Tribune – « Incivisme au Burkina Faso : La jeunesse à l’école des adultes »
Ceci est la tribune d’un enseignant sur l’incivisme au Burkina Faso.
Le Burkina Faso, en ce début de siècle, est aux prises avec toutes les adversités : rareté des pluies, désertification, péril plastique, terrorisme, problèmes de gouvernance, crise de l’autorité et incivisme mortifère pour ne citer que ces malheureux exemples. De tous ces maux et de bien d’autres qui piègent le devenir de notre pays, c’est l’incivisme qui détient à lui seul les trois médailles : or, argent et bronze.
Il est même à la base de presque tous les problèmes qui nous touchent. Mais peut-on lutter et si oui comment lutter contre ce phénomène qui tend à devenir un ‘‘gène’’ chez beaucoup de burkinabè ? Difficile de répondre à cette question tant l’incivisme tire de plus en plus ses sources dans l’éducation que nous donnons à nos enfants à travers notre comportement de tous les jours.
Pour comprendre le phénomène, il est utile de rappeler que c’est l’absence de civilité, de solidarité et de civisme qui favorise son émergence et son développement. La civilité est une valeur qui renvoie à un comportement, à une attitude, celle du respect envers les autres et l’environnement, envers tout ce qui relève de l’intérêt général, la reconnaissance mutuelle de la dignité des individus entre eux.
Et le civisme est cette autre valeur, cette disposition qui pousse l’individu humain à agir et à se comporter de sorte à protéger et à promouvoir l’intérêt général, à respecter et à faire respecter les règles sociales, à développer des rapports emprunts de courtoisie et de respect vis-à-vis de l’autre. Quand les valeurs de solidarité, de civilité et de civisme désertent une société, l’incivisme y élit domicile et menace sérieusement l’existence du corps social. Comme c’est le cas au Burkina Faso actuellement. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Nous avons eu l’opportunité à plusieurs reprises d’interroger les causes de l’incivisme dans notre pays. Néanmoins, il est peut-être utile de rappeler que le phénomène tire ses sources à la fois de la mauvaise gouvernance, du déficit de l’éducation familiale et de la perturbation de nos valeurs.
Ce n’est un secret pour personne qu’au Burkina Faso, il existe encore des relents de non-respect des règles de gestion des deniers et bien publics. Il n’est pas rare aussi d’entendre des usagers des services publics se plaindre du comportement de certains agents publics. Dans les familles, la démission des parents est presque totale, l’autorité parentale s’est pliée face à celle des enfants, portée par une nouvelle conception des droits et des libertés.
Plus globalement, nos valeurs, nos systèmes ethnoculturels sont perturbés parce que n’étant plus homogènes mais aussi parce que l’évolution du monde est passée par là, une évolution portée par de nouveaux moyens de communication. Tous ces facteurs se tiennent, s’articulent, sont consubstantiels. Certains échappent à notre contrôle. D’autres, les plus importants, par contre, relèvent du comportement au quotidien des burkinabè adultes.
En effet, dans une écrasante majorité, nous sommes en tant qu’adultes coupables et responsables du développement de l’incivisme au Burkina Faso. C’est notre faillite qui suggère et justifie le fléau dans notre société. Tous les services publics par exemple sont des laboratoires et des écoles d’incivisme pour les jeunes dans notre pays. Nous faisons preuve d’incivisme en présence de nos enfants partout et dans toutes les structures étatiques et privées : établissement d’enseignement, administration générale, formations sanitaires, services de sécurité, services financiers, marchés, en circulation, dans le jeu politique…Rien que ces dix dernières années, pour ne prendre que cette période, nos enfants ont appris/découvert dans la presse et sur les réseaux sociaux, l’existence de nombreux cas de mauvaise gestion de biens et deniers publics, de mauvaise manière de servir la nation.
Quelle suite avons-nous donné à ces dénonciations en dehors d’une prime à l’impunité ? Ces dernières années, nous avons appris à nos enfants l’usage du feu dans les manifestations. Nous leur avons appris les ‘‘visites à domicile’’ quand il y a un différend politique entre nous adultes.
Nous leur avons appris à barrer des routes nationales et dans des quartiers/secteurs des villes, pour exprimer leur mécontentement. Nous avons brûlé face à la caméra des institutions de la république et menacé de bruler d’autres. Nous avons dansé encore face à la caméra sur des documents de travail d’une séance réunissant ceux en qui nous avons placé tous nos espoirs, sifflet à la bouche, avant de rentrer probablement nous faire applaudir par nos femmes/maris et nos enfants.
Nous avons installé des postes téléviseurs dans des formations sanitaires et dans des postes de police et de gendarmerie. Une vraie absurdité. Des postes téléviseurs pour tenir compagnie (distraire ?) aux policiers, gendarmes et agents de santé qui sont de service. Tous les jours que Dieu fait, nous employons un langage grossier dans les médias, sur les réseaux sociaux, en famille et lors des regroupements politiques ou sociaux.
Nous insultons grossièrement et fièrement le chef de l’Etat, les ministres de la république, le chef de file de l’opposition politique, des responsables de partis politiques, d’organisation de la société civile, des leaders d’opinion, des journalistes, des organes de presse, des responsables syndicaux, des députés, des maires, en un mot nos responsables, nous nous insultons donc nous-mêmes au vu et au su de nos enfants.
Dans les services publics, nous prenons tout notre temps au téléphone ou sur Facebook devant des usagers des mêmes services. Régulièrement, nous téléphonons au volant/guidon en conduisant notre enfant à l’école, nous jetons des sachets plastiques là où bon nous semble. Nous brûlons les feux tricolores en présence de notre enfant et d’autres enfants. Nous justifions l’injustifiable devant nos enfants dans les médias, sur les réseaux sociaux et à la maison. Mêmes dans les publicités entrant dans le cadre de la lutte contre l’incivisme, nous faisons la promotion du phénomène. Ce sont des actes d’incivisme que nous présentons dans ces publicités avant de montrer les bons comportements à adopter. C’est anti-pédagogique, diront les enseignants.
Nous approuvons et applaudissons même dans les médias les actes d’incivisme de nos enfants qui se battent à l’université, qui insultent leurs enseignants, qui manquent d’humilité, qui s’attaquent à des symboles nationaux, qui barrent la route à des soldats de la république montant aux front pour nous protéger. Nous leur permettons même fièrement, au nom du droit à la parole et de la liberté d’expression, de justifier impunément sur des plateaux de télévisions, leur incivisme.
Que disons-nous en tant que parents ou enseignants à ces jeunes à la suite de la justification/de l’aveu de leurs actes inciviques ? Quand nos enfants étalent leur manque d’humilité dans la presse, que leur disons-nous après en tant que parents (à la maison) ou enseignants (en classe) ou adultes dans la société ? Que font concrètement les autorités après ? Dans ce pays, quand un citoyen violente ou porte plainte contre un agent public quelque part, même dans un kiosque de PMU-B, au lieu que la victime ou sa corporation porte aussi plainte contre l’agresseur ou se défende devant les juridictions conformément à nos textes et lois, c’est tout le peuple burkinabè qui trinque. Nous faisons tout cela et bien d’autres choses inadmissibles et inciviques et nous voulons que nos enfants se comportent autrement maintenant et dans leur vie future d’adultes.
Dans l’enseignement, on recommande par exemple aux éducateurs de ne pas répéter les erreurs de l’enfant en le corrigeant, afin que ces erreurs ne s’incrustent pas. L’enfant apprend beaucoup par imitation de l’exemple donné par l’adulte. Chez les éducateurs, il est admis que l’enseignant est un programme caché. L’on enseigne ce que l’on est. Tel parent/maître, alors, tel fils/élève.
Si aujourd’hui une frange non négligeable de notre jeunesse se comporte de façon incivique, nous sommes donc en grande partie responsables en tant qu’adultes. Ces jeunes ont vu et pris ces attitudes chez nous, pas ailleurs. Changeons et nous verrons qu’ils vont suivre. Aujourd’hui, ils expérimentent nos enseignements dans la rue et dans la société. Bientôt, ils nous feront payer les conséquences de notre démission individuelle et collective dans les familles et dans toutes les institutions de la république. Cela a même commencé.
Pour lutter contre l’incivisme au Burkina Faso, il est utile que les adultes réinterrogent leurs comportements dans leur vie politique, familiale, sociale et professionnelle. Nous devons commencer par nous remettre en cause et nous parler sur le sujet. Il appartient aussi au pouvoir de promouvoir la bonne gouvernance et d’initier sur toute l’étendue du territoire national, des rencontres d’analyse du phénomène.
Il lui revient d’organiser des séances d’interrogation du fléau dans les services publics afin de dégager des pistes de résolution consensuelles et impliquant tout le monde, travailleurs et usagers des services. Il serait opportun d’initier des rencontres d’analyse du phénomène en milieu scolaire réunissant enseignants, élèves, parents d’élèves et administration scolaire. Il ne serait pas également futile de revoir toutes les publicités relatives au fléau pour ne présenter que les bons exemples. N’oublions pas que c’est aussi à travers ces publicités que certains jeunes découvrent certains mauvais comportements. Et que l’enfant apprend par l’exemple.
De toutes les façons, nous avons intérêt à nous parler urgemment sur ce fléau qui est plus dangereux et nuisible pour nos sociétés que le terrorisme qu’il nourrit du reste. En effet, c’est quand l’esprit de solidarité, la civilité et le civisme disparaissent chez un individu que celui-ci cesse d’être citoyen, devient incivique puis terroriste. Personne ne devient terroriste sans avoir perdu ces valeurs. Ressaisissons-nous individuellement et collectivement. On ne se développe pas dans un excès d’attitudes indignes de l’humain et de l’humanité.
Que chaque Burkinabè adulte opère la rupture à son niveau, en famille comme au service, au marché, au cinéma, en circulation, dans son comportement de tous les jours. Pour donner et inspirer les bons exemples à nos enfants et réduire les espaces d’expression de l’incivisme au Burkina Faso. Que le gouvernement prenne ses responsabilités en s’engageant résolument dans la lutte contre le fléau par l’exemple, la rigueur, la restauration de l’autorité de l’Etat, l’esprit d’anticipation, la lutte implacable contre l’impunité car il faut plus que des mots pour guérir certains maux. Dans le cas contraire, si nous ne le sommes pas déjà, nous ne tarderons pas à devenir effectivement un ‘‘pays de merde’’. Dieu sauve le Burkina Faso.
BOUBACAR Elhadji
Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré à Dori
Mail : [email protected]
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