Etude : La prédication verbale de l’inaccompli en koromfe, variante d’Arbinda
Ceci est une étude réalisée par GUIRE Inoussa, INSS/CNRST Ouagadougou [email protected], intitulée « La prédication verbale de l’inaccompli en koromfe, variante d’Arbinda ».
Résumé : Cet article décrit la morphologie des verbes à l’inaccompli en koromfe d’Arbinda, notamment la description des éléments de la structure interne des verbes et aussi des règles de combinaisons des syntagmes verbaux (SV.). Un corpus constitué d’une liste de verbes et divers éléments de prédication collectés a été constitué puis soumis à l’intuition linguistique de locuteurs du koromfe d’Aribinda, Des énoncés illustratifs ont été produits, des variations prenant en compte la personne, le temps verbal soumis aux arguments, le mode ainsi que le passage de la forme affirmative à la forme négative ont été testées. La structure des bases verbales et la focalisation déterminent la sélection de la forme des modalités verbales. Le fonctionnement sémantique de la conjugaison qui en découle s’en trouve diversement exprimé aussi bien à la forme affirmative que négative.
Introduction
Le koromfe est une langue de type gur de la famille Niger-Congo. Dans l’ancienne littérature les anthropologues parlent de Kouroumba (Griaule, 1941), kurumba (Schweeger-Hefel & Staude, 1972) .C’est à partir de la description du parler de Mengao par un linguiste que la bonne orthographe « Koromba » a été adoptée pour les locuteurs, koromfe pour la langue. Si avant l’arrivée des moosi du Yatenga le royaume des Koromba occupait une grande partie du Nord du Burkina Faso, actuellement cette langue est parlée dans quelques villages des provinces du yatenga, du Soum, du Bam et du Seno. Elle est également parlée à Yoro au Mali. Deux grandes variantes géographiques se dégagent ; la variante de l’Ouest de Djibo allant de Mengao à Titao et la variante située à l’Est parlée dans une quarantaine de villages autour d’Arbinda.
L’absence de travaux de description sur celle de l’Est fait d’elle un terrain favorable pour nos investigations linguistiques. En français, langue indo-européenne, on admet que le verbe présente un système de flexion en fonction du temps, du mode et des personnes. L’ordre temporel est-il perçu et exprimé de la même manière en koromfe ? Les modalités verbales, varient-elles en fonction de la personne ? Autrement dit, comment fonctionne la prédication en koromfe ? Ce qui contribue non seulement à la compréhension du fonctionnement général de la langue koromfe, mais aussi à la mise en place maîtrisée d’une orthographie et d’une grammaire de la langue. Notre objectif est de décrire la morphologie du verbe en koromfe, variante de Mengao en nous limitant dans cet écrit, à l’aspect inaccompli, dont l’appellation par certains grammairiens est « présent de l’indicatif ».
Le cadre théorique et méthodologie aussi bien que la méthodologie sont détaillés dans Guiré (2024), nous passons aux résultats.
I. La prédication verbale : Morphologie générale
Le verbe est un mot qui exprime une action, un état ou un devenir et qui présente, dans certaines langues, un système complexe de formes en fonction du temps, du mode et des personnes. Dans le syntagme verbal, le verbe constitue le nexus. C’est à travers le fonctionnement du verbe que la proposition toute entière est comprise, car dans une proposition il en constitue le nexus. L’étude du système verbal koromfe nous permet, comme indiqué dans la méthodologie et de l’orientation théorique, de mieux nous imprégner de la structure de l’énoncer, du processus de la prédication dans cette langue à partir de l’inventaire des formes des bases verbales.
1.1. Inventaire des bases verbales
Nous entendons par base verbale, tout morphème lexical obtenu après la suppression de tous les affixes flexionnels dans le cadre de la prédication. La base « est une racine ou [un] radical nu sans désinences d’un mot » (Dubois, Giacomo, Guespin, & Marcellesi, 1994, p. 63). La complexité de certaines langues nécessite qu’une différence entre radicale et racine soit faite par les linguistes. On admet que la racine est souvent une notion abstraite parce que susceptible de porter les sèmes essentiels communs à toutes les réalisations possibles du mot dans la langue, et que le radical serait la forme réellement prise par la racine dans tel ou tel contexte. La forme que nous considérons comme base lexicale est celle identifiée à partir de la suppression du suffixe -am considérée comme marque de l’infinitif.
En koromfe d’Arbinda, la base verbale peut être de structure CV, CVC, CVCC, CVCCVC, CVCVC et CVVC
1.1.1. La base verbale de structure CV.
Il s’agit d’un base verbale constituée d’une consonne et d’une voyelle à laquelle on peut joindre le morphème -am pour former l’infinitif du verbe. Ce qui revient à avoir un verbe à l’infinitif de structure CV1V1C ou CV1V2C. Cette rencontre de voyelle n’est pas sans incidence phonologique à l’impératif. Nous y reviendrons.
Exemple :
Base lexématique | Infinitif du verbe | sens |
/ce/ | ceʌm | être fou |
/dɩ/ | dɩam | manger |
/du/ | Duʌm | calciner |
/fu/ | fuʌm | trainer à terre |
/kʋ / | kʋam | tuer |
/le/ | leam | oublier |
/ɲɩ/ | ɲɩam | s’allumer |
/sã/ | sãam | sauter |
/se/ | seam | maudire |
/ta/ | taam | tirer (coup de feu) |
/tã/ | tãam | nier |
/yʋ/ | yʋam | voler |
/zu/ | zuʌm | entrer |
1.1.2. La base verbale de structure CVC.
La base verbale de structure CVC produit l’infinitif verbal de type CVCVC. Il s’agit de la structure la plus productive dans notre corpus. Sur un total de 392 verbes, 184 sont de cette structure.
Exemple :
Base lexématique | Infinitif | Sens |
/dʋg/ | dʋgam | laisser |
/fɔg/ | fɔgam | faire sortir, déplacer des briques |
/fog/ | fogʌm | suer |
/hʋ̃s/ | hʋ̃sam | nettoyer |
/jɔk/ | jɔkam | picorer, becqueter |
/sɔg/ | sɔgam | boucler |
/tɔs/ | tɔsam | ramasser (grains) |
1.1.3. La base verbale de structure CVCC
On en dénombre 108 verbes dans le corpus.
Base lexématique | Infinitif du verbe | sens |
/dʋbt/ | Dʋbtam | arracher |
/bɔws/ | bɔwsam | guérir, aller mieux |
/bɩrg/ | bɩrgam | faire mûrir |
/birg/ | birgʌm | noircir |
/boɲs/ | boɲsʌm | aimer |
/cɔpt/ | cɔptam | picoter |
/cept/ | ceptʌm | raser (tête) |
1.1.4. La structure CVCCVC
Cette structure est peut productive. Certaines de ses bases sont dérivées, notamment hɩ̃ɲsalam « lever » est dérivé de hɩ̃nnam « se lever », de même sumbotam « ouvrir » est dérivé de fermer « couvrir ».
Base | Infinitif | sens |
/hɩ̃ɲsal/ | hɩ̃ɲsalam | lever, réveiller |
/sumbot/ | sumbotʌm | découvrir, ouvrir |
/wɔ̃ŋgol/ | wɔ̃ŋgɔlam | faire pourrir |
/cɛndg/ | cɛndgam | finir, terminer |
Les éléments obligatoires du syntagme verbal sont la base simple et la modalité verbale. Le terme obligatoire est à nuancer dans la mesure où dans le mode impératif, la modalité verbale elle-même n’est pas exprimée. Nous retenons donc que la structure du syntagme verbal en usage en koromfe d’Arbinda correspond parfaitement au schéma typique du constituant syntaxique verbal de Mauris Houis (Houis, 1977, p. 926) se présente comme il suit :
Base lexématique (+ n. dérivatif) + modalités verbales.
On a donc des bases lexématiques (simples) et des bases dérivées. Une base lexématique est une base réduite au seul lexème. Une base dérivée est une base étendue par un ou plusieurs dérivatifs. C’est cette dernière situation qui est présentée comme (n. dérivatif).
Exemple :
Verbe à base simple | Dérivatif | Verbe à base dérivée |
Bɛnam « venir » | /-ɛl-/ | Bɛnɛlam « faire venir » |
Sɛbam « apprendre » | /ɛl-/ | Sɛbɛlam « apprendre à quelqu’un » |
Sumbʌm « couvrir, fermer » | /-ot-/ | Sumbotʌm « ouvrir » |
Pour mieux cerner les dérivatifs dans cette variante du koromfe , confère (Guiré, 2023).
1.2.Inventaire des modalités verbales
Les modalités verbales retenues dans ce travail ne renvoient pas seulement aux modes de prédication, mais à toutes les variations auxquelles sont soumises les bases verbales dans la prédication. Ce sont les formes aspectuelles, le mode injonctif (impératif) et le mode subjonctif.
1.2.1. L’aspect inaccompli
L’inaccompli est l’aspect qui décrit les procès en cours d’accomplissement, qui sont envisagés comme un projet ou qui se répète dans le temps. Ainsi on aura comme valeur aspectuelle de l’inaccompli, l’habituel et le projectif ou projectif. Le progressif est exprimé diversement dans les langues africaines. « Nous avons par ailleurs déjà vu qu’un procédé très fréquent pour exprimer une valeur aspectuelle de progressif consiste à utiliser un nom de procès dans une prédication de type situatif : «il est au travail » pour « il est en train de travailler », «il est en sommeil » pour «il est en train de dormir », etc. » (Creissels, 1991, p. 416). En koromfe d’Arbinda, il est exprimé, non par un nom de procès, mais par une modalité verbale suffixale.
Vu la complexité qu’il y a à spécifier et à nommer avec exactitude ces sous-aspects de l’inaccompli, nous avons retenu les deux termes inaccompli 1 (inac.1) et inaccompli 2 (inac 2). Ceci parce que toutes deux peuvent exprimer des phénomènes dont la réalisation n’est pas entièrement révolue, mais dans des contextes syntaxiques différents.
1.2.1.1.La prédication verbale à l’inaccompli 1
L’inaccompli 1 qui se traduit par le prédicatif verbal (préd. V.) ou morphème marqueur verbal [-aa ~ -a la]. Ce prédicatif verbal indique une durée dans le déroulement du procès. Il est utilisé généralement pour des actions qui se déroulent non seulement au moment où l’on parle c’est à dire le présent, mais aussi pour le futur.
Le morphème –aa plus un adverbe (adv.) de temps nous permet aussi d’avoir le futur. C’est cet adverbe de temps qui apporte la précision dans le temps.
Exemples :
Də yag-aa a saga nɩ « Il va en ville. »
/il / aller+inac.1/ det./ville sg./loc.
Də yagaa a saga nɩ wote « Il va (ira) en ville demain. »
/il / aller+inac.1/ det./ville sg./loc/demain/.
Wotre kã də yag-aa a cɔgʋ nɩ : « Chaque jour il va au champ. »
/jour / chaque/ il/ aller+inac.1/ det./champ sg./loc.
/-aa/ peut être interchangé dans tous les contextes par /-a la/ sans changement de sens. Ce qui permet de dire que ce sont des allophones.
1.2.1.2.Le prédicatif verbal des bases verbales de structure CV
Le prédicatif verbal de l’inaccompli 1 des bases verbales de structures CV se réalise [-raa].
Si la voyelle de base est /-e-/ ou /-i-/ à l’infinitif, elle se réalise [-i-] à l’inaccompli 1.
Exemple :
Base simple | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/ce-/ | ceʌm | də cirʌʌ | Il deviendra fou |
/le-/ | leam | də lirʌʌ | Il oubliera |
/se-/ | seam | də sirʌʌ | Il maudira |
/dɩ-/ | dɩam | də dɩraa | Il mangera |
/ɲɩ-/ | ɲɩam | də ɲɩɩrãã | Il s’allumera |
/du-/ | duʌm | də duraa | Il calcinera, brulera |
/fu-/ | fuʌm | də furʌʌ | Il trainera à terre |
/kʋ- / | kʋam | də kʋraa | Il tuera |
/sã-/ | sãam | də sãrãã | Il sautera |
/ta-/ | taam | də taraa | Il tirera (coup de feu) |
/tã-/ | tãam | də tãrãã | Il niera |
/yʋ-/ | yʋam | də yʋraa | Il volera |
/zu-/ | zuʌm | də zurʌʌ | Il entrera |
Pour les bases verbales de structure CVC, CVCC et CVCCVC, le prédicatif verbal de l’inaccompli 1 se réalise [-raa] ou [-rʌʌ] si la dernière consonne est autre qu’une latérale.
Base simple | Infinitif | Inaccompli 1 | Sens |
/dʋg-/ | dʋgam | də dʋgraa | Il laissera |
/fɔg-/ | fɔgam | dəfɔgraa | Il fera sortir, il déplacera des briques |
/fog-/ | fogʌm | də fogrʌʌ | Il suera |
/hʋ̃s-/ | hʋ̃sam | də hʋ̃sraa | Il nettoiera |
/jɔk-/ | jɔkam | gu jɔkraa | Il (n.hum)[1] picorera, il becquettera |
/sɔg-/ | sɔgam | dəs sɔgraa | Il bouclera |
/tɔs-/ | tɔsam | də tɔsraa | Il ramassera (grains) |
Exemple de bases verbales à structures CVCC. La consonne finale peut être b, c, k, g, f, t, s, y
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/dʋbt-/ | dʋbtam | də dʋbtraa | Il arrachera |
/bɔws-/ | bɔwsam | də bɔwsraa | Il guérira |
/bɩrg-/ | bɩrgam | də bɩrgraa | Il fera mûrir |
/birg-/ | birgʌm | də birgrʌʌ | Il noircira |
/boɲs-/ | boɲsʌm | də boɲsrʌʌ | Il aimera |
/cept-/ | ceptʌm | ceptu | rasez (tête) |
Exemple de bases verbales à structures CVCCVC
Base | Infinitif | Inaccompli 1 | Sens |
/sumbot-/ | sumbotʌm | Də sumbotraa | Il découvrira, ouvrira |
/cɛndg-/ | cɛndgam | Cɛndgraa | Il finira, terminera |
Le prédicatif verbal à l’inaccompli 1 des bases verbales de structure CVV, CVC, CVCC et CVCCVC, lorsque la dernière consonne est une latérale, obéit à la règle de réalisation du prédicatif verbal des bases verbales de structure CV.
Exemple :
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/daal-/ | daalam | də daalaa | Il attendra |
/dɩɩl-/ | dɩɩlam | də dɩɩlaa | Il nourrira |
/dɛgl-/ | dɛglam | də dɛfaa | Il portera |
/gal-/ | galam | də gallaa | Il nagera |
/gɔl-/ | gɔlam | gɔllaa | Bouillira |
/hʋl-/ | hʋlam | de hʋlaa | Il accouchera |
/jil/ | jilʌm | də jillʌʌ | Il contournera |
/mɛsɛl/ | mɛsɛlam | də mɛsɛlaa | Il mesurera |
/tʋbl/ | tʋblam | də tʋblaa | Il pilera |
Pour la même structure, la latérale est géminée dans certains verbes à l’inaccompli 1.
Exemple :
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/fil-/ | filʌm | də fillʌʌ | Il préparera la sauce |
/gal-/ | galam | də gallaa | Il nagera |
/gɔl-/ | gɔlam | də gɔllaa | Il bouillira |
/hal-/ | halam | də hallaa | Il possedera |
/cɛl-/ | cɛlam | də cɛllaa | Il fermera |
/jɩl-/ | jɩlam | də jɩllaa | Il empêchera |
/sel-/ | selʌm | də sellʌʌ | Il vannera |
/zal-/ | zalam | də zallaa | Il contaminera |
Lorsque la dernière consonne de la base verbale (B.V.) est une nasale alvéolaire [n], le morphème de l’inaccompli 1 en position suffixale se réalise [-taa] avec une harmonisation vocalique.
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/bɛn-/ | bɛnam | də bɛlaa | Il viendra |
/dan-/ | danam | də dantaa | Il lèchera |
/pan-/ | panam | də pataa | Il donnera |
/gãŋ-/ | gãŋam | də gãntaa | Il refusera |
/hɔ̃n-/ | hɔ̃nam | də hɔ̃ntaa | Il jouera |
/dɩn-/ | dɩnam | də dɩntaa | Il tirera |
/nʋn-/ | nʋnam | də nʋntaa | Il dépècera |
/hɩnn-/ | hɩnnam | də hɩntaa | Il se lèvera |
NB : Le verbe panam « donner » est commun aux deux dialectes du koromfe, mais à l’Ouest et pour le même aspect, il se réalise pandaa au lieu de patta.
Lorsque la dernière consonne de la base verbale est une vibrante [r], elle s’élide et le morphème de l’inaccompli 1 se réalise [-taa] avec une harmonisation vocalique.
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/gor-/ | goram | də gotʌʌ | Il accrochera |
/for-/ | forʌm | fotʌʌ | Il pilera pour enlever le son |
/har-/ | haram | hataa | Il touchera |
/hɔr-/ | hɔram | hɔtaa | Il saura |
/hor-/ | horʌm | hotʌʌ | Il fera l’amour à… |
/jɩ̃r-/ | jɩ̃ram | jɩ̃taa | Il se bloquera |
/kãr-/ | kãram | kãtaa | déchirera |
/mɩ̃r-/ | mɩ̃rãm | mɩtaa | Il se mouchera |
/mĩr-/ | mĩrʌm | mĩtʌʌ | Il est immergé |
/sar-/ | saram | sataa | Il fera mévente, il sera en excès |
/ver-/ | verʌm | vetʌʌ | Il élèvera |
/yɩr-/ | yɩram | yɩtaa | Il appellera |
/zer-/ | zerʌm | zetʌʌ | Il s’adossera, plantera |
1.2.1.2.1. La durée dans le passé
L’inaccompli 1 peut également être utilisé dans une action qui dure dans le passé. Dans ce cas, la précision du temps est donnée par la particule (part.) da placée entre le sujet et le prédicatif verbal.
Də da dir-aa « il mangeait »
//Il h. / particule passé / manger+inac.1//
Də da bɛl-aa « il venait. »
///Il h. / particule passé / venir+inac.1//
Də da wɔl -aa Ouagadougou « il travaillait à Ouagadougou »
//Il h. /particule.passé / travailler+inac1 /N.propre loc.//
1.2.1.2.2. La focalisation (inaccompli 2)
La topicalisation est la mise en relief (en emphase) d’un élément de l’énoncé, d’un événement. D’un point de vue communicationnel, on opère une focalisation de l’information nouvelle. En koromfe d’Arbinda, l’élément informationnel sur lequel on se focalise se met en tête de phrase. C’est donc en même temps une topicalisation. Mais nous nous retenons du débat autour de la différence qu’il existe entre les deux, dans la mesure où « une même opération peut être réalisée par des moyens différents, et que, à l’inverse, une même construction peut correspondre à des opérations différentes, entre langues ou états de langues, mais aussi dans une même langue » (Prevost, 2003, p. 102).
L’inaccompli 2 est utilisé lorsqu’il y a une topicalisation de l’objet ou du circonstant, c’est-à-dire, lorsque l’objet ou le circonstant sont placés en tête de phrase.
Exemple :
A saga nɩ də yag-ʋ: « C’est en ville qu’il va. »
/ det./ville sg./loc./il / aller+inac.2/
A saga nɩ də yag-ʋ wote : « C’est en ville qu’il va (ira) demain. »
/ det./ville sg./loc./il / aller+inac2/demain/
wote də yag-ʋ a saga nɩ: « C’est demain qu’il va (ira) en ville. »
/demain/il / aller+inac2./ det. /ville sg./loc./
Exemple :
də diraa a fɛ̃ « il mange du tô. »
// il h. / mange+inac.1/ art. tô /
a fɛ̃ də di-ri « C’est le tô qu’il mange. »
/ art. tô / / il / mange+inac.2/
də wɔlaa a sarwiisi : « Il travaille ; il est du service public. »
// il h./travailler+inac.1 / det. / service //
a sarwiisi də wɔl-ʋ « C’est du service public qu’il est. »
// det. /service / Il h. / travailler+inac.2 //
Il est formé par l’emploi de la modalité verbale [-(V)rV] suffixé au verbe. V finale étant une voyelle fermée qui s’harmonise avec la voyelle de la syllabe précédente. La consonne [-r-] aussi subit des modifications phonologiques l’amenant à être une nasale ou une latérale. Ce morphème marqueur a la valeur sémantique du présent sans idée de durée contrairement à ce que Mr Rennison affirme pour la variante de l’Ouest, mais avec possibilité de répétition. C’est le lieu de dire que quand le linguiste Rennison parle de l’extension de la base verbale par la suffixation de /-f/ ou de /-d/ pour l’obtention des formes « progressive » et de « durée » (Rennison, 1997, p.173), il y a des mots dont la différence entre les deux variantes est simplement phonologique, mais il y a aussi des lexies à morphologie totalement différente quand bien même elles ont les mêmes signifiés.
1.2.1.3.Le prédicatif verbal des bases verbales de structure CV
La prédicatif verbal de l’inaccompli 2 des bases verbales de structures CV se réalise [-rɩ]. [-ri]. [-rʋ] ou [-ru] en fonction de l’aperture la voyelle du radicale.
Si la voyelle de base est [-e-] ou [-i-], le prédicatif verbal de l’inaccompli 2 se réalise [-ri] ou [-rɩ]. Si elle est postérieure, il y a une assimilation progressive totale.
Exemple :
Base lexématique | Infinitif du verbe | Inaccompli 1 | Sens |
/ce/ | ceʌm | də ciri | Il deviendra fou |
/le/ | leam | də liri | Il oubliera |
/se/ | seam | də siri | Il maudira |
/dɩ/ | dɩam | də dɩrɩ | Il mangera |
/ɲɩ/ | ɲɩam | də ɲɩɩrɩ̃ | Il s’allumera |
/du/ | duʌm | də duru | Il calcinera, brulera |
/fu/ | fuʌm | də furu | Il trainera à terre |
/kʋ / | kʋam | də kʋrʋ | Il tuera |
/sã/ | sãam | də sãrɩ̃ | Il sautera |
/ta/ | taam | də tarɩ | Il tirera (coup de feu) |
/tã/ | tãam | də tãrɩ̃ | Il niera |
/yʋ/ | yʋam | də yʋrʋ | Il volera |
/zu/ | zuʌm | də zuru | Il entrera |
Le suffixe -r- est en réalité la modalité verbale de l’inaccompli. Si l’énoncé à l’inaccompli est sans focalisation, on ajoute à cette vibrante la voyelle allongée [-aa]. Si un élément dans l’énoncé est focalisé (l’objet ou le circonstant), on ajoute alors une voyelle autre que la voyelle longue [-aa], et ce, en fonction de la voyelle de la base verbale. Cette voyelle est :
- ɩ si la voyelle de la base est ɩ, ɛ ou a ou leurs équivalentes nasales
- i si la voyelle de la base est i, e ou ʌ ou leurs équivalentes nasales
- ʋ si la base est ɛ (bases à structure CVCC), ʋ ou ɔ
- u si la base est e (bases à structure cvcc), a, u ou o. Cette u subit une sorte d’apocope après une latérale ou une nasale.
Les verbes suivants en font l’exception : baptrʋ, cɛptrʋ cɛbrʋ cɛptrʋ cɩptrʋ, haɩfʋ, kãmatrʋ, kãmʋ, sɛbɔlʋ, sɩ̃mgrʋ[2]. Pour les bases verbales de structure CVC, CVCC et CVCCVC, le prédicatif verbal de l’inaccompli 2 se réalise [-rʋ] ou (-ru] si la dernière consonne est autre qu’une latérale. La consonne finale C de la base peut être b, c, k, g, f, t, s, y.
Nous reprenons dans le tableau suivant, la forme de l’inaccompli 2 conformément à la voyelle de la base verbale. Il faut comprendre que, comme nous l’avons déjà signalé, cette forme s’utilise avec une focalisation portée soit sur un élément quelconque de la phrase.
Base lexématique | Infinitif | Inaccompli 2 | Sens |
/dʋg/ | dʋgam | də dʋgrʋ | Il laisse |
/fɔg/ | fɔgam | də fɔgrʋ | Il fait sortir, il déplace des briques |
/fog/ | fogʌm | də fogru | Il sue |
/hʋ̃s/ | hʋ̃sam | də hʋ̃srʋ | Il nettoie |
/jɔk/ | jɔkam | gu jɔkrʋ | Il (n.hum) picore, il becquette |
/sɔg/ | sɔgam | dəs sɔgrʋ | Il boucle |
/tɔs/ | tɔsam | də tɔsrʋ | Il ramasse (grains) |
/dʋbt/ | dʋbtam | də dʋbtrʋ | Il arrache |
/bɩrg/ | bɩrgam | də bɩrgrɩ | Il fait mûrir |
/birg/ | birgʌm | də birgri | Il noircit |
/bɔws/ | bɔwsam | də bɔwsrʋ | Il guérit |
/cɔpt/ | cɔptam | də cɔptrʋ | Il picote |
/sumbot-/ | sumbotʌm | də sumbotru | Il découvre, ouvre |
/cept/ | ceptʌm | də ceptru | Il rase (tête) |
/cɛndg-/ | cɛndgam | də cɛndgrɩ | Il finit, termine |
/boɲs/ | boɲsʌm | də boɲsru | Il aime |
/daal-/ | daalam | də daalɩ | Il attendra |
/dɩɩl-/ | dɩɩlam | də dɩɩlɩ | Il nourrira |
Le prédicatif verbal des bases verbales de structure CVV, CVC, CVCC et CVCCVC, lorsque la dernière consonne est une latérale, obéit à la règle de réalisation du prédicatif verbal des bases verbales de structure CV.
1.2.2. Les formes verbales négatives
On distingue deux sortes de négations, la négation interne et la négation externe dans les langues africaines. « Dans le premier cas, un affixe verbal est présent dans le verbe. Dans le second cas, une particule négative est placée à côté ou à la place de l’auxiliaire, ou encore à la fin du syntagme verbal, ou les deux simultanément » (Heine & Nurse, 2004, p. 244). Par comparaison, des linguistes ont montré que « n-, b-, k-, m-, t-» sont des affixes du négatif dérivés de l’ancien égyptien que l’on retrouve dans les langues soudanaises, bantoues et un peu partout. Par exemple, ka est « la forme la plus répandue au Congo ». Il est utilisé dans la langue Baayansi du Kwilu « comme préfixe à l’impératif et dialectalement dans d’autres formes » (Hulstaert, 1950, p. 19). En koromfe d’Arbinda, la négation est marquée par des particules négatives dont les formes dépendent du contexte. Ces particules sont de structure CV. Ce sont : ba, ka, do (ou doo).
1.2.2.1.1. L’expression de la négation
Selon qu’elle touche le verbe ou un autre élément, la négation est différemment exprimée à l’accompli, à l’inaccompli et à l’impératif (injonction).
Lorsque la négation touche le verbe à l’accompli tout comme à l’inaccompli, la particule négative prend la forme ba « ne pas ».
Exemple :
Də bɛlɩ « il vient »
Də ba bɛla « il ne vient pas »
Də dɩrɩ « il mange »
Də ba dɩra « il ne mange pas »
Par contre, pour l’injonctif (impératif), la particule négative employée est ka.
Pour les énoncés dont la focalisation est faite sur le terme jouant le rôle de sujet, la négation est exprimée par doo.
Də bɛlɩ « il vient »
Də doo bɛlɩ « Ce n’est pas lui qui vient »
Də bɛlaa wote « il vient demain »
Də doo bɛlɩ wote « Ce n’est pas lui qui vient demain »
1.2.2.1.2. La forme amalgamée de la négation
L’amalgame est issu d’un processus phonologique entre le pronom personnel de structure CV et la particule négative ba. Il procède au remplacement de l’attaque syllabique de la particule négative [b-] par celle du pronom de structure CV [d-, g-, n-] ou [b-] et à l’allongement de la voyelle de cette dernière. Ce qui veut dire que les pronoms personnels de structure V ou C ne sont pas concernés. Ce sont donc les pronoms exprimés par la nasale n « tu » et la voyelle ʋ « nous » qui sont exclus.
Exemple :
Dɩ ba li – ra dɩ bɔtɔ « il n’oubliera pas son sac »
//Del. Sg./neg./oublier + inacc / det.sg./sac sg. //
Daa li – ra dɩ bɔtɔ « il n’oubliera pas son sac »
// Del. Sg. / oublier + inacc / det.sg./sac sg. //
On a donc C1V1 +C2V2 = C1 V2V2 avec les correspondances suivantes :
mʋ+ ba = maa
N + ba = n + ba
də+ ba = daa
gʋ+ ba = gaa
ga+ ba = gaa
ʋ+ ba = ʋ ba
na+ ba = naa
ba+ ba = baa
Pour conjuguer un verbe en :
L’habituel indique que le procès exprimé par le verbe se déroule habituellement. En koromfe c’est encore la modalité verbale [-aa] qui est utilisée pour exprimer l’habituel. Mais cette forme seulement ne suffit pas, d’autres termes comme [kʌ̃] « chaque » servent de précision de l’habitude.
Exemple :
Wotre kã, də hubolaa la də gondo « chaque jour, il se lave avant de partir »
//Jour sg./ chaque/ il h./laver+inac1/conj./il h. / partir+ imp. //
On retient donc qu’il n’y a pas de modification morphologique du verbe en fonction du genre ou du nombre se rapportant au sujet. Néanmoins, une modification est constatée dans le passage d’un aspect à un autre.
L’étude de la morphologie verbale permettra à termes, de fournir des connaissances linguistiques pouvant servir non seulement à la graphie mais aussi à la didactique ce cette langue.
Conclusion
Dans ce travail sur la morphologie verbal en koromfe d’Arbinda, nous avons fait ressortir au niveau de la prédication verbale, l’inventaire des structures et les modalités verbales qui les accompagnent aussi bien à l’aspect accompli, à l’inaccompli 1 et 2 et à l’injonctif. De manière générale, la modalité verbale de l’inaccompli 1 est [-raa] ou [-rʌʌ] pour les bases verbales de structures syllabiques ouverte CV, ou fermée comme CVC, CVCC et CVCCVC lorsque la dernière consonne est une occlusive b, c, k, g, f, t, une fricative s ou une semi-voyelle y. Mais si elle est une latérale l, la modalité verbale est [-aa] pour les bases verbales de structure CVVC, CVCC et géminée si la base est de structure CVC. Lorsque la dernière consonne de la base verbale est une nasale alvéolaire [-n] ou une vibrante [-t], la modalité de l’inaccompli 1 se réalise généralement [-taa] avec une sorte de fortition de l’occlusive nasale alvéolaire. L’inaccompli 2 est la modalité réservée pour les verbes à l’inaccompli dont le circonstant est focalisé. Elle est de forme /-rV/ pour les bases verbales à structure syllabique CV et de forme /-V/ pour toutes les autres structures. Dans tous les cas, la voyelle /-V/ dépend de la nature des voyelles de cette base. Elle se réalise [ɩ] ou [i] si les voyelles de la base sont antérieures lâches ou tendues. Elle se réalise [ʋ] ou [u] si les voyelles de la base sont postérieures lâches ou tendues. Au niveau de l’expression de la négation, on retient le choix qui est fait des particules négatives ka pour le mode impératif, ba pour la négation portée sur le verbe et do lorsqu’elle porte sur un élément autre que le verbe. Lorsqu’elle porte sur le verbe, on note une réalisation de l’amalgame issu du pronom et de la particule négative ba. Tout comme dans la variante de l’Ouest, le verbe ne varie pas en personne et en nombre. Mais des différences sont observées à l’inaccompli et à l’impératif. Ces différences, la prédication non verbale et les éléments morphosyntaxiques feront l’objet d’un prochain article.
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[1] n.hum. = non humain
[2] On constate que la voyelle de la base verbale est suivie soit d’une bilabial (-p, -b, -m) soit d’une labiodentale sourde (-f)
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