Analyse : Les « institutions fortes » et les « hommes forts » d’Obama
Dans les lignes qui suivent, Idrissa Diarra, géographe politologue, apporte son analyse sur les propos du Président Barack Obama et du Président Blaise Compaoré, le premier ayant déclaré que l’Afrique a besoin « d’institutions fortes » et pas « d’hommes forts », le second ayant rétorqué qu’il ne peut y avoir d’institutions fortes « sans hommes forts ». Lisez donc.
Les Présidents américain Barack Obama et burkinabè Blaise Compaoré, ont prononcé deux formules chocs (1), excellents sujets de commentaire en Relations internationales et plus largement, en Science politique. La portée générale de leurs déclarations laisse le champ libre à un débat ouvert, justifiant encore l’intérêt de l’alimenter, à l’image de cette pensée en langue dioula selon laquelle, « nônnôn ti dêguê tchin… », signifiant en français que « davantage de lait, ne gâte pas le dêguê ».
I-Institutions plurielles
Les institutions peuvent s’entendre comme des cadres structurés, plus ou moins complexes et élaborés, gouvernés par des règles plus ou moins cohérentes pour assurer une mission sociale, politique, économique, culturelle (…) donnée, mission par laquelle une institution particulière tire son identité sociale ou sa spécificité. Entendues comme telles, les institutions peuvent se recenser dans différents domaines.
Dans les annales de l’économie mondiale, « Institutions de Bretton Woods » est à titre illustratif, une expression célèbre pour nommer la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale (FMI).
« Les plus grandes dictatures du monde ont eu recours à leurs institutions propres »
Celles-ci comptent parmi tant d’autres comme l’institution hospitalière, religieuse, coutumière, judiciaire, scolaire, démocratique, etc. Au regard de cette diversité, il devient évident que la démocratie n’est pas seule, en tant que système politique, à avoir le monopole des institutions.
Dans ces conditions, comment comprendre la confrontation faite par le Président américain entre « hommes forts » et « institutions fortes » dans notre contexte actuel, c’est-à-dire, le XXIème siècle?
En effet, les plus grandes dictatures du monde ont eu recours à leurs institutions propres, qui ont souvent été de puissantes machines aux mains des dictateurs, pour asseoir leurs ambitions totalitaires.
Nul ne contestera que l’armée est une puissante institution en Corée du Nord, sous les ordres de son leader suprême Kim Jong-un, – dans un régime qualifié de dictature par nombre d’analystes et médias occidentaux.
La différence entre institutions démocratiques et institutions dictatoriales, c’est que les premières – indexées dans le discours du Président Obama-, sont dépersonnalisées, exerçant dans l’esprit de la séparation des pouvoirs et font prévaloir l’expression libre des citoyens alors que les secondes, sont surtout des instruments au service d’un souverain, d’un homme qui leur fait de l’ombre, ou si l’on veut encore au sens d’ Obama, au service d’« hommes forts ».
Aussi, les institutions démocratiques sont au dessus des citoyens considérés à titre personnel, pendant que dans une dictature, si le mystère est entretenu auprès de la majorité des personnes ordinaires qu’elles ne doivent pas être défiées, elles demeurent en revanche, de simples instruments, soumis aux ordres du dictateur, qui décide de leurs sorts, selon son bon vouloir (…).
« Une Afrique qui a besoin d’institutions fortes au XXIème siècle comme l’affirme Obama, c’est une Afrique où les institutions de profils démocratiques sont en mesure de survivre à leurs géniteurs/concepteurs, de résister fermement aux humeurs de ceux-ci et d’assurer durablement et en toute équité les prérogatives qui sont les leurs.
« Une Afrique qui a besoin d’institutions fortes au XXIème siècle, c’est une Afrique où les institutions de profils démocratiques sont en mesure de survivre à leurs géniteurs/concepteurs »
Une telle affirmation de la part du Président américain, peut trouver sa justification dans le fait que si l’on s’en tient à la seule présence d’institutions de types démocratiques de par la dénomination, nombre de pays d’Afrique francophone n’ont rien à envier à l’Occident.
Ces pays, du point de vue du faciès (organisation et régularité des élections), seraient de grandes démocraties comparables à certains égards, aux USA.
Cependant, la réalité est tout autre ! Dans la pratique, ces institutions ne parviennent pas toujours à s’affirmer fortement et à éviter les crises et conflits post-électoraux, les crises et les conflits liés à l’alternance au pouvoir, à favoriser le renouvellement de la classe politique et l’accession de la jeunesse au pouvoir (…) et à permettre un développement socio-économique réel, comparativement à certains cas qui font recette en Occident.
Comment les citoyens peuvent-ils s’empêcher dans ces conditions, de défier ces institutions, surtout, lorsqu’elles déçoivent des espoirs immenses et sont la cause de nombre de frustrations, au point de donner l’impression de n’être que des bâtiments tout beaux, impressionnants par leurs architectures, et dont l’utilité démocratique laisse plus d’un citoyen, perplexe (…).
II -« Hommes forts » pluriels
D’où viennent les institutions fortes ? La réponse à cette question est l’élément que le Président Compaoré introduit dans le débat, à la suite du Président Obama (2).
Il est fort compréhensible de situer l’origine des « institutions fortes », dans l’action d’« hommes forts » comme l’affirme le Président Compaoré mais en revanche, une erreur d’appréciation consisterait à donner à cette expression fourre-tout, un sens univoque ! La question suivante, met en évidence cette nuance.
« Démocrates forts » et « non-démocrates forts »
S’ « il n’y a pas d’institutions fortes sans hommes forts », TOUS les « hommes forts » cependant, sont-ils à l’origine d’ « institutions fortes, » démocratiques et durables ? La réponse qui préfigure cette question, force à distinguer ici, deux types « d’hommes forts » à savoir, les démocrates et les « non-démocrates ».
Les premiers (démocrates) sont à l’origine de la fondation d’institutions démocratiques. Comptent parmi eux, ces braves hommes et femmes, journalistes, medias, intellectuels, acteurs politiques, citoyens, etc. mettant à contribution leurs potentiels, leurs disponibilités, leurs courages, etc., pour « forger » la construction de la démocratie.
« Lorsqu’à aucun moment, la vision politique du leader ne laisse aucune place à l’expression de la liberté citoyenne, le projet politique pourrait prendre toute autre dénomination, sauf la démocratie ! »
Ceux dans ce groupe de démocrates, qui font le plus de sacrifices, paient le prix fort et, dans certains cas, font le sacrifice extrême, voire suprême, s’illustrent parmi ceux que j’appelle « DEMOCRATES FORTS ».
Pendant que la Géographie les cite souvent comme leaders de leurs vivants, l’Histoire elle, les retient parmi les « GRANDS HOMMES ». A ce titre, les peuples épris de démocratie, en particulier les peuples noirs, ne cesseront de rendre hommage aux grandes figures du XXème et du XXIème siècles comme Martin Luther King, Nelson Mandela, etc., qui ont été des leaders charismatiques, engagés pour la cause du faible et plus généralement, pour la défense de la dignité humaine (…)
A contrario, les seconds (non-démocrates) sont le plus souvent à l’origine d’institutions non-démocratiques dans le cadre de leur vision.
Le terme « vision » est d’une conséquence très importante ici, en ce sens que tant que l’achèvement d’un projet politique est la démocratisation totale, un certain degré de contraintes, sinon de révolution marquée par une forte autorité à un moment donné, peut être justifié de façon transitoire (La Révolution française de 1789).
Par contre, lorsqu’à aucun moment, la vision politique du leader ne laisse aucune place à l’expression de la liberté citoyenne, le projet politique pourrait prendre toute autre dénomination, sauf la démocratie !
Les adeptes de ce second groupe de non-démocrates, qui font le plus de sacrifices, et dans certains cas, le sacrifice extrême, voire suprême, s’illustrent aussi parmi ceux que j’appelle « NON-DEMOCRATES FORTS », DICTATEURS, AUTOCRATES et plus globalement, « HOMME FORT du XXIème siècle», dans le sens du Président Obama. Certaines figures fortes se sont illustrées tristement au XXème siècle à ce titre et, l’Histoire semble faire l’unanimité sur Hitler (…)
- Vie et itinéraires des institutions démocratiques fortes
Pour une institution qui vient à peine d’être créée, il semble a priori difficile d’appréhender sa force pour la simple raison qu’un nouveau-né a tout d’abord comme priorité, de faire ses preuves.
Eu égard à cela, le contexte africain, avec ses innombrables chantiers d’institutions démocratiques nouvelles, commande de façon théorique et même pratique, de séquencer la vie de celles-ci en différentes phases. Pour ce faire, j’en identifie théoriquement quatre, calquées sur l’itinéraire habituelle de la vie des êtres vivants et, résumées en trois points:
- aux deux premières phases couvrant l’instant de la création de l’institution et les premiers moments de son fonctionnement, celle-ci traverse les stades « embryon d’institution », et « bébé-institution » pour parvenir à maturité ;
- à la troisième phase, l’institution atteint la « maturité » et
- à la quatrième phase, elle est au stade « sénior ».
- Première et deuxième phases : « embryon d’institution » et « bébé-institution »
Les stades « embryon d’institution » et « bébé-institution » ne s’accommodent que mal avec la qualification « force » de l’institution. De façon naturelle, ces stades, que ce soit chez l’Homme, chez les animaux ou chez les plantes, ne peuvent être que des états fragiles, sauf exception d’une maturation précoce. A certains égards, les créations de l’Homme aussi peuvent suivre les mêmes étapes dans leurs vies.
N’est-ce pas que l’Homme est fait à l’image de son Créateur ! Les phases « embryon d’institution » et « bébé-institution » correspondent à des moments où l’institution affirme sa personnalité, fait ses preuves de par des éléments palpables dans l’exercice de ses fonctions, se fait connaître et se fait accepter socialement ou est rejetée.
La réforme santé d’Obama aux USA, qui a connu ses difficultés au démarrage, notamment des dysfonctionnements du réseau informatique suite à l’affluence massive des premières souscriptions peut corroborer ce constat de façon patente.
A l’étape d’EMBRYON, les dispositions statutaires de l’institution sont connues mais ses organes opérationnels encore déficients, se mettent progressivement en place. Il s’agit entre autres organes, du personnel d’animation de l’institution.
« A l’étape bébé, l’institution balbutie dans ses expressions »
Administrativement parlant, le sénat au Burkina Faso correspond trait pour trait à cette description à l’issue des épreuves de forces politiques divergentes qui ont mis un coup d’arrêt à son installation.
A l’étape de BEBE, l’institution dispose d’un organigramme opérationnel achevé et présente tout l’air d’une institution mature avec comme différence ou traits particuliers, une faible résistance et des difficultés d’expression. En d’autres termes, à l’étape bébé, l’institution balbutie dans ses expressions.
Ses défis majeurs sont entre autres d’œuvrer à combler ses lacunes, à corriger les inadéquations et à s’adapter à la réalité du terrain. Vu sous cet angle, la nécessité d’un temps minimal au bébé-institution pour s’affirmer, est fort compréhensible.
Ce besoin de temps peut se comprendre dans le propos du Président Compaoré quand il exprime l’idée selon laquelle « …Il n’y a pas, aussi, d’institutions fortes s’il n’y a pas une construction dans la durée… ».
Le constat malheureux cependant, c’est que certaines institutions restent abusivement à l’état d’embryon ou de bébé en dépit du temps écoulé, sans jamais donner l’espoir aux citoyens, qu’elles changeront un jour! Leur situation finit par devenir critique et le laxisme à leur égard, consisterait à ne déterminer aucun horizon de temps nécessaire à elles, pour passer le cap de l’ « immaturité ».
Les institutions ayant leurs spécificités, elles ne sauraient faire face aux mêmes contraintes dans leurs évolutions.
Pendant que les juridictions sont minées par l’engorgement du fait qu’elles traînent pendant plusieurs années certains dossiers en passe de devenir historiques, tout en affrontant les dossiers du quotidien, des institutions comme l’autorité de régulation de la communication et la Commission électorale ont en charge des dossiers, davantage tournés vers le présent et le futur, respectivement, dans la gestion quotidienne de l’information et l’organisation d’élections.
Cette diversité de contraintes spécifiques, rend quasiment impossible de placer les institutions à la même enseigne pour affirmer leur maturité.
Cependant, le délai d’un mandat présidentiel est suffisant aux différentes institutions de la République pour présenter leur bilan car en effet, c’est sur la base du bilan du mandat présidentiel dans tous les secteurs que l’exécutif sortant s’évalue et est censé être évalué par les citoyens (…), en perspective d’une nouvelle sanction électorale du peuple.
Ce constat permet de faire la distinction entre une suite continue de 4 mandats de 4 ans et 2 mandats continus de 7 ans dans une démocratie, une question soulevée sur les médias par mon parent à plaisanterie, l’honorable député Mélégué Traoré! La durée globale des deux cas de figures se déroule dans des délais certes proches, mais différents de 2 ans, soit respectivement 16 ans et 14 ans !
En outre, dans le premier cas, le BILAN ou REDDITION des comptes par l’élu (l’Exécutif) est censé être fait au peuple, 4 FOIS avec la CONFIANCE acquise auprès du même peuple au moins 4 FOIS, sans compter les multiples occasions offertes à chaque échéance pour opérer des reformes au sein de l’INSTITUTION D’ORGANISATION des élections et des JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES en vue d’améliorer leurs prestations et, pour permettre aux citoyens de se familiariser davantage avec le vote.
Dans le second cas – septennat -, toutes ces possibilités sont réduites à 2 FOIS SEULEMENT et le temps d’attentes des citoyens tout comme des formations politiques de l’opposition en vue d’autres alternatives est terriblement plus long, surtout dans un contexte de XXIème siècle !
- Troisième phase ou stade de la maturité
Au stade de la MATURITE, l’institution jouit de pleines capacités pour relever les défis ordinaires relevant de sa compétence. Les balbutiements ayant cessé, son expression est bien articulée dans des mots clairement prononcés et ses idées sont sans équivoque ! Aussi, elle dispose d’un capital d’expériences concrètes et de savoir-faire, suffisamment pertinents. Dès lors, sa force se dessine. Il ne lui reste qu’à la consolider.
- Quatrième phase ou stade sénior
A la quatrième phase ou étape POST-MATURITE, ou encore stade « SENIOR », l’institution œuvre à la stabilisation et à la consolidation des acquis de la maturité. A ce niveau, elle est bien ancrée socialement, ce qui lui vaut d’être une référence de par le capital de confiance et d’autorité dont elle bénéficie dans le domaine de ses compétences.
Cet atout lui permet de faire face aux situations exceptionnelles, voire imprévisibles, sans que ses choix, quand bien même critiquables, ne soient fondamentalement remises en cause, de sorte que la continuité de l’Etat ou de l’institution en question est garantie quasiment, en toutes circonstances (disparition de dirigeants, crise sociale, catastrophe naturelle, etc.). Sa force à ce niveau est visiblement affirmée.
Sur la base du confort de la continuité et des certitudes accrues qu’offrent les institutions démocratiques fortes, le Président Obama, au regard du contenu de son discours, laisse entendre, son espoir que l’Afrique puisse faire face aux immenses défis du XXIème siècle, dans un monde intra et interconnecté, faisant fi des frontières, quand il s’agit d’Histoire universelle, des crises et des fléaux divers.
En effet, la Révolution de 1789, a certes été abritée par la France et menée surtout par les Français, mais sa portée est mondiale pour la démocratie en termes d’héritages inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), tout comme le terrorisme international, la fièvre à virus Ebola, etc. concernent tous les pays et les citoyens du monde, sans véritable limite de frontières.
Idrissa DIARRA
Géographe politologue
Membre-fondateur du Mouvement de la
Génération Consciente du Faso (MGC/F).
Courriel : [email protected]
(1) B. Obama : « …L’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’Etat ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions… » (Le Monde, traduction du Département d’Etat, 13/07/09.)
(2) B. Compaoré : « …Il n’y a pas d’institution forte s’il n’y a pas d’homme fort. L’Amérique a dû traverser des épreuves. Je vois la ségrégation raciale, je vois l’esclavage… Pour la suppression de ces pratiques, il a fallu des hommes forts. Il n’y a pas, aussi, d’institutions fortes s’il n’y a pas une construction dans la durée… » (RFI, 7/08/14)
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Tres bel article M.Diarra. Le contenu est riche et plein d’enseignements. On se croirait dans un amphi. F?licitations et bon vent.
Belle analyse!!
Mr Idrissa DIARRA, vous ?tes encore ? ce niveau d’hommes forts. Les gens qui ont une intelligence un peu sup?rieur ? la moyens ont compris ce concepts depuis longtemps. Un homme qui l’accent sur la finalit? et un autre qui met l’accent sur le processus, n’ont pas la m?me appropriation du fait. Obama met l’accent sur les institutions fortes, ?a c’est la finalit? du processus d?mocratique esp?r?e par tous. Mais le Pr?sident Blaise met l’accent sur les Hommes forts pour la constitution et consolidation d?institutions forte, ?a c’est le processus pour aboutir aux institutions fortes. En conclusion, avec un peu d’intelligence on comprend bien que les deux Pr?sidents parlent de la m?me chose, le reste d?pend du niveau d??volution ? laquelle chacun se situe. Tu dois comprendre ?a.
Blaise Compaor? a raison , il faut des hommes arrivent ? faire suivre une feuille de route concourant au respect des institutions pour que puissent les institutions devenir fortes