Lutte contre la dengue : L’automédication, l’insalubrité et la désinformation, les autres maux à combattre !
La dengue fait rage au Burkina Faso depuis le début de l’année. Selon des chiffres officiels, plus de cent mille cas suspects et 511 décès ont été enregistrés à la date de mi-novembre 2023. Pour l’instant, il n’existe pas de cure proprement dite contre cette maladie. Mais au-delà de l’insalubrité, l’automédication et la désinformation sont les autres maux à combattre dans cette lutte commune.
Des drones et toute une armée de personnels ont été déployés pour vaincre ces indésirables. Des partenaires au développement et même des Russes se sont mobilisés, pour appuyer les autorités du Burkina Faso, dans cette nouvelle guerre. Il ne s’agit pas du terrorisme. Mais c’est tout comme. Les moustiques, en effet, semblent rentrés en rébellion cette année, au Pays des Hommes intègres.
Aliou Bamba (nom d’emprunt) est au chevet de sa femme hospitalisée au CMA de Houndé pour cause de dengue. Ils viennent d’un village situé à une trentaine de kilomètres de cette commune urbaine de la province du Tuy, dans la région des Hauts-Bassins. Dans la salle d’hospitalisation, plusieurs malades sont couchés, la plupart sous perfusion.
Plus de 70 % des hospitalisations au CMA de Houndé sont liées à la dengue, selon le médecin Dr Jaurès Ramdé, responsable des activités cliniques de cette formation sanitaire. Concernant le début de la maladie de son épouse, Aliou Bamba nous explique que le test du paludisme effectué au Centre de Santé et de Promotion Sociale (CSPS) de leur village était positif.
Cependant, le traitement administré s’est révélé inefficace. Ils ont donc dû se rendre à Houndé pour recevoir des soins plus appropriés. « Au CSPS du village, nous avons fait un examen qui a confirmé le paludisme. Ils nous ont prescrit des médicaments contre le paludisme. Deux jours plus tard, son état ne s’améliorait pas. Nous avons donc jugé bon de venir au CMA .
À notre arrivée (…), le médecin nous a demandés de faire les tests de la dengue, de la fièvre typhoïde et de la glycémie. Et les résultats des tests de la dengue et de la fièvre typhoïde étaient positifs (…). Le médecin a déclaré qu’il ne pouvait pas nous laisser partir et nous a hospitalisés », explique-t-il.
Après trois jours d’hospitalisation, note-t-il, la patiente a été libérée, mais deux jours après leur sortie de l’hôpital, ils ont été obligés d’y retourner. « Elle a rechuté, et nous sommes revenus à l’hôpital », ajoute-t-il.
Mme Bamba n’est pas la seule à souffrir de cette maladie au Burkina Faso. Selon des chiffres officiels, depuis le début de l’année, le pays a enregistré 109 908 cas suspects, 49 808 cas probables et 511 décès notifiés à la date du 12 novembre 2023.
La salubrité, un excellent remède
La dengue est réputée être une maladie liée à l’insalubrité. Les autorités sanitaires en sont conscientes. Elles appellent les Burkinabè à demeurer propres autour d’eux, à assainir leurs cadres de vie afin de minimiser les risques de multiplication des moustiques.
« Travaillons à ce que nous puissions avoir un cadre de vie idéale, un cadre de vie sain et assaini. Sinon, beaucoup de maladies que nous avons viennent de nos conditions d’hygiène et d’assainissement qui sont vraiment précaires », note le directeur régional de la santé du Centre, Dr Daniel Yerbanga.
Pour lui, il est difficile de parvenir à éradiquer totalement la dengue tant que la population ne s’y met pas pour traiter les questions d’hygiène et d’assainissement de façon durable. « Là où nous vivons, c’est nous qui sommes responsables de l’hygiène de notre environnement », souligne-t-il.
C’est une question vraiment cruciale pour la lutte contre cette épidémie. Le ministre en charge de la santé, le Dr Robert Lucien Kargougou, a insisté sur cela, lors d’une visite terrain dans le cadre de la supervision des opérations de pulvérisation à Ouagadougou.
« Les Burkinabè doivent assainir leurs milieux de vie. La dengue est là parce que nous avons des environnements qui ne sont pas sains (…). Nous devons impérativement, de façon individuelle et collective, nous mobiliser pour assainir notre environnement de vie », invite-t-il.
Toujours dans le cadre de la riposte contre l’épidémie de la dengue, les opérations de pulvérisation intra-domiciliaire et spatiale ont été lancées à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, deux épicentres de l’épidémie. Il s’agit particulièrement de pulvériser les domiciles des malades ou des gens ayant été en contact avec ces derniers.
À cela s’ajoute la pulvérisation des grands canaux d’évacuation des eaux où les équipes de pulvérisation motorisées ne peuvent pas atteindre et certains espaces publics ciblés en collaboration avec les mairies.
Concernant la pulvérisation des canaux, le Dr Joseph Soubeiga, directeur technique du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS), explique que le produit utilisé va tuer directement des larves dans les caniveaux pour « empêcher que ces larves ne deviennent des moustiques adultes ».
Signalons qu’après la recrudescence des cas de dengue, le Burkina Faso a reçu le soutien de certains partenaires techniques financiers en matériels médicaux.
L’OMS, par exemple, a contribué à l’installation des tentes dans certains hôpitaux afin de faciliter la prise en charge des malades, comme c’est le cas aux CMA de Kossodo et de Saaba à Ouagadougou.
Les dangers de l’automédication
Si l’État et ses partenaires se démènent pour circonscrire la maladie en misant sur la prévention et les soins des symptômes, beaucoup de citoyens ont des comportements qui entravent la lutte. Il s’agit des consultations tardives et de l’automédication.
C’est une réalité qui préoccupe les agents de santé, à les entendre. Ces derniers soutiennent que les cas les plus graves de la dengue auxquels ils font face sont dus à l’automédication et à l’usage de la phytothérapie.
Les populations sont ainsi invitées à rompre avec ces pratiques pour faciliter la lutte contre la maladie de la dengue, car il n’y a pas de traitement spécifique contre cette maladie. C’est un traitement symptomatique qui est proposé.
« La majeure partie des cas enregistrés dans nos centres de santé sont des cas graves avec des complications. Ces complications sont liées, entre autres, à l’automédication ou à l’utilisation des produits phytothérapiques (…) Ce sont ces patients qui sont majoritairement hospitalisés dans les centres de santé avec malheureusement, des cas de décès », déplore le directeur technique du CORUS, Joseph Soubeiga.
Même son de cloche au CHU Sourou Sanou à Bobo-Dioulasso, où la situation est alarmante. Selon le médecin infectiologue, Pr Jacques Zoungrana, il faut beaucoup communiquer afin de sensibiliser les populations à ne pas prendre les médicaments « contre-indiqués » de la dengue.
« Lors de la prise en charge, nous posons des questions pour mieux comprendre comment s’est installée la complication, surtout l’hémorragie (…) On se rend compte que ce sont des patients qui ont utilisé des médicaments qu’ils ne devaient pas, et d’autres personnes aussi ont bu des décoctions », révèle-t-il.
Plus loin, le Dr Zoungrana avance qu’en plus des décoctions, ces patients utilisent d’autres médicaments dont eux-mêmes, en tant que spécialistes, n’ont pas connaissance. « On pense que cela peut contribuer à avoir un impact négatif sur ces patients », déplore-t-il tout en lançant un appel à la population à abandonner ces pratiques d’automédication.
Le CMA de Houndé enregistre quatre décès. Et selon le Dr Jaurès, les statistiques prouvent qu’il y a beaucoup de pratiques d’automédication et de phytothérapie. À l’entendre, ce sont surtout les jeunes qui paient un lourd tribut dans cette situation. « Quand on fait l’interrogatoire, on se rend compte que ce sont des gens qui prennent beaucoup de tisanes… Ce sont surtout des jeunes qui en meurent beaucoup », confie-t-il.
Le mal de la désinformation
La cherté des médicaments serait l’une des causes qui poussent les populations à s’adonner à l’automédication. Sylvestre Sibé, patient hospitalisé au CMA de Kossodo, déplore le coût élevé des médicaments et invite le ministre en charge de la santé à interpeller les responsables des officines pharmaceutiques.
« Les prix varient d’une pharmacie à l’autre. Et ce n’est même pas une somme à minimiser. Nous attirons l’attention du ministre de la santé à faire un contrôle des pharmacies, sinon ce n’est pas bon », s’inquiète-t-il. En rappel, les tests TDR de la dengue sont gratuits et se font dans les CMA, les CHR (Centres hospitaliers régionaux), et dans les CHU (Centres hospitaliers universitaires).
En dehors de l’automédication, l’autre mal qu’il faudra combattre dans cette riposte contre la dengue, c’est la désinformation. En effet, depuis la recrudescence de l’épidémie de dengue au Burkina Faso, de nombreux messages font le tour des réseaux sociaux concernant cette maladie.
Ces « informations » sont souvent peu vérifiées et dangereuses pour les populations. Ces intox gagnent malheureusement du terrain et les populations en subissent les conséquences. Au sein de l’opinion, il revient de plus en plus que cette épidémie est causée par des moustiques codifiés lâchés en 2019 à Bana, un village situé à 7 kilomètres de Bobo-Dioulasso.
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Ces moustiques génétiquement modifiés, faut-il le rappeler, sont une solution que les scientifiques burkinabè ont testée pour lutter contre le paludisme. Partant de la réalité que ce sont des moustiques femelles qui transmettent le paludisme, l’objectif avec ce projet était de modifier les moustiques afin que leur progéniture soit uniquement mâle.
Et toutes les femelles avec lesquelles ils s’accoupleront après leur modification ne reproduiront que des moustiques mâles. Mais en son temps, ne sachant pas le bien-fondé de cette innovation, certains Burkinabè racontaient notamment sur les réseaux sociaux que ces moustiques étaient libérés par le pouvoir de l’époque afin d’éliminer des opposants.
Aliou Bamba est de ceux qui croient que l’actuelle épidémie de la dengue vient des moustiques lâchés en 2019 à Bana dans la région des Hauts-Bassins même s’il n’en est pas totalement convaincu. Toutefois, il affirme que les rumeurs fusent de partout que la dengue vient de ces moustiques.
L’on sait que la dengue existe au Burkina Faso depuis 1925. Selon les spécialistes sanitaires, il existe plusieurs espèces de moustiques à travers le monde, plus de 3 500 environ regroupés en 41 genres. Et l’Aedes, l’agent causal de la dengue, est toutefois différent de l’anophèle femelle qui transmet le paludisme, fréquent dans nos contrées.
Selon le Dr Jaurès Ramdé, médecin responsable des activités cliniques au CMA de Houndé, l’essentiel est d’axer la communication pour lever les zones d’ombre dans la mémoire collective des populations. Et de préciser que « la dengue est liée à la piqûre d’un moustique, le moustique Aedes (…) Si ce sont des moustiques lâchés, c’est sûr que les populations de Bama allaient avoir beaucoup de problèmes ».
Le délégué général du Centre national de la recherche scientifique et de la technologie, M. Emmanuel Nanema, déplore, lui aussi, le fait de vouloir lier la poussée des cas de dengue au lâcher des moustiques effectué en 2019 dans la région des Hauts-Bassins.
« Les moustiques qui transmettent la dengue sont de nature différente des moustiques qui transmettent le paludisme. Ils ne doivent pas être confondus. Et les actions que nous avons menées jusqu’à présent, le lâcher des moustiques portent sur les moustiques du paludisme et non sur les moustiques de la dengue », recadre-t-il.
Pour l’anthropologiste médical et responsable du projet Target Malaria, il n’y a aucun échange génétique entre le moustique qui transmet la dengue et celui du palu.
« Deuxième élément, le pathogène même qui est responsable dans le développement de la maladie, dans le domaine c’est le parasite qu’on appelle le plasmodium alors que pour la dengue, c’est un virus », fait-il remarquer.
La bonne nouvelle
Malgré la désinformation et l’automédication qui entravent la lutte contre la maladie, le corps médical se donne à fond pour prendre soin des patients, en dépit de quelques difficultés. Dans la plupart des structures hospitalières que nous avons visitées, les agents de santé disent disposer du matériel nécessaire pour assurer la prise en charge des patients. Sauf au CMA de Saaba, où il y a eu une rupture des tests TDR durant 48 heures lorsque nous y sommes passés le 14 novembre dernier. Mais c’est résolu.
Les agents de santé sont également confrontés à la petitesse du local qui abrite le laboratoire, selon Joseph Koadé, technicien médical et responsable du labo, ce qui ne leur permet pas de bien travailler. Il y a aussi un manque de personnel. Suite à une demande de plus en forte, ils ont dû enrôler deux prestataires pour leur venir en aide, nous fait-il savoir.
La relative bonne nouvelle est que la dengue affiche une tendance baissière depuis deux semaines, comme l’a annoncée le 22 novembre 2023, le ministre en charge de la Santé, Lucien Kargougou, à la sortie du conseil des ministres. Certes ! La veille se poursuit. Le combat également sur le terrain, dans les six-mètres, les ménages, mais surtout dans l’esprit des populations…
Willy SAGBE
Burkina 24
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