entrer dans les détails techniques, pourriez-vous nous donner un aperçu des grandes lignes ou des principales thématiques que vous abordez dans cet ouvrage ?

La première partie parle de la communication de manière générale. La deuxième partie parle des textes qui encadrent l’activité des médias. C’est la partie la plus importante du livre. Elle comporte 33 textes soit plus de la moitié des textes du document. La troisième partie parle de la réglementation de la publicité et autres formes de communication commerciale. La dernière partie porte sur la communication électronique.

À qui destinez-vous principalement cet ouvrage ?

Le livre est destiné aux professionnels des médias, les promoteurs de médias, les directeurs de publication de la presse. Le livre est aussi destiné aux professionnels de la publicité, les différents publicitaires, les éditeurs publicitaires, les régies de communication, les conseils en publicités,… mais ceux aussi qui sont dans le domaine de la communication institutionnelle comme les DCRP dans les ministères, les directeurs marketing dans les entreprises, les directeurs de communication dans les ONG, les organisations de la société civile… Il y a aussi ceux qui sont actifs sur les réseaux sociaux.

Selon vous, quels sont les principaux points forts et les principales faiblesses du cadre juridique et institutionnel de la communication au Burkina Faso tel qu’il se présente aujourd’hui ?

Le fait qu’on ait déjà beaucoup de textes, je pense que c’est un point fort. Cela veut dire que les choses sont assez bien précisées. Pour celui qui veut faire un travail conforme, il a la possibilité de savoir à chaque niveau de son intervention si c’est faisable ou pas.

Mais en même temps dire qu’il y a beaucoup de textes signifie qu’il y a beaucoup de contraintes. Si on situe la chose dans le contexte difficile que nous traversons, on comprend qu’il est nécessaire qu’il y ait ce niveau d’encadrement pour éviter les dérives et les conséquences des dérives sur notre société.

Ce qui peut être compris comme faiblesse, c’est le niveau d’adaptation des textes à l’évolution du secteur de la communication particulièrement à l’évolution de la communication sur internet. Là je pense que le gouvernement doit penser à actualiser les lois qui sont liées à internet.

Je pense à la loi sur la publicité, la loi 080 qui a été adoptée en 2015 au moment où la publicité sur internet n’était pas aussi bien développée qu’aujourd’hui et les choses ne font qu’avancer. Je pense qu’avec les nouvelles formes de publicité sur internet aujourd’hui, il y a lieu de faire une réforme, de revoir la loi et de l’adapter à ce contexte nouveau.

Si vous prenez la loi 058 sur la presse en ligne, je pense qu’il faut qu’on la revoie également. Aujourd’hui il y a de plus en plus d’entreprises médiatiques qui se développent non pas à travers un site propre à eux, mais, sur les réseaux sociaux et c’est ce qui pose problème. 

D’un point de vue de notre loi, pour réguler les acteurs des médias, il faut les considérer comme des gens qui avaient la possession de leur support de communication. Mais avec l’utilisation des réseaux sociaux, la personne qui crée le compte n’est pas propriétaire de la plateforme. Elle ne fait qu’utiliser la plateforme pour publier les contenus.

Il y a aussi la loi 061 de 2008 qui porte sur les communications et les activités sur internet. Là dessus je ne pense pas qu’on doive dire qu’il faut une reforme parce que la réforme est déjà en cours. Et je pense qu’elle va aboutir dans quelques semaines.

Y a-t-il des aspects spécifiques qui, selon vous, mériteraient une attention particulière ou une réforme urgente ?

Je ne parlerai pas de reformes en termes de dire que les règlements et les lois doivent être modifiés mais je parlerai plutôt d’initiative allant de la démarche pédagogique parce que je pense que la préoccupation réelle aujourd’hui c’est beaucoup plus une préoccupation qui parle du sens de la responsabilité des acteurs.

Je crois que pour ce qui est des professionnels des médias, il y a un niveau assez important de conformité, de respect des textes en la matière. Par contre, là où il y a véritablement problème, c’est sur internet et sur la façon d’accompagner les autorités nationales dans la lutte contre le terrorisme.

Et à ce niveau je ne pense pas qu’il faille faire appel à des lois mais c’est beaucoup plus une question de sensibilisation avec les professionnels pour qu’ils puissent davantage apporter leur contribution dans les efforts de sécurisation de notre pays. Je pense qu’il y a peut-être lieu de travailler dans le sens de l’édiction ou la vulgarisation des textes à valeur pédagogique.

Vous vous rappelez au niveau du conseil supérieur de la communication, on avait adopté 10 conseils pour des pratiques responsables sur les réseaux sociaux. Je pense qu’un tel document mérite d’être bien vulgarisé pour que nos concitoyens qui sont actifs sur les réseaux sociaux sachent qu’il faut vraiment être responsable.

Au-delà du livre, comment voyez-vous l’évolution du paysage médiatique et de la communication au Burkina Faso dans les années à venir ?

Il y a un travail à faire en ce qui concerne la gestion des entreprises médiatiques. Avec l’évolution numérique, beaucoup de personnes ont la possibilité d’utiliser les réseaux sociaux pour faire le même travail que les professionnels. Ils prennent de plus en plus de place et ils absorbent de plus en plus de part de revenus publicitaires.

Si les professionnels des médias ne font pas attention, dans les années à venir, ils perdront tellement d’audience et de revenus publicitaires qu’ils ne pourront plus exister. La viabilité économique de leur média est en jeu. Il faut qu’ils réfléchissent davantage sur leur modèle économique pour pouvoir continuer à exister. Je crains que dans les années à venir, ils ne perdent de l’espace au profit des acteurs non professionnels dont les pratiques sont problématiques. 

La désinformation et les contenus de haine sont les pratiques des acteurs non professionnels. C’est un enjeu pour notre pays à ce que les médias professionnels puissent travailler à renforcer leur viabilité économique. Sinon nous rentrerons dans une ère où les gens s’informeront avec les non professionnels qui ne respectent aucun principe journalistique.

Au-delà du cadre légal, quelles sont les responsabilités des acteurs de la communication eux-mêmes (journalistes, communicateurs, régulateurs) pour garantir un espace médiatique sain et professionnel ? 

Je pense que premièrement, ils ont la responsabilité d’avoir des pratiques conformes. Deuxièmement, ils doivent s’engager sur le plan de la lutte contre la désinformation en développant des instruments contre la désinformation. Ils peuvent être de deux ordres.

Je pense que c’est bon que vous mettez à la disposition de votre public des cadres où ils peuvent venir vous interroger sur la véracité des informations et que vous pourriez y répondre en faisant un fact checking et un retour.

Vous devez aussi développer en votre sein des équipes chargées de l’activité de fact checking où vous-mêmes vous allez sur les réseaux sociaux pour savoir quelles informations font le buzz et vous vous chargez de vérifier ces informations pour l’opinion publique. Je pense qu’avec cela, vous allez jouer votre rôle dans l’assainissement de l’espace médiatique.

On dit parfois que la presse est muselée. Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

Aujourd’hui je ne pense pas qu’on parlera dans ce sens mais en termes de dialogue entre les acteurs pour savoir qu’elle posture adopter face au contexte que nous traversons. La presse n’est pas contre le Burkina Faso. La presse qui informe l’opinion publique n’est pas contre les citoyens pour qui elle travaille.

Les autorités qui travaillent pour les mêmes citoyens ne sont pas contre la presse. Ils doivent savoir comment s’entendre pour avancer. Mais le débat a beaucoup évolué. Pour preuve il y a eu la signature du pacte des médias burkinabè pour une communication de guerre contre le terrorisme et pour la reconquête du territoire national.

Je pense que c’est une manière pour les acteurs de reconnaitre que les choses sont difficiles mais nous verrons comment apporter notre contribution pour que les choses se passent bien. Il ne faut pas réfléchir en termes de musèlement. Lorsque les choses reprendront le cours normal, on pourra revenir à une liberté où chacun fera son travail comme auparavant.

Quel impact concret espérez-vous que cet ouvrage aura sur la pratique de la communication au Burkina Faso et sur les discussions concernant sa régulation ? 

Mon grand espoir c’est que les professionnels des médias, de la communication en ligne et de la publicité s’approprient l’ouvrage pour des pratiques plus conformes et plus responsables. Je pense que dans le contexte que nous traversons, nous sommes obligés de faire en sorte que nos pratiques soient conformes et responsables.

Ce n’est plus une option pour nous. Le défi est très grand. L’impact de la communication au public n’est pas à négliger. Il y a la guerre des armes et la guerre de la communication. Nous ne devons pas badiner là-dessus pour l’intérêt de la nation. 

Comment avoir le livre ?

Le livre est disponible à la librairie Mercury, où il a été édité, ou par livraison au 74 56 70 36. Il coûte 12 000 francs CFA.

Propos recueillis par Flora KARAMBIRI

Burkina 24

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page