Dans les décombres d’un village qui a tout perdu sauf l’espoir !
On est en fin d’année 2023. Le soleil s’incline pour rejoindre sa loge avec tendresse dans une bourgade de l’Ouest au Burkina Faso. Mais le diable était aux commandes. De temps à autre, des crépitements d’armes, des cris, des pleurs, des grincements de dents. Pire, derniers soupirs des villageois fauchés. Après le passage rapide des sanguinaires, les flammes ont remplacé les derniers rais au crépuscule. Et ces cris qui s’éteignent dans les buissons vers un horizon de refuge. C’est la tragédie d’un village du pays San qui a subi le courroux des terroristes. Constat, émoi, effroi, témoignages… Récit d’un village ruiné !
Il est environ 7 heures, ce jour de mi-janvier 2024, quand nous traversons les petites collines, pour entrer dans un village fantôme. Auparavant des milliers d’âmes cohabitaient en toute harmonie dans ce beau village en pays San.
Dès l’entrée, sur des petites élévations de terrain de forme arrondie, le soleil dardait ses beaux rayons pour embellir le coucher et le réveil des villageois. Mais ce n’est que le passé. Le sommeil n’est plus paisible dans ce village et ses alentours. La terreur est passée ici. La grande faucheuse aussi. Désormais, tout n’est que tristes souvenirs.
Il y a à peine un mois que ce village a subi le passage répété des « hommes de la brousse« . L’entrée est timide, les coqs sont devenus muets. Les chèvres ne bêlent pas. Les ânes ne braient pas non plus. Le traumatisme a rendu le village aphone. Les kiosques sont vides. Pas de musique. La mosquée est certes intacte, mais le muézin n’appelle pas à la prière. Désormais, on invoque Dieu dans le silence.
« Des toits ruinés par les flammes »
En face, une chapelle dressée n’est que l’ombre d’elle-même. Ni brebis ni berger. Les tambours de louange dorment sous la poussière dans un calme sournois. Quelques témoins, ces animaux qui se reposent sous l’ombre à côté, comme en train de ruminer le douloureux souvenir.
Les impacts de balles s’expriment partout. Et qui est cet homme arrêté là ? C’est un boutiquier habitant. En face, son commerce peint en impacts de balles est réduit en échoppe. Le mur défoncé, les marchandises fondues sous la chaleur des flammes, des tôles en ruine. Quatre bouteilles de gaz dont trois de 12 kilogrammes et une de six kilogrammes, toutes chargées étaient dans la boutique. De quoi alimenter les flammes à souhait.
C’est une boutique avec un espace de rafraichissement et un point de transaction monétaire intégrés. Aujourd’hui, c’est un spectacle désastreux qui s’offre aux regards. Des réfrigérateurs enfumés, défoncés, joncent la chaussée. C’est ce qui reste après le passage des « terros« .
Il y a pire dans le village
« Ils sont venus à la tombée de la nuit, ils tiraient sur tout ce qu’ils voyaient », nous chuchote cet habitant qui est revenu malgré lui. « À leur arrivée, il y avait mes enfants dans la boutique qui ont pu contourner pour se cacher. Grâce à Dieu, ils ont eu la vie sauve », rend-t-il grâce.
Ce lieu, considéré comme un pôle économique du village a été visé par les malfaiteurs dans leur funeste ambition de réduire tout au néant. Leur but : asphyxier et rendre invivable la cité. Pour le propriétaire de la boutique lui-même, sa seule chance, le destin, peut-on le dire, l’avait emmené en déplacement en province.
Près d’un demi million en liquidité était dans la boutique pour les transactions. « L’argent issu de la vente des articles de boutiques se chiffre à plus de 150 000 F CFA », marmotte le boutiquier. Tout a été pillé et brulé. Est-ce que les dégâts se limitaient à cet endroit ? L’homme s’écrie : « Il y a pire dans le village. D’ailleurs, ils ont tué plus de deux dizaines de personnes ici ».
Après l’incursion, le village s’est vidé dans la même nuit. En repli, nous faisons un détour sur une piste au contre-bas du bitume, pour aboutir sur un vieil homme dans une chaise, assis au milieu des ruines. Les yeux rivés sur les greniers réduits en cendre et en terre.
Le regard vide, la voix lugubre pleine de tremolos. Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est d’un geste de main qu’il nous répond, pour signifier : constatez vous-même. Ces brigands ont pilonné le village. Leur mode d’action, c’est de mettre le feu à tout ce qui est inflammable, à commencer par les greniers.
« Il y avait du mil entassé ici, tout est parti »
Ils sont une dizaine, les membres de cette famille à retourner. Sinon ils sont une quarantaine dans la cour. Le septuagénaire est désemparé face à la cruauté des faits. Une dizaine de ses greniers sont brulés et détruits avec des céréales. Le décor laisse voir un scénario qui consiste pour ces brigands à asperger de l’essence sous les greniers avant d’y mettre le feu. Une fois les bois qui soutiennent brulent, le comble s’écroule et les flammes envahissent les céréales.
Une jeune dame courageuse nous guide à travers les concessions. Le vieil homme nous suit également. Dans la même grande cour, plus des 2/3 des maisons ont été brulées. Il faut noter que c’est à la période des récoltes lorsque les sans foi ni loi s’infiltraient dans le village.
Les céréales sont entassées ci et là dans les maisons. Et les terroristes ont tour à tour vandalisé les entrées pour mettre le feu aux vivres des populations. Chaque fenêtre porte les stigmates des flammes et chaque toit et chaque mur porte les reflets de la violence.
Nous entrons dans une première maison, le soleil nous accueille de par le toit. Les flammes l’ont emporté. Le mur sombre témoigne des faits. « Il y avait du mil entassé ici, tout est parti », confie la jeune dame.
« Voilà tout ce qui reste de ma moto. C’est fondu carrément »
Nous entrons dans un second logis, le même spectacle. Le mur noirci reflète que de sombres souvenirs. Des photos de jeunesse et d’antan du vieil homme y sont accrochées. Impossible de distinguer le cadre du mur car tout est peint en noir.
Un grand miroir tout fumé qui ne peut mirer sa propre ombre est accroché. Là, à l’entrée droite de la chambre, une paire de souliers difficile à définir la couleur. Dans la chambrette, pareille. Des débris de vêtements par terre.
Au mur, c’est des restes de vêtements à moitié brulés. Des boubous en pagne Faso Dan Fani à moitié calciné. Ce sont des habits qui faisaient les beaux jours du vieil homme. Ni mot ni geste, le vieillard est couvert d’anxiété.
Plus loin, les carapaces de sa moto longent un mur. « Voilà tout ce qui reste de ma moto. C’est fondu carrément », s’indigne-t-il. C’est une moto méconnaissable car rien de plastique, puisque, la fureur des flammes n’a rien épargné, en témoignent les jantes du cycle complètement fondu.
Heureusement dans cette famille, les tueurs n’ont trouvé personne. Ils étaient déjà partis en fuite. « Mais ils ont tué deux de mes petits frères de l’autre coté dans une boutique. Après leur départ, on les cherchait, croyant qu’ils s’étaient adossés quelque part, mais on a trouvé les deux corps fauchés dans la boutique », dit-elle. A souligner que les terroristes ont visité ce village plus d’une fois.
Après les premiers dégâts qui ont visé les villageois et leurs biens, les terroristes sont revenus à la charge contre les forces combattantes désormais stationnées dans le village. « Le jour où nous sommes revenus, c’est le lendemain très tôt à 5 heures, on s’est réveillé sous les bruits des armes. Ils ont visé la position des FDS et VDP ». Mais l’attaque a été repoussée.
Les impacts sont bien visibles sur la position des forces. Aussi, « ils ont emporté beaucoup d’animaux, sinon d’habitude c’est de ce côté que les animaux broutent », indique le paysan, la main levée vers un espace.
Plus d’une dizaine de greniers réduits en terre
Derrière les maisons, nous constatons, une masse de terre entassée. Ce n’est pas un Caterpillar qui est passé. Là, c’est plus d’une dizaine de greniers qui sont réduits en terre. L’on peut aussi apercevoir les fenêtres et des portes teintées de fumée à travers le quartier. Elles ont toutes reçus la visite des malfaiteurs.
Interrogez ceux qui ont perdu leurs proches seraient de remuer le couteau dans la plaie. De peur de réveiller ce sombre souvenir dont visiblement d’autres en portent la psychose. On s’en passe. C’est d’ailleurs une aventure risquée. C’est une maladie d’yeux et non d’oreilles.
Pour ces braves cultivateurs, ils ont tout perdu sauf l’espoir. Cependant, des interrogations restent sans réponses. « Si tu sais que tu es en conflit avec quelqu’un avant et qu’il s’attaque à toi, là, on comprend. Mais nous, nous avons fait quoi ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? On leur a fait quoi ? On va quitter ici pour aller où ?«
Mais ils ont leur intuition. Ils ont leur analyse de la situation. « Ce qui est sûr, ce sont des gens qui connaissent bien le village. Ils ont ciblé d’abord les maisons et les greniers qui contiennent de la céréale. Également ils se sont attaqués aux domiciles des parents des VDP et FDS ».
« La résilience dans l’adversité »
Même si la peur plane toujours sur le village et ses environnants, l’espoir reste permis. Ces paysans restent fortement attachés à leur terre natale, la terre de leurs ancêtres. Le vieil homme que nous avons croisé est revenu avec quelques membres de sa famille pour s’installer. D’ailleurs d’autres villageois ont suivi l’exemple. Et ce village est réputé dans la culture maraichère.
Armés de courage et déterminés à rester et à consolider ce village reconquis, des pépinières sont en gestation dans des jardins. Comme le boutiquier, très déterminé, il fait pied et main pour maintenir sa boutique afin de satisfaire le besoin en articles divers.
Les villageois tressent le courage pour cultiver la vie. Des commis de l’état accompagnent la dynamique. Un agent technique d’agriculture fait des va-et-vient entre la province et le village pour galvaniser les villageois à revenir et encourage ceux déjà revenus à commencer la production maraichère.
« Il n’y a pas de raison de se décourager. Nous apportons de la semence et des intrants subventionnés par l’État pour distribuer gratuitement à ceux qui sont revenus afin qu’ils puissent commencer leur production », nous confie le technicien agricole au téléphone.
Au CSPS du village, des agents de santé continuent par intermittence d’administrer des soins avec les moyens de bord. Mais ils sont dans un manque criard de produits pharmaceutiques, car, « nous avions commandé des produits de 1 300 000 F CFA qui nous a été livrés rien que la veille de la première attaque. Ils ont vidé notre dépôt partir avec », nous relate la gérante de la pharmacie. Elle nous informe également que la pompe d’eau du dispensaire a été gâtée par les assaillants.
Seule ce jour dans le centre de santé avec quelque malades, elle attend le ravitaillement de leurs dépôts pharmaceutiques et souhaite la réparation de leurs sources d’eau. À la sortie de ce village, des vergers de manguiers et des rizières silencieuses se côtoient. Quelques bergers solitaires chassent les animaux vers les points d’eau. C’est un écovillage qui oppose la résilience face à l’adversité.
Nous sommes sur les montagnes qui offrent des vues uniques, des paysages spectaculaires sous des cieux profonds… Les forces combattantes, une Brigade d’Intervention et une Brigade d’Assistance, veillent au grain avec la plus grande discrétion, dans un ferme engagement. Le seul credo, ramener la paix coûte que coûte, vaille que vaille. Et c’est bien possible ! D’ailleurs, les forces combattantes sont sur la bonne voie.
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NB : Pour des raisons sécuritaires, les identités des intervenants, les noms des localités ont été masqués
Akim KY
Burkina 24
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Félicitations à notre confrère pour ce reportage vivant et à haut risque. j’avais souhaité lire les infrastructures d’urgence (école, csps, forages) à réhabiliter afin de faciliter le relèvement des populations retournées. bon courage à la Rédaction