Deco : « Neymar est au niveau de Messi et Ronaldo »
À 34 ans et avec un palmarès riche de 21 titres, dont deux Ligues des champions de l’UEFA, remportés dans quatre pays différents, Deco se sent relativement à l’aise au moment de parler football. Pas seulement pour évoquer sa bonne saison 2011/12 avec Fluminense, mais aussi pour donner son avis sur le football international et analyser en détail les performances d’anciens coéquipiers comme Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, ou de celui qu’il voit déjà comme l’un des meilleurs footballeurs de la planète : Neymar.
Après 13 années passées en Europe, vous en êtes à votre troisième saison avec Fluminense. Il n’y a qu’au FC Porto et à Barcelone que vous êtes resté aussi longtemps. Vous sentez-vous chez vous dans ce club ?
Ce retour au Brésil a été compliqué. D’abord parce que j’ai eu pas mal de blessures qui ont compliqué mon adaptation, mais aussi au niveau des infrastructures. Ça n’a rien à voir avec ce que j’avais connu jusque-là. Au FC Porto, on trouve ce qui se fait de mieux au Portugal. Quant au FC Barcelone et à Chelsea, ce sont deux géants du football mondial et leurs infrastructures sont à la hauteur de la réputation de ces deux clubs. Maintenant, je me suis complètement habitué à Fluminense et je suis heureux.
Cette série de blessures vous a-t-elle fait douter par rapport à la suite de votre carrière ?
Physiquement, je me sentais très bien à mon retour au Brésil, mais c’est la répétition des blessures qui est difficile à supporter. À ce stade d’une carrière, après tant d’années d’entraînement et d’exercice, la seule chose qui continue de vous motiver, c’est le jeu, la compétition. Quand vous n’avez plus cela, vous commencez réellement à vous demander si ça vaut la peine de continuer. En début de carrière, vous savez que vous avez toute la vie devant vous. Mais après la trentaine, si vous n’êtes plus sur le terrain, vous vous demandez si cela a encore un sens de continuer.
Tous les clubs ne comptent pas les passes décisives, mais en ce qui vous concerne, vous avez probablement été plus souvent passeur décisif que buteur…
C’est possible. Non, c’est vrai ! (rires). J’aime marquer, comme tout le monde, mais ce n’est pas non plus une obsession. J’aime beaucoup être le dépositaire du jeu, savoir que le rythme de l’équipe dépend de moi. C’est une responsabilité qui me plaît.
Avez-vous toujours été ainsi, même quand vous étiez plus jeune ?
Toujours, oui. Même chose pour la satisfaction personnelle : j’ai toujours pris autant de plaisir à donner un ballon de but qu’à marquer moi-même. Avec le temps, j’ai changé mon style, pas seulement parce que j’ai perdu en explosivité et en vitesse d’accélération, mais aussi parce que j’en sais plus sur le jeu collectif. Barcelone est un bon exemple : cette équipe a toujours eu de grands joueurs, mais pourtant personne ne dribble juste pour le spectacle. Au Barça, on ne dribble que lorsque c’est nécessaire.
À votre retour au Brésil, avez-vous trouvé un état d’esprit très différent ?
En raison de l’habilité naturelle qui a toujours existé ici, le football brésilien s’est toujours caractérisé par un jeu très technique, basé sur une circulation fluide du ballon. Malheureusement, je crois que c’est en train de disparaître un peu. L’état d’esprit qui règne aujourd’hui est que la qualité individuelle peut tout faire, qu’il suffit d’avoir un ou deux joueurs au-dessus du lot pour résoudre tous les problèmes.
À quoi attribuez-vous ce changement ?
Je pense que les jeunes ne sont plus formés comme avant. Aujourd’hui, il y a l’obsession de gagner des titres. La formation des footballeurs est secondaire. Il y a tellement de talent au Brésil qu’on finit par penser que les grands joueurs sortent de nulle part. C’est vrai pour quelques-uns, comme Neymar, Ganso, ou Lucas. Mais en faisant un travail de formation sérieux, il y aurait beaucoup plus de joueurs de ce niveau. Un autre facteur important est que les joueurs quittent le Brésil très tôt. Cela fait des années que les footballeurs brésiliens s’exportent à un très jeune âge en Ukraine ou au Japon. Avec tout le respect que l’on doit aux championnats de ces pays, le niveau n’y est pas extrêmement élevé. L’idéal serait que les joueurs acquièrent un niveau correct au Brésil et partent ensuite rejoindre des grands clubs.
Vous parliez de la circulation du ballon qui a longtemps caractérisé le football brésilien. Le FC Barcelone de Pep Guardiola est une référence dans ce domaine. Etait-ce déjà le cas avec Frank Rijkaard quand vous jouiez au Barça ?
Oui. Barcelone est un club où les joueurs peuvent changer, mais pas la culture. Cette notion de circulation du ballon est arrivée à son paroxysme avec Guardiola, qui a toujours eu cette philosophie. La grande différence entre l’équipe actuelle et celle de Rijkaard est qu’aujourd’hui à tous les postes, le Barça possède des joueurs très à l’aise dans la transmission du ballon. À notre époque, nous n’en avions que quatre ou cinq. C’est incroyable : quand il y a le moindre risque de perdre le ballon, les joueurs les plus habiles du Barça ne balancent pas vers l’avant, ils font une passe. Ce n’est pas seulement une question de qualité, mais aussi de mentalité.
Vous avez déjà joué aux côtés de Lionel Messi et de Cristiano Ronaldo. Quel regard portez-vous, de l’extérieur, sur ce qu’ils font depuis quelques années ?
Ce sont deux joueurs incroyables, de loin les deux meilleurs footballeurs du monde. Ils ont des styles différents, mais une même capacité de surprendre. Cristiano dégage une puissance phénoménale et possède un esprit de compétition poussé à l’extrême. Messi, lui, c’est la qualité à l’état pur. On dirait qu’il fait toujours les mêmes gestes et pourtant, personne n’arrive à l’arrêter. Ce qui est surprenant, c’est qu’en plus de marquer un nombre incalculable de buts, ils sont tous les deux devenus des joueurs très créatifs. Quand ils étaient plus jeunes, ils étaient déjà largement au-dessus de la moyenne mais ce qui m’impressionne, c’est leur capacité à durer au plus haut niveau. Ils ne se reposent jamais sur leurs lauriers. Ils fixent la barre toujours plus haut et continuent de battre des records qui paraissent impossibles à atteindre.
Aujourd’hui, au Brésil, vous assistez à l’éclosion de Neymar. Que vous inspire-t-il en comparaison des deux joueurs dont nous venons de parler ?
Neymar, pour moi, est déjà dans la même catégorie que Messi et Ronaldo. Il a la capacité de marquer beaucoup de buts, sans pourtant jouer au poste d’avant-centre. S’il était au Real Madrid ou à Barcelone, il serait encore plus fort car il aurait de meilleurs joueurs à ses côtés, de meilleures infrastructures à sa disposition, etc. Il faut bien garder le sens des proportions : d’un côté, il est clair que le niveau technique aujourd’hui au Brésil n’atteint jamais celui d’une demi-finale de Ligue des champions en Europe. D’un autre côté, les problématiques sont différentes. Ce n’est pas une question de facilité ou de difficulté, c’est simplement différent. Mais si on se place sur le plan technique, Neymar est déjà au niveau de Messi ou de Cristiano.
Pour quelqu’un qui a gagné deux Ligues des champions de l’UEFA, qu’est-ce que cela fait de jouer la Copa Libertadores ?
Ce sont des défis complètement différents. Sincèrement, je crois qu’il est plus difficile pour une grande équipe sud-américaine, comme Fluminense, de gagner la Libertadores, que pour un grand club européen de remporter la Ligue des champions. C’est une simple question de probabilité. Fluminense n’est pas largement au-dessus des Corinthians, de Santos, de l’Internacional, de Boca Juniors ou de l’Universidad de Chile. Ici , il y a au moins dix équipes qui peuvent sérieusement prétendre à la victoire finale alors qu’en Europe, il y en a peut-être cinq ou six. Dans les derniers tours, le niveau technique de la Ligue des champions est supérieur mais je le répète, pour un grand club, il est plus compliqué de gagner la Libertadores.
Le fait d’avoir gagné tant de titres en Europe vous permet-il d’être plus respecté en Amérique du Sud ?
En toute sincérité, je dirais que oui. Pour une raison simple : je crois que ces dernières années, le football européen est plus suivi ici, en Amérique du Sud, que de l’autre côté de l’Atlantique ! (rires). Je sais qu’il existe cette admiration pour la carrière que j’ai réalisée là-bas, mais je sais aussi que cela ne dure que jusqu’à l’entrée sur le terrain. Quand l’arbitre siffle le coup d’envoi, tout le monde devient amnésique… (rires).
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