Cinéma : « L’industrie en Afrique francophone n’est pas encore comme à Hollywood, mais… » (Kadhy Touré, Égérie Sotigui 2024)
Kadhy Touré, actrice, productrice, présentatrice télé, cheffe d’entreprise et auteure ivoirienne, est l’Égérie de la 9e édition des Sotigui Awards. Son parcours, sa vision du cinéma, son combat pour la femme, à travers cette interview accordée à Burkina 24, le 14 novembre 2024 à Ouagadougou.
Burkina 24 : Qu’est-ce que ça représente pour vous d’être l’égérie de la 9e édition des Sotigui Awards ?
Kadhy Touré : Je me sens honorée. Je suis ravie, parce que je sais que non seulement c’est un événement prestigieux, c’est un événement qui donne la place au cinéma africain. C’est très important, en plus, car, c’est la première fois que les Sotigui prennent une égérie hors du Burkina Faso.
Et donc je suis cette première-là. Je sais qu’il y avait Issaka Sawadogo et il y avait Leïla Tall et maintenant Kadhy Touré de la Côte d’Ivoire. Donc c’est un plaisir, c’est un double honneur et je suis ravie de revenir encore dans ce beau pays que j’aime tant.
Burkina 24 : L’édition 2024 se penche sur le barème salarial des acteurs comédiens du cinéma en Afrique, votre commentaire !
Kadhy Touré : Je pense qu’il était temps qu’on en parle. Même si je ne suis pas sûre qu’on aura forcément un barème très respecté. Parce qu’il faut qu’on se le dise, l’industrie en Afrique francophone n’est pas encore comme à Hollywood où on peut avoir de vrais barèmes clairs. Ici, on est encore dans certaines négociations, mais je suis d’accord qu’on ait un petit SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) par exemple.
Comme le SMIG en Côte d’Ivoire, et que tant qu’un producteur n’a pas ce montant-là, il ne peut pas au moins prendre un acteur. Parce que les acteurs ont besoin de vivre, ils ont besoin de s’habiller. Nous, les acteurs, on fait rêver. Il faut que l’acteur ait les moyens de pouvoir s’habiller. Donc il doit avoir quand même un minimum en deçà duquel un producteur ne peut tourner.
Le fait de mettre les acteurs au cœur de cette neuvième édition des Sotigui Awards, les acteurs en ont besoin. C’est vrai que pour faire un film, il faut beaucoup, il faut la technique, il faut le réalisateur, mais ce sont les acteurs qu’on voit. Je pense que c’est bien de tabler dessus pour que les acteurs puissent vivre de leur art.
Burkina 24 : Votre regard sur le cinéma africain ?
Kadhy Touré : Moi, je pense qu’on est en plein essor, surtout en Afrique francophone en ce moment. Et c’est ce que j’essaie de faire avec mes productions récemment, avec Marabout Chéri, où on a fait une diffusion dans les 12 pays de l’Afrique francophone simultanément, parce qu’on a compris que le Nigéria, par exemple, leur force, c’est leur population.
Nous n’étant pas si nombreux et parlant tous la même langue, c’est bien qu’on puisse fédérer et faire des productions en même temps. Maintenant c’est ce qu’on fait et c’est bien accueilli. Moi, j’ai fait autant, tellement d’entrées ici à Ouaga, tellement d’entrées au Bénin, au Togo, au Sénégal. Donc je pense qu’on est en train de tenir le bon bout.
Burkina 24 : Dans le 7e art, vous avez raflé beaucoup de prix. Quel est votre secret ?
Kadhy Touré : Je pense qu’il n’y a pas vraiment de grand secret. Il y a surtout une personne passionnée, une personne déterminée, une personne qui s’entoure des personnes qui ont aussi la même vision qu’elle.
Je dis toujours qu’il est important de s’entourer des personnes qui voient aussi loin que toi, des personnes qui n’ont pas peur de travailler, des personnes qui dépensent autant d’énergie, sinon plus, que toi, des personnes qui, lorsque tu seras toi-même fatigué, te diront « Mais qu’est-ce que tu fous ? Lève-toi, on a du boulot ! ». Pas des personnes qui n’ont pas envie de rêver, voilà. Et moi, je m’entoure de ces personnes-là, qui mangent du lion au petit-déjeuner. C’est comme ça, on change les choses.
Burkina 24 : Animatrice, actrice, promotrice, cheffe d’entreprise, comment arrivez-vous à concilier toutes ces casquettes ?
Kadhy Touré : J’ai une bonne équipe, que ce soit dans le cinéma, vous voyez que je suis aussi avec d’autres personnes qui sont producteurs, qui sont réalisateurs, avec qui je n’ai pas de problème d’ego, qui travaillent, qui ont envie de faire bouger les choses. Donc, du coup, quand je suis sur un projet, chacun a sa part à jouer. Et moi, je peux me concentrer sur mon rôle d’actrice parce que j’ai aussi des réalisateurs, j’ai aussi des producteurs comme moi, dans l’équipe, qui ont fait aussi de gros succès.
Que ce soit à la télévision, j’ai une très belle équipe. Elle ne me facilite pas toujours la tâche, mais c’est une équipe magnifique qui a aussi envie de bosser, qui adore ce qu’elles font. Donc, ça va. Dans ma société de production »Brown Angel », j’ai une équipe aussi que je forme chaque fois, mais je prends vraiment des gens qui ont envie de travailler.
Je ne peux pas faire tout toute seule. Et c’est pour cela que le dernier prix que j’ai reçu au Primud, je l’ai dit, je le dédie à mon équipe. Parce que sans mon équipe, je ne peux pas. Voilà, c’est mon équipe, j’ai une bonne équipe.
Burkina 24 : Qui est la Kadhy Touré d’hier ?
Kadhy Touré : Hier, Kadhy Touré, c’est une fille de Bouaké. En fait, Kadhy Touré, c’est une fille qui rêvait, depuis l’âge de 10 ans, d’être actrice de cinéma dans un contexte difficile. Culturellement, c’était quasiment impossible parce que tu es à l’intérieur du pays, tu n’es même pas dans la capitale et tu oses rêver avec un père militaire strict, une mère qui veut que sa fille soit enseignante.
Enfin, la vie normale, je veux dire, on ne pouvait pas oser rêver autant. Mais je me suis toujours dit, si d’autres personnes arrivent à le faire, je dois pouvoir le faire. Et je me suis concentrée sur moi-même, j’ai développé mes aptitudes et puis voilà. Donc, c’est cette jeune fille-là de Bouaké qui marchait pour aller au lycée et tout ça, mais qui avait un rêve et qui ne voulait pas le perdre.
Burkina 24 : Peut-on dire que ce rêve est réalisé aujourd’hui ?
Kadhy Touré : Ah oui, je l’ai réalisé. En fait, moi dans la vie, je dis qu’il faut être reconnaissant. C’est-à-dire, même si tu n’es pas encore au stade où tu as 10 000 villas ou tu as 15 000 immeubles, mais le simple fait de passer d’un point A à un point B, c’est énorme. Il y a des gens qui n’arrivent pas à le faire.
C’est beaucoup de coups que tu as essuyés, c’est beaucoup de frustrations, c’est beaucoup de choses. Donc, tu dois te célébrer, tu dois célébrer chaque victoire et c’est ce qui te pousse à aller de l’avant. Donc oui, je l’ai réalisé. Oui, j’ai l’intention d’aller encore plus loin, Inch’Allah, mais je suis déjà reconnaissante pour ce que Dieu m’a permis d’être aujourd’hui.
Burkina 24 : Quel est votre message à ceux qui s’identifier a vous ?
Kadhy Touré : C’est vrai que je dis distinguée. Moi, j’appelle mes fans des distingués. C’est déjà un appel pour que ces personnes-là croient en elles-mêmes, pour que ces personnes-là aient des rêves parce que ces personnes-là auront des distinctions quand elles vont y croire.
Donc, c’est pour ça que je les appelle déjà des distingués parce que souvent, pour avoir ce que tu veux, il faut déjà te mettre dans les conditions de cette chose pour que l’univers t’envoie ça. Ce que moi, je peux leur dire, c’est qu’on peut vivre la vie qu’on souhaite vivre. Personne n’est né pour être derrière ou pour être à la traîne et tout ça, non.
On peut vivre exactement, peu importe de là où on vient, peu importe le pays de là où on vient, on peut le faire. Mais ça dépend de nous. Ce n’est pas des paroles lointaines pour faire genre non. J’en suis la preuve vivante. J’ai fait des choses, j’ai fait des fugues pour réaliser mes rêves. J’ai fait plein de choses, mais une chose est sûre, j’y suis arrivée. Donc, tout est une question de volonté, de détermination, mais surtout de prise de conscience.
Burkina 24 : Aujourd’hui vous amorcez une carrière de réalisatrice, quelles sont vos ambitions ?
Kadhy Touré : Honnêtement, moi, je ne me compare pas à qui que ce soit ou à quoi que ce soit. Moi, tant que ce que je fais me rend heureuse, je suis épanouie. J’arrive à drainer le monde en salle de cinéma. J’arrive à gagner mes prix. C’est le plus important, parce que je suis en compétition avec moi-même. Je suis en compétition avec celle que j’étais hier, celle que je serai ensuite. Donc, je ne me vise pas à certaines.
Au début, quand on était plus jeune, on se disait oui, je veux être à Hollywood. Non, maintenant, je me rends compte que c’est Hollywood qui vient te chercher. Parce que si tu vas là-bas, tu vas aller galérer parmi les milliers d’acteurs qui sont là-bas aussi, qui n’ont pas encore pu s’en sortir. Donc, mieux vaut être la reine ici pour qu’on vienne te chercher.
C’est de la Côte d’Ivoire, je suis allée tourner au Canada. J’étais la seule noire dans un film anglais, totalement en anglais. Donc, je veux dire, il faut briller là où tu es. Il faut changer ton monde et ensuite, le monde viendra à toi. Après, comme je l’ai dit, je pense que vous devez comprendre ce que j’ai dit. Je ne suis pas celle qui va vouloir aller à voir Festival de Cannes.
Non, je suis celle qui veut faire plaisir à mon public. Mon public aime les films commerciaux. Ils aiment les films où on rit. Et ce n’est pas forcément ce genre de film qui sera primé au Festival de Cannes. Ça ne m’intéresse pas. Je ne veux que mon public. Là, on a fait plus de 80 000 entrées avec Marabout Chéri. C’est le plus important. Mon prochain projet, on fait 100 000 entrées. C’est le plus important pour moi.
Parce que les films primés, souvent, on ne les voit même pas en salle. Souvent, il n’y a pas de monde même qui va regarder. Chacun a son couloir. Il y a d’autres qui sont spécialisés dans les films d’auteurs, par exemple. Moi, ce n’est pas mon truc. Moi, c’est des films où on fait les rangs jusqu’à et puis les gens sont contents.
Quand ils rentrent à la maison, ils ont appris une leçon. Et puis, on gagne nos prix, mais le plus important pour moi, ce n’est pas le prix, mais c’est de satisfaire mon public. Ce que mon public aime, c’est ce que je lui donne.
Burkina 24 : Quel est le combat de Kadhy Touré pour la femme ?
Kadhy Touré : Moi, je milite beaucoup pour l’épanouissement personnel, pour le développement personnel, pour l’optimisation personnelle. Vous savez, j’insiste beaucoup sur le personnel. Pas parce que c’est égoïste, mais parce que quand une personne n’est pas épanouie à l’intérieur, elle ne peut rien donner à l’extérieur. On perçoit qui tu es dès qu’on te voit.
Si on voit Khady Touré, qu’on l’admire, c’est parce qu’à l’intérieur, je suis en paix avec moi-même. Je suis heureuse avec moi-même. J’ai ce que je voulais dans ma vie. Et quand tu as ça, tu peux enfin bien travailler, tu peux enfin briller, tu peux aller au plus haut, jusqu’où tu veux.
Si j’ai besoin de me battre pour quelque chose, c’est pour que les femmes se développent personnellement. Voilà, pour qu’elles soient les meilleures versions d’elles-mêmes. Et ensemble, on va changer le monde.
Burkina 24 : Il sera question de la dédicace de votre premier livre en marge des Sotigui Awards, peut-on savoir de quoi traitre l’œuvre ?
Kadhy Touré : Dans le livre « Transforme tes rêves en succès », c’est mon histoire que je raconte. Je raconte comment j’ai commencé au début, les galères que j’ai eues, ma spiritualité, comment je l’ai découverte, parce qu’il y a Dieu dedans. C’est Dieu qui fait tout ça en réalité. Il nous donne le pouvoir d’être ce qu’on veut, mais il faut qu’on l’écoute.
Il faut qu’on ait le temps de percevoir les signes quand ils nous parlent. Il faut qu’on sache que dans toutes les galères, parce que je raconte certaines galères que j’ai vécues, où je n’avais pas d’argent, où c’était compliqué, j’étais tentée de faire certaines choses. Et c’est là que tu entends la voix du Seigneur. Donc, je parle en fait de mon histoire pour que les gens sachent que ça commence par nous. Nous sommes une divinité, nous sommes une partie de Dieu.
Akim KY et Saly OUATTARA
Burkina 24
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