Le regard de Monica – « Le quotidien qui tue »
Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
Chaque matin, Salimata est la première à se lever, pendant qu’il fait encore nuit. En toute période de l’année, sa routine matinale ne change pas : elle doit chauffer l’eau pour la douche du mari et des enfants, préparer le petit déjeuner (le plus souvent, le repas de la veille, accompagné par du thé).
Elle brûle donc un sachet en plastique pour allumer le bois, y rajoute un peu de charbon, puis elle dépose sur ce foyer une marmite d’eau à chauffer. La petite pièce que son mari lui a construite dans la cour et qu’elle utilise comme cuisine se remplit rapidement d’une fumée épaisse qui la fait tousser, mais elle y est habituée : au contraire, celles qui se plaignent, toussent et larmoient quand elles font la cuisine, ce ne sont pas des bonnes femmes, lui disait toujours sa mère…
Une fois les enfants les plus grands envoyés à l’école, le mari sorti pour ses occupations quotidiennes, les instructions pour le repas de midi données à sa fille ainée Maïmouna, 17 ans, qui ne va plus à l’école, Salimata prend son dernier-né au dos, fait sortir sa poussette et s’en va pour son petit commerce : depuis un peu plus d’un an, elle vend des fruits au bord de la grande voie rouge qui traverse son quartier.
Elle est satisfaite : depuis qu’elle a commencé à faire son commerce, elle a l’argent pour ses petits besoins… mais elle se sent toujours enrhumée, ses yeux lui brûlent, sa tête lui fait mal, elle a l’impression d’avoir un poids à l’intérieur de la poitrine. Son mari dit que c’est la fatigue et que si c’est trop elle peut arrêter. Mais Salimata ne veut pas, elle aime se sentir indépendante. Le problème est son petit Abdoul Karim, 7 mois, qui l’accompagne au lieu de vente : lui aussi est toujours enrhumé. Il perd souvent l’appétit. Mais ça ne semble pas bien grave, et de toute manière, comment va-t-elle faire ?
En réalité, Salimata souffre probablement d’une inflammation des voies respiratoires qui, si elle continue avec son mode de vie, risque d’évoluer en bronchopneumopathie chronique obstructive. Son petit Abdoul Karim et sa fille Maimouna sont exposés à des risques d’asthme, d’infections aigues des voies respiratoires inférieures, sans mentionner que le risque de développer des cancers des poumons est accru (1,9 fois plus de risques). Ces risques, en réalité, concernent toute personne qui dans son quotidien est exposée à la fumée dégagée par les combustibles dits « solides » : le bois, le charbon, mais aussi les sachets en plastique – ces derniers sont encore plus dangereux !
Bois et charbon, des effets redoutables
En effet, selon une étude de l’OMS[1], les particules d’un diamètre inférieur ou égal à 10 microns (PM10)) pénètrent profondément dans les poumons et semblent avoir les effets les plus nocifs sur la santé. Or, le taux de PM10 sur 24 heures est généralement compris entre 300 et 3000 microgrammes par mètre cube (μg/m3). Il peut atteindre 10 000 μg/m3 lors de la cuisson des aliments. À titre de comparaison, l’Union européenne a fixé comme limite un taux annuel moyen de PM10 de 40 μg/m3.
Les femmes et les enfants, qui passent beaucoup de temps à proximité du foyer, sont les plus exposés à la pollution et aux graves conséquences pour la santé que ces fumées dégagent. Parmi celles-ci, le cancer du poumon et du larynx, l’asthme, la cataracte, les complications de la grossesse (notamment le faible poids de naissance du bébé, qui l’expose à la malnutrition et à un développement cérébral moins brillant), des problèmes de cœur (cardiopathies ischémiques), des pneumopathies… En particulier, ces dernières demeurent la première cause de décès des enfants au Burkina, après le paludisme.
Le lien entre la pollution de l’air domestique et ces pathologies est clair, mais méconnu : résultat, les petits enfants restent à coté de leur mère (souvent sur le dos…) pendant qu’elle cuisine, ce qui les expose aux polluants et aux effets néfastes qu’on vient de mentionner…
Les sachets en plastique, un poison mortel
Encore plus graves les effets de la combustion des substances plastiques. Que cela soit dans les habitations, où les femmes utilisent les sachets en plastique pour allumer le feu, ou dans les rues, où des tas d’ordures sont brûlés en dégageant une épaisse fumée noire à l’odeur âcre et désagréable. Or le plastique, un dérivé industriel du pétrole, dégage plusieurs substances toxiques lorsqu’elle est brûlée, dont les dioxines. Ces poisons provoquent plusieurs types de cancer (poumons, estomac, foie), mais aussi des troubles reproductifs (tels que malformations à la naissance, dysfonctionnements des organes sexuels, baisse de la fertilité, endométrioses), hormonaux (provoquant entre autres le diabète), cardiaques et immunitaires (baisse de la capacité de l’organisme à se défendre contre les infections). Encore une fois, les femmes et les enfants sont les plus exposés.
De plus, ce poison ne se cache pas que dans la fumée : les dioxines passent dans la chaîne alimentaire. Ainsi, une chèvre qui broute une herbe ayant poussé sur un terrain où on a brulé du plastique accumulera de la dioxine dans sa chair, et l’être humain qui consomme sa viande sera contaminé. Cela vaut pour les céréales ou légumes cultivés sur une terre contaminée de la même manière.
La poussière, pas que des vêtements rougis
Notre Salimata est très satisfaite de son petit commerce de fruits, qui lui permet d’être un peu indépendante de son mari pour ses petits besoins de femme et de mère. Néanmoins, son lieu de vente est situé sur les abords d’une voie rouge très fréquentée, ce qui l’expose, avec son petit Abdoul Karim, à la poussière soulevée par les motos et les véhicules qui circulent de l’aube à tard dans la nuit. Ce qui fait qu’elle se plaint d’être « tout le temps enrhumée ».
En effet, celle que nous appelons couramment la « poussière » contient aussi des PM10, même si en proportion inférieure qu’autour d’un foyer à charbon. Mais nous y sommes exposés à longueur de journées ! Pour ne pas parler de la pollution dégagée par les engins qui parcourent nos voies, vieillissants, ne respectant aucune norme, utilisant des carburants parfois frelatés et donc encore plus nocifs…
Les effets de ces poussières fines, nous les avons exposés au début de cette chronique : inflammations des voies respiratoires supérieures et inférieures, asthme.
La solution n’est pas immédiate, mais il faut bien commencer…
Ces dangers pour la santé viennent de plusieurs sources et interpellent tout un chacun. En premier lieu, chacun de nous, car le changement de comportement individuel et domestique est le premier pas pour assainir son cadre de vie. Des combustibles moins dangereux, tels que le gaz, sont disponibles désormais presque partout : c’est bien vrai que le gaz a un coût, mais – surtout en ville – il n’est pas sûr que le bois et le charbon coûtent sensiblement moins.
Le traitement des déchets domestiques est aussi un point crucial : dans certaines villes, des services de ramassage des ordures sont disponibles à un coût abordable (généralement entre 750 et 1000 FCFA par mois). Là aussi, il est bien vrai que ces mêmes ordures seront traitées d’une manière inappropriée (brûlés sans tri), mais au moins l’exposition directe des enfants est évitée.
Les communes ont des responsabilités, justement concernant le traitement des déchets : des aires de dépôt aménagées pour éviter les infiltrations, des centres de tri, ainsi que le fonctionnement de tout cela, devraient être prévus tant dans les plans que dans les budgets.
Aussi, l’aménagement des voies et le bitumage des axes les plus fréquentés devrait être pris en compte, tout comme la limitation de la circulation dans certaines zones et, parallèlement, le développement d’un service de transport urbain (bus, taxi… pas de tramway tant que le courant ne sera pas suffisamment disponible pour l’ensemble de la population !) efficace et régulier.
Enfin le gouvernement, qui a un rôle à jouer concernant la règlementation générale. Tant que nous continuerons de permettre – pire, de faciliter – l’entrée de véhicules datant de plus de 10 ans, l’air de nos villes sera pollué. Si au lieu d’exonérer des taxes douanières les véhicules importés de plus de 10 ans, on faisait le contraire, en détaxant les véhicules neufs et en surtaxant, voire en interdisant l’importation de vieux engins, le parc automobile serait renouvelé en un temps relativement rapide. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Pour conclure, tout changement commence par nous-mêmes. S’asseoir « attendre le gouvernement » n’améliorera pas notre situation, ni celle des centaines de milliers de Salimata et Abdoul Karim qui sont nos mamans et nos petits frères…
Monica RINALDI
Chroniqueuse pour Burkina 24
[1] « Énergie domestique et santé : des combustibles pour vivre mieux », OMS, 2007
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