Fistule obstétricale : Regard sur un mal honteux

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La fistule obstétricale est une « maladie de l’ombre ». Elle se caractérise par une incontinence chronique chez la femme (pertes d’urines et/ou de selles). Cette maladie constitue le cauchemar de nombreuses femmes au Burkina Faso et dans le monde. Moins connue, elle reste cependant un mal qui entrave l’épanouissement des femmes qui en sont victimes et qui, dans le silence de la honte, se replient sur elles-mêmes. La fistule touche à la dignité et à l’intégrité physique de l’autre moitié du ciel. Pourtant, selon des spécialistes, la fistule n’est pas une fatalité. Elle se traite et est même évitable notamment grâce à la pratique de la Planification familiale (PF). Causeries au coin du mur…

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10h 30. Nous sommes au Conseil burkinabè des chargeurs (CBC) à Ouagadougou, le 28 septembre 2017. Des acteurs pour l’éradication des fistules obstétricales se rencontrent. Plusieurs autorités sont présentes. Des femmes, jeunes comme âgées, victimes ou soignées de la fistule, y sont également.

Les dictons du maître de cérémonie forcent l’admiration et des tonnerres d’applaudissements. On rit à gorge déployée de temps à autre. Tout a l’air beau dans la salle. Mais, derrière cette façade, ponctuée d’éclats de rires cristallins, se cache la souffrance indicible des femmes victimes de fistule obstétricale. Assises dans la salle, loin derrière, un groupe de femmes devise. Elles sont aux côtés des autorités dans l’optique de trouver ensemble les voies et moyens pour éradiquer le fléau.

Nous décidons de ne pas prendre place dans le secret de la pénombre. Nous nous approchons d’elles. Nous balbutions et bredouillons quelque accommodement. Une dame de 27 ans, mère d’un enfant, nous prête une oreille attentive. L’entretien promet. Nous chuchotons comme de vrais amis. Cette femme victime de fistule obstétricale accepte se confier hors du regard des autres. 

« La fistule est une maladie très honteuse, vraiment une « maladie de l’ombre ». Elle ne fait pas mal à la tête, ni au ventre. Mais, à cause d’elle, on ne peut pas s’asseoir parmi les gens. Si tu as la maladie, tu peux te laver plusieurs fois, mais tant que la maladie ne finit pas, tu ne peux pas être propre parce que même si tu te laves et que quelqu’un passe à côté de toi, il peut sentir l’odeur. Quand cette maladie t’attrape, saches que tu quittes la société », soupire la dame.

Et de continuer : « Tu ne peux plus aller en public. Dès que tu arrives, les gens sont déjà au courant. Ceux qui ont froid aux yeux vont rester et ceux qui n’en ont pas vont quitter la foule ou froisser leur visage. Tu sais que c’est à cause de ta présence. Donc tu n’es plus contente. Victime de moqueries, et souvent abandonnée à soi-même, on peut aller jusqu’à penser au suicide. La fistule peut créer aussi des disputes entre des coépouses ». Notre entretien se poursuit toujours avec la jeune dame.

Enceinte mais interdite d’aller à l’hôpital…

Le cas de notre interlocutrice date de 2011. « J’étais enceinte. Nous n’avions pas pu aller à temps dans une structure sanitaire qualifiée. Là où nous étions en Côte d’Ivoire, il y avait une sorte de conflit interethnique. Des proches de notre famille ont fait appel à une dame âgée qui est venue pour m’aider à accoucher.

Mais, cette dernière était pétrifiée, car mon cas était assez compliqué à ses yeux. J’ai perdu mon enfant dans cette dure épreuve. Et c’est après que la maladie s’est déclenchée. Plusieurs mois après, nous avons appris l’existence d’une fondation à Ouagadougou, au Burkina. Et nous sommes venus pour la prise en charge », relate-elle.

Au sein du groupe de femmes rencontrées au CBC, si certaines attendent d’être prises en charge, d’autres, par contre, se sont tirées d’affaire et donnent l’impression de nager dans un bien-être social. Mme Yabré fait partie de ces dernières.

Elle raconte que dans sa localité natale (Ndlr : Nous avons décidé de taire le nom du village), répudier sa femme atteinte de fistule et menacer les promoteurs de la planification familiale faisaient florès. Mais, elle semble sortie heureuse de cette situation généralisée. Si, elle n’a pas été répudiée, par contre, elle a dû batailler contre la fistule trois années durant.

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« Avant, j’allais faire suivre mes grossesses à l’hôpital. J’ai fait cela sur trois grossesses. Mais je n’ai porté aucun enfant au dos. Pour cette raison, les parents ont dit que je n’irai plus à l’hôpital. Car mes enfants mouraient à cause de l’hôpital. J’ai été victime de la fistule à ma quatrième grossesse suite à un accouchement compliqué. J’ai commencé un jour à avoir mal au ventre très tôt dans la matinée. La douleur a perduré jusqu’au soir. Nous avons cru que ça allait bien se passer. On m’avait en fait interdit d’aller à l’hôpital. Donc, lorsque j’ai commencé le travail, les femmes ont essayé de m’aider à accoucher mais on n’y parvenait pas.

On m’a mise sur le dos et on m’a ensuite roulée pour aider à ce que le bébé vienne. Comme le bébé ne sortait toujours pas facilement, on m’a emmenée au CSPS. Le lendemain matin, les médecins nous ont dit d’aller à Ouagadougou parce qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour nous. Quand je suis arrivée à Ouagadougou, on m’a couchée sur un lit et examinée.

C’est après qu’on m’a amenée pour l’intervention. Le traitement s’est bien passé. Le bébé a miraculeusement survécu cette fois-ci. Tout s’est bien passé. Concernant la fistule, j’ai été traitée à Ouagadougou. Je suis guérie aujourd’hui et mon enfant se porte bien… Comme métier, je fabrique et revend du savon, avec d’autres femmes », se réjouit la dame de 37 ans, soignée de la fistule obstétricale.

« La fistule est évitable et se traite »

Les spécialistes sont unanimes que l’autonomisation des femmes implique nécessairement la prise en compte de toutes les femmes. Plusieurs activités sont menées au plan national ainsi que régional pour éradiquer le fléau. Dr Demba Traoré est Manager de projet à IntraHealth Mali. Nous l’avons rencontré à Bamako le 18 septembre 2017. Selon lui, cliniquement, la fistule obstétricale est une lésion qui survient après un travail d’accouchement difficile, prolongé et en dehors de toute assistance médicale. Il explique que la lésion survient généralement en cas de dystocie (Ndlr : disproportion marquée entre la tête du bébé et le bassin de la mère).

Des femmes, jeunes comme âgées, peuvent être victimes de la fistule obstétricale.

Selon Dr Demba Traoré, la survenue de la fistule cause le plus souvent la mort du bébé et entraîne une incontinence chronique chez la mère (pertes d’urines et/ou de selles). Il dénote trois principaux types à savoir les fistules vésico-vaginales, les fistules recto vaginales et les fistules vésico-recto-vaginales. Non traitées, les fistules peuvent provoquer des infections et des affections rénales, voire le décès. De plus, les femmes atteintes de fistule font souvent face à la marginalisation, au divorce, aux troubles psychiatriques et à l’exclusion sociale.

Le spécialiste malien soutient que l’une des conséquences de l’inaccessibilité aux services de santé auxquelles les femmes enceintes sont exposées en milieu rural, est sans doute la fistule obstétricale. Ses propos ont été appuyés par Dr Clotaire Hien, gynécologue-obstétricien à l’Hôpital national universitaire Blaise Compaoré.

La planification familiale, une solution durable…

« La fistule est le témoin de l’inaccessibilité à l’aide obstétricale qualifiée et de qualité », informe le gynécologue burkinabè. A l’origine de la problématique, non seulement l’accès limité aux soins mais aussi des phénomènes divers, parmi lesquels la persistance de l’accouchement à domicile, la malnutrition, l’excision, la maternité précoce, la non pratique de la planification familiale (PF).

« Au 21e siècle, il est inadmissible que nos femmes continuent de mourir ou souffrir en donnant la vie. La fistule n’est pas une fatalité, elle est évitable et se traite. La planification familiale est un élément clé pour éviter les fistules obstétricales. La cause principale étant les grossesses précoces et les accouchements à risque, il suffit de contrôler ses naissances et de bien faire suivre sa maternité », défend le Manager de projet à IntraHealth Mali. Et au Dr Clotaire Hien d’insister que « si les femmes pratiquent le planning familial, il y aura une réduction considérable du fléau ».

Cet écho a permis à Mariam Sawadogo de sauver la face. La jeune fille a été donnée en mariage à l’âge de 17 ans. Elle et son mari ont préféré retarder leur première naissance. « C’est une tante qui m’a conseillée de retarder ma première grossesse en adoptant une méthode contraceptive. Je l’ai fait et ça a marché. J’ai eu mon premier enfant après 6 ans de mariage. En réalité, mon mari a été vraiment très compréhensif », révèle-t-elle.

Dans le monde, plus de 2 millions de femmes et de jeunes filles en sont affectées dans les pays en développement, et 50.000 à 100.000 nouveaux cas de fistule sont enregistrés chaque année au niveau mondial. Au Burkina Faso, les fistules sont traitées notamment dans tous les Centres hospitaliers universitaires et régionaux. A Schiphra, Yalgado ou encore Sourou Sanou, le traitement peut se faire à un prix réduit. Il existe également des associations et ONG qui permettent à certaines victimes d’être prises en charge gratuitement.

La Fondation RAMA, en partenariat avec la Fondation SEMAFO, l’ONG ASMADE et l’UNFPA, soutient et fournit des soins médicaux et des conseils aux femmes victimes de fistules. Chaque année, environ 300 femmes sont soignées dans ce centre, où elles peuvent rester pendant toute la durée de leur traitement, au cours duquel, elles ont également la possibilité de participer à des cours de tissage et de production de savon.

Ces activités aident les femmes à générer leurs propres revenus et à retrouver leur autonomie. Toutefois, malgré les nombreuses réponses apportées pour contrer le fléau, d’énormes défis ne manquent pas. Ces défis vont de la poursuite des sensibilisations à la prise en charge des victimes. Il y a donc toujours urgence d’agir pour éliminer toute forme de fistule obstétricale au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde.

Noufou KINDO

Burkina 24

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Noufou KINDO

@noufou_kindo s'intéresse aux questions liées au développement inclusif et durable. Il parle Population et Développement.

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